Ô DINGOS, Ô CHATEAUX !

Un architecte raté et néanmoins chanceux organise le faux enlèvement de son neveu en employant une nurse un peu fêlée, à sa sortie d’un hôpital psychiatrique.

Après « le petit bleu de la côte ouest », il y a deux ans et « la position du tireur couché » l’année dernière, Tardi collabore pour la troisième fois avec Jean-Patrick Manchette.

Un album par an ? Peut être que le créateur d’Adèle Blanc-Sec n’a pas besoin de plus pour gagner sa vie. Le dessinateur qui me fascina il y a 17 ans avec « tous des monstres » serait-il devenu un papy du dessin français, un peu comme Sempé ? Un cadeau de Noël type ? Je suis tenté de le croire.

« ô dingos, ô châteaux » est le moins bien des trois volets. Côté scénario, une petite intro nous informe qu’il s’agit du premier roman de Manchette. Effectivement, le scénario est nettement moins bien celui des deux albums précédents. On y trouve toutefois les thèmes chers à l’écrivain qui révolutionneront le roman noir français : l’humanisation des tueurs derrière lesquels se cachent les vraies ordures, le poids écrasant du déterminisme social, la tendresse des fous…mais à un état encore embryonnaire.

La première partie de la dégustation de mon Tardi annuel fut donc un peu décevante.
Toutefois, la réelle déception n’arriva que dans un deuxième temps lorsque, laissant tomber le scénario, je me suis concentré sur le graphisme. Aucune innovation. Les plans et les personnages m’ont semblé dramatiquement familiers. Ce cocker en pierre, on le voyait pas déjà dans « casse-pipe à la nation » ? Ce tueur, n’est-ce pas Brindavoine ? La nurse, n’est-ce pas l’héroïne de « la débauche » ? L’espèce de No man’s land biscornu me fait penser à « jeux pour mourir ». Le gamin…je sais plus où je l’ai vu, mais il me dit quelque chose. En voyant les cheveux colorisés des héros sur la couverture, j’avais espéré une nouveauté graphique, mais je resterai sur ma faim.

Suis-je trop vieux ? Ai-je trop mangé de Tardi ? Certainement. Je ne peux qu’encourager ceux qui ne connaissent pas encore ce dessinateur extraordinaire à le découvrir. Pour les fans…

Finalement, peut-être que l’imperfection du scénario à un côté vintage qui fait revivre les imperfections foutraques des premiers albums. Je vais le relire une troisième fois…

Ô dingos, ô châteaux
Manchette-Tardi
2011

Edouard

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Le comte de Monte-Kindle

Saint Nicolas m’a apporté une tablette de lecture Kindle, et je me suis empressé de faire un essai avec l’histoire d’Edmond Dantès, téléchargée sur le site http://www.ebooksgratuits.com(chaudement recommandé: des centaines d’œuvres classiques libres de droits, donc légalement téléchargeables).
Le positif: encombrement réduit, facilité d’emploi enfantine, disponibilité en tout lieu (même dans un bain – attention à l’immersion du gadget).
Le négatif: importance d’un bon éclairage extérieur (pas de lecture clandestine sous les couvertures), caractères plutôt petits, retours en arrière demandant une dextérité de pianiste, absence de l’odeur et du contact du papier, difficulté de prendre des notes au vol.
Bilan légèrement positif, donc. Mais je ne crois pas que la tablette deviendra mon mode de lecture favori.
Selon mon expérience, la lecture sur écran est plus fatigante que sur le papier.
Que vivent donc les bons vieux livres, compagnons irremplaçables.
Belle fin d’année à tous.

Guy

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Stefan Zweig, l’ami blessé

Bona Dominique, Grasset, 2010, 460 p. + 8 de photos

Quand on veut « paraître » avoir une grande culture, il est de « bon ton » d’avoir lu Zweig. « Il faut » avoir lu tous les « classiques » des « intellectuels », bien évidemment « philosophes » puisqu’ils témoignent d’une époque qui n’existe plus, mais qui « devrait » nous servir d’expérience.
Vous venez de lire, entre guillemets, un échantillon des mots qui me hérissent.
Je suis tombée par hasard sur sa biographie. Voilà une bonne occasion de découvrir le bonhomme et de comprendre mes réticences.

De la légèreté à la mort.

1900, Vienne, la valse, les concerts, les théâtres, les bals, les artistes et intellectuels qui se réunissent dans des cafés célèbres, François-Joseph, le père de la nation et sa romantique Sissi ; la belle vie pour les bourgeois et les aristocrates. [Les autres sont occultés.]
Moritz Zweig, riche fabriquant, juif laïque, ne veut qu’une chose, s’intégrer. Il veut être autrichien, mais pas juif. Il faut savoir rester à sa place, ne jamais rien demander, ne pas faire tache ni aucun remous. Tout est dans l’apparence. C’est ainsi qu’il va éduquer ses enfants. Ils doivent devenir des Autrichiens cultivés. L’aîné prendra la suite du père. Comme lui, il est sage, pondéré, réfléchi, stable. Au contraire, son cadet, Stefan, est un enfant très gai, enjoué, mais capable de déprime et de grosses crises de colère. « Neurasthénie », disent les médecins. Étouffé et surchargé de cours, il apprendra à dissimuler ses émotions et à haïr l’autorité.
En 1900, Stefan a 19 ans, le bac en poche et, grâce à sa rente à vie, il vole de ses propres ailes. Pour faire plaisir à ses parents et devenir « Doktor » il s’inscrit en philosophie, la matière qui demande le moins de présence. Il vit la nuit et voyage beaucoup pour approfondir sa culture.
Bien que timide et secret, il va au-devant des autres. [C’est-à-dire, des intellectuels qu’il admire.]
Toute sa vie, ce sera un homme guindé, « aux manières feutrées, au sourire d’exquise courtoisie », enthousiaste pour les autres, semblant ouvert à tous et généreux. [Du moins, dans ses phases euphoriques, car Zweig n’est ni plus ni moins qu’un bipolaire, un maniaco-dépressif, un paranoïaque lucide, comme on dit maintenant.]
Sa lucidité et son hypersensibilité lui permettent de ressentir la souffrance des autres et d’anticiper l’avenir. Dès la guerre de 14, il craint l’Anschluss et le démembrement de son Autriche adorée. Il fait la guerre dans un bureau d’archives, mais ce que ses amis, combattants, écriront, le bouleversera. Il passe 10 jours en Galicie et découvre les ghettos. Ses origines refont surface ce qui le fragilise encore plus.
Les privations des crises d’après-guerre et de 1930 ne le touchent guère financièrement. En 1922 la parution de « Amock » lui offre l’envié statut d’écrivain mondialement connu. [Jusque là, il n’était connu que d’une élite. Ah l’Élite ! …] Il ne comprend pas. Il pense que ses amis sont meilleurs que lui. Il n’en devient que plus riche. Il se dit « privilégié et malheureux de l’être. » [Je le crois sincère, mais grâce à son don de prémonition, il est toujours ailleurs quand les évènements se passent.]
En 1929, « les vieux démons fascistes et révolutionnaires » se réveillent. Il faut être rouge ou noir. [Ah ce « il faut » !] Zweig est apolitique et abstentionniste. L’appartenance à un drapeau, à une idéologie est trop restrictive pour lui. Il se veut « homo pro se » comme Érasme. [La traduction « pour lui-même » ne me plaît pas. Je dirais : fidèle à lui-même. Son idée de monde uni et en paix grâce à la culture est loin d’être égoïste. Utopique, certes, mais pour l’instant, il croit encore à quelque chose.]
En 1933, Hitler arrive, légalement, au pouvoir. Une fois de plus, Zweig pressent le danger et incite sa famille et ses amis à partir (du moins ceux qui sont encore en Autriche). Lui-même hésite à s’arracher à son pays, à ses racines. Ce n’est qu’après la visite de policiers dans son nid d’aigle, son refuge, en haut de Salzburg qu’il part pour Londres. Le grand Zweig, mondialement connu est accueilli à bras ouverts. Ce qui lui permet d’aider moralement, physiquement et financièrement ses amis réfugiés. [Il n’est pas égoïste avec ses amis.]
Après l’Anschluss en mars 1938, il n’est plus qu’un « immigré ennemi ». Si sa première épouse, Friderike, lui avait servi d’infirmière, d’antidépresseur et de bonne à tout faire, la deuxième, Lotte est une femme fragile, asthmatique, effacée, qui l’admire, vit dans son ombre, a 27 ans de moins que lui, mais ne lui est d’aucuns secours. De materné, il paterne. Ce qui le fatigue. [Misogyne ?]
Il lui faudra attendre longtemps son passeport britannique et son visa pour les USA. Là aussi, son accent allemand le désigne comme un ennemi. En août 1941, il s’installe au Brésil. C’est un homme brisé, fatigué et qui ne croit plus à rien. Sa patrie, ses rêves se sont effondrés. Le 21 février 1942, il décide de ne plus rien voir. « À quoi sert de prolonger la vie, quand elle a été incomplètement vécue ? »
[Mon avis est que, refoulé et introverti, Zweig a vécu à travers les autres en prenant toutes les souffrances sur ses épaules. Je ne suis absolument pas persuadée que sa judaïcité en soit la cause.]

La biographie :

Zweig disait de lui qu’il était « un écrivain concis et efficace ». Mme Bona rajoute : « Tous ses ouvrages – même les biographies – sont brefs. Ils tiennent parfois en une dizaine de pages. Les nouvelles ne dépasse pas, pour les plus longues, une centaine de pages, les biographies, deux cents ou deux cent cinquante, guère plus. Comme lecteur, Zweig avoue avoir horreur des longueurs – descriptions, portraits trop développés, situations qui n’en finissent pas – et applique à ses propres livres ce dégoût salvateur. Il écrit en homme pressé, réussissant à ne dire que l’essentiel… (p. 227) »
Ce pavé est tout ce que l’on veut sauf ÇA ! La brave dame ayant eu l’amabilité de résumer la plupart des nouvelles et des biographies, je ne me sens plus obligée de le lire.

Lecture fastidieuse, mais assez intéressante d’autant qu’il y a aussi le « pedigree » des amis écrivains et le résumé de certaines de leurs œuvres.

À bientôt, mais dans la rubrique polar !

Martine

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Hergé fils de Tintin

Georges Remi 1907-1983, sa vie et son œuvre racontées par Benoît Peeters, auteur de bandes dessinées.

S’il fallait résumer se récit en un mot, ce serait « scotchant » ; pas seulement à cause du fameux bout de scotch du capitaine Haddock (« vol 714 pour Sidney » ou « Tintin et les Picaros », je ne sais plus) ni à cause du whisky Loch Lomond que le marin barbu affectionne tout particulièrement, mais aussi, et surtout à cause du récit captivant du parcours de l’homme qui organisera sa vie pendant 47 ans autour du jeune reporter.

On suivra les différentes étapes de l’élaboration de l’univers de l’homme à la houppe, album par album : la mise à l’étrier par un prêtre très conservateur, l’abbé Wallez qui se ressentira dans les premières aventures. La rencontre avec Tchang qui changera son univers à partir du « Lotus bleu ». La très controversée « Étoile mystérieuse » écrite en 1942 et qui lui vaudra beaucoup d’ennuis à la libération. L’amour de la comédie humaine de Balzac qui trouve un écho dans « Coke en stock » et « Les bijoux de la Castafiore » ; deux albums entre lesquels se glissera le très introspectif « Tintin au Tibet »…

Et Hergé dans tout ça ? Il évoluera beaucoup au cours de sa vie. Il était influençable, pour le meilleur et pour le pire. Il était un peu transparent, comme Tintin qui ne commencera que très tardivement à prendre du poids avec ses aventures himalayennes. Accablé par son héros, il traversera une longue dépression avant de reprendre le dessus dans les années 60.
Il régnera durant de nombreuses années en maître sur la bande dessinée européenne avant d’être talonné par de nouveaux venus. Pour ne pas que son héros se fasse terrasser par un irréductible Gaulois, Hergé écrira « Vol 714 pour Sidney », album dans lequel il fera partager ses goûts pour le paranormal.

À partir de 1945 et jusqu’à la fin de sa vie, il sera rongé par l’attitude collaborationniste qu’on lui reprochera.

Hergé- Mes dessins n’avaient rien de choquant.

L’Histoire- pas tous, mais quand même quelques-uns, emprunts d’un antisémitisme sans équivoque. Et surtout, des dessins publiés dans un journal qui était aux mains des Allemands. Les gens l’achetaient pour lire les aventures de Tintin.

En 1976, « Tintin et les Picaros », la dernière aventure du reporter, mettra en scène un Tintin très « gauchisé ». Ultime volonté de rédemption ? L’album sera mal accueilli par les milieux de gauche : c’est à Hergé qu’ils en veulent, pas à Tintin.

Hergé, c’est enfin une icône du XXe siècle. Né à la belle époque, il mourra au début des années 80, des suites d’une longue maladie de sang. Peut-être du fait des nombreuses transfusions qu’on lui fit alors subir, il sera victime d’un mal mystérieux qu’on n’appelait pas encore « SIDA ».

Edouard

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Limonov

Limonov –
Emmanuel Carrère – POL – 489 p.
Prix Renaudot 2011
Voilà un auteur qui mûrit à chacune de ses apparitions!
Je n’avais pas aimé du tout son « Adversaire », l’histoire de ce faux médecin qui assassine sa famille au grand complet.
J’avais beaucoup aimé  »D’autres vies que la mienne ».
Et son Limonov fera partie de mon top 5 de cette année.

Pourtant, il s’agit d’un authentique salaud.
Né en 1943 en Ukraine, fils d’un planqué sous la botte stalinienne, il commencera sa percée comme voyou.
Son seul atout: un talent poétique affirmé dès son plus jeune âge. Voilà qui ne laisse aucun Russe indifférent.
Il débarque à Moscou en 1967, et fera immédiatement partie de l’underground de l’époque.
Lassé de son pays, il s’envole pour New York, pour toujours pense-t-il.
Il y connaîtra la misère, et deviendra valet d’un milliardaire. Son expérience sera décrite dans un livre qui ne risque pas d’avoir fait plaisir à son employeur.
Son errance le mène à Paris, où il sera la coqueluche des milieux branchés.
Retour à Moscou, entrée dans la glasnost.
Il fera le coup de feu du côté des Serbes en ex-Yougoslavie.
Il fonde le parti national bolchevik (surnommé nasbol), opposé à tous et à tout.
Quelques années de prison ne le rendent pas plus sage.
Pas plus tard que ce dimanche, on parlait à la radio de son emprisonnement à l’occasion des élections russe.

Une fois de plus, Emmanuel Carrère se montre fasciné par un personnage exceptionnel, plus abject que sympathique.
Ce livre se lit comme un roman d’aventures, se vit comme un western.
Et il donne en prime un superbe survol de l’histoire de la Russie passée de la terreur communiste à la domination de la mafia, Poutine en tête.
Certains portraits au vitriol feront sursauter les ménagères frileuses: le chouchou de l’Occident, Gorbatchev, n’en sort pas indemne. Les manigances de Eltsine valent leur volume de vodka.

Drôle de pays, cette Russie capable du pire comme du meilleur.

Amitiés sibériennes,

Guy

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