De la libération à la “normalisation” sexuelle?

– Tonton, c’est quoi la libération sexuelle?

– Tout d’abord, il y a la terreur des parents que leur fille tombe enceinte ou que leur fils devienne père avant d’être autonome financièrement.

Dans ce cadre, les interdits religieux imposant l’absence de relations sexuelles avant le mariage avaient tout pour rassurer les parents.

La religion interdisait également les rapports sexuels à des fins non reproductives. A cet égard, l’homosexualité était un comportement condamnable.

Puis, sont arrivés la pilule et le droit à l’avortement qui se sont ajoutés aux méthodes existantes, plus ou moins efficaces.

Quoi qu’il en soit, ces nouveaux dispositifs ont permis de dissocier encore plus clairement le sexe de la reproduction. Les femmes ont pu maîtriser leur fécondité, qui dépendait autrefois largement des hommes. La vraie révolution est peut-être là. Les rapports sexuels non reproductifs ont toujours été possibles et l’avortement très hasardeux. La diffusion de la pilule, des contraceptifs et la légalisation de l’avortement permettant surtout de mieux réguler tout ça.

Toujours est-il que dès la fin des années 60, les sociétés occidentales se sont persuadées qu’elles vivaient une révolution sexuelle et que tout était possible. Des BD de Gérard Lauzier aux Bronzés en passant par Salo de Pasolini, on savait bien qu’il n’en était rien. Les mâles dominants, les allumeuses, les laissés pour compte, les prédateurs et les victimes de violences sexuelles n’avaient pas disparu. Mais beaucoup voulaient y croire.

La révolution sexuelle de la fin des années 60 était très phallocrate. Les homosexuels n’étaient plus chassés mais non moins méprisés.

C’est au milieu de cette société qui voulait jouir sans entraves en se voilant la face que je suis né. Quand j’ai été assez grand pour comprendre ce qui se passait autour de moi, on parlait du SIDA touchant de plein fouet la communauté homosexuelle et qui n’engageait guère à la gaudriole. Les chantres de la libération sexuelle essayaient tant bien que mal d’entretenir la flamme.

Les adolescents de la fin des années 60 étaient entre temps pour la plupart devenus parents et devaient faire face aux même inquiétudes que leurs aînés avec des réponses diversifiées, certains étant fidèles à la tradition, d’autres plus ouverts dans la mesure ou une panoplie de mesures médicales permettaient maintenant d’éviter l’irréparable.

Encore plus tard, l’âge devenant une entrave à la jouissance sans entraves, le Viagra entra en scène. Ce nouveau remède miracle n’eut pas seulement pour effet de rassurer quelques septuagénaires sur leur virilité mais révolutionna aussi l’industrie du porno. Avant le Viagra, un homme au physique difficile avait ses chances s’il était capable de garder une érection dans des conditions de tournage peu excitantes. Avec la chimie, les moches n’avaient plus qu’à aller se rhabiller.

Internet et les logiciels de retouches permirent de donner une dimension inégalée au sexe, permettant à chacun en quelques clics de voir les ébats de demi-dieux n’existant pas vraiment dans la réalité.

La digitalisation de l’industrie du sexe lui permit un essor considérable : godemichés, fouets et menottes pouvant être achetés en ligne et livrés discrètement à domicile. Plus aucun risque de croiser son voisin ou son boulanger en se rendant dans un sex-shop.

Et voilà comment en 50 ans, le sexe non reproductif est passé d’un tabou religieux brisé à une branche à part entière de la société de consommation.

Depuis MeToo, les Dom Juan se font discrets et les garces préfèrent parfois se faire passer pour des victimes. Les laissés pour compte ont désormais toute une gamme d’offres commerciales censées les satisfaire. Certains aventuriers de la libération sexuelle autrefois convaincus de leur impunité doivent répondre de leurs actes : à ce titre, les pédophiles des années 70 sont aujourd’hui rattrapés par la justice. Pour les vraies victimes, rien n’a changé.

L’oncle Edouard n’était pas réputé pour ses capacités à s’adapter à son public. Du haut de ses 10 ans, son neveu n’avait quasiment rien compris. Il le regarda bouche bée quelques instants avant de se décider à prendre la parole.

– Ah…c’était avant donc? C’est fini maintenant?

– Oui

Edouard