L’homme qui savait la langue des Serpents

La christianisation de l’Estonie au XIIIe siècle par des hommes de fer venus de l’ouest que l’Histoire retiendra sous la dénomination de « chevaliers porte-glaive ».

Jet d’encre dispose d’un système intégré d’auto-alimentation. C’est en effet en relisant l’ensemble des posts du blog en février que je suis tombé sur la critique de Guy écrite il y a presque deux ans et demi qui m’a incité à faire l’acquisition de l’ouvrage.

Tout comme nos ancêtres les Gaulois qui vivaient dans des huttes, les ancêtres des Estoniens vivaient en paix dans la forêt jusqu’à l’arrivée des hommes de fer qui leur imposèrent le christianisme et la fastidieuse vie de labeur du villageois moyen de l’occident médiéval. Beaucoup de références échapperont au lecteur français qui n’est pas forcément au fait des turpitudes de la culture de la société estonienne, mais cela n’empêche en rien de goûter à la verve épique de l’auteur. S’il n’y avait qu’un élément culturel local à retenir, évoqué dans la postface de l’ouvrage des éditions du tripode, ce serait que la « langue des serpents » fait référence à la langue estonienne qui a su traverser les millénaires, contre vents et marées.

Tout comme Goscinny et Uderzo, Andrus Kivirähk écorne ce mythe national qui, comme celui du Gaulois, a été forgé au XIXe siècle. Mais le message est beaucoup moins manichéen que celui d’Asterix avec son village idéal d’un côté et les affreux Romains de l’autre. Dans la forêt, les humains parlent la langue des serpents et vivent en harmonie avec les animaux (même plus qu’en harmonie parfois puisque des femmes vivent avec des ours). Au village, les paysans vénèrent le Christ, mangent du pain et cultivent la terre sous la houlette des moines et des hommes de fer. Toutefois, les affreux se rencontrent autant dans la forêt que dans le village. Ce sont les fanatiques qui justifient leurs abominations tant par le supposé message chrétien pour les uns que par les génies de la forêt pour les autres.

L’histoire commence comme un roman d’Heroïc Fantasy avant de flirter avec le surréalisme pour finir en conte philosophique avec une action qui perd beaucoup en vraisemblance en s’intensifiant. Mais c’est pas grave, c’est finalement très ennuyeux la vraisemblance.

La morale de l’histoire est résumée dans la postface : « même si nous nous croyons fort traditionnels ; nous sommes toujours les modernes de quelqu’un, car toute tradition a un jour été une innovation ». C’est donc une réflexion sur la marche inexorable du temps avec ceux qui essaient de le remonter, ceux qui tentent de vivre avec, ceux qui veulent le changer et ceux qui s’érigent en gardiens de dogmes immémoriaux attachés à un temps qui n’a jamais existé ailleurs que dans leur imagination. Nous sommes amenés tout au long de notre vie à détruire des mythes et à en ériger d’autres dont nous deviendrons les gardiens : telle est l’Histoire, telle est la condition humaine.

Si l’on y réfléchit bien, l’univers du livre n’est pas très éloigné de celui des contes de Grimm et Perrault. Et si toutes ces sorcières et tous ces magiciens qui vivent au fond des bois n’étaient en fait que les derniers vestiges de sociétés disparues ? Le bien, le mal, la magie, la sorcellerie, tout ça n’est-il pas finalement qu’une affaire de point de vue ?

Edouard

Un vrai phénomène en Estonie: 40.000 exemplaires vendus pour 1,4 million d’habitants.
Et à juste titre.
Cette foisonnante allégorie entraîne le lecteur dans un monde de conte de fées.
Cela se passe dans une époque médiévale imaginaire.
Le jeune Leemet apprend de son oncle la langue – plutôt les sifflements – des serpents.
Il vit dans la forêt. À côté de la forêt se trouve le village.
Deux mondes que tout oppose
Dans la forêt, on chasse grâce à la langue des serpents qui force le gibier à se laisser égorger.
Au village, on mange du pain, on cultive les champs, et on s’habille de tissus.
Dans la forêt, le Sage raconte des balivernes.
Au village, c’est le dénommé Johannes, sorte de cureton manqué.
Leemet est un réfractaire dans l’âme.
Il deviendra le seul représentant d’un monde en voie de disparition.
Le livre regorge de personnages fabuleux.
La sœur du personnage central est mariée avec un ours.
Sa mère passe son temps à nourrir sa famille avec des élans entiers.
Au village, on est terrorisé par les hommes de fer (les chevaliers teutons), et les moines châtrés.
La Salamandre, animal volant mythique, obnubile, comme une sorte de Graal, les habitants de la forêt.
Le grand-père, à qui les hommes de fer ont coupé les jambes, n’a qu’une obsession: les éliminer tous.La violence de la fin du livre devrait le réserver à des adultes avertis.
Toutes les fées ne sont pas angéliques.
J’ai repensé au livre de Bruno Bettelheim Psychanalyse des contes de fées.
L’Estonie, la plus nordique des républiques baltes, n’a pas fini de nous étonner.
Sofi Oksanen, à moitié finlandaise, est une autre porte-parole de ce pays que l’Europe découvre.
L’élite y a parlé l’allemand pendant des siècles, avant la chape du communisme.
Sous une forme mythologique, les langues commencent à se délier.
Pour ma part, j’en redemande.
Amitiés légendaires,
Guy (le 23/11/2013)
Andrus Kivirähk – Attila – 428 p.

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