A most violent year

New-York au début des années 80., A la tête d’une entreprise de transport de fuel, Abel tente de creuser son trou. Ses concurrents font leur possible pour lui mettre des bâtons dans les roues.

Une grosse pomme crépusculaire, une ambiance à la Gotham city. Tout accable Abel, mais rien ne peut freines ses ambitions, il est l’incarnation même du rêve américain. Alors il se bat, compte aussi sur la chance qu’il sait saisir lorsqu’elle fait apparaître le bout de son nez au milieu du brouillard et finit par atteindre ses objectifs. Je me souviens d’un sujet de philo en terminale dont j’avais longuement parlé avec un copain : « peut-on réussir sa vie sans réussir dans la vie ? » Nous n’avions pas trouvé de réponse définitive, mais pour Abel, c’est clairement non. Bref, c’est un winner, c’est en tout cas comme ça que le voit son entourage, ses employés et en particulier Julian, victime aussi de l’adversité, mais qui a moins de punch, doute de lui, n’a ni l’assurance, ni l’intelligence d’Abel. Julian est-il jaloux de son patron ? Oui, peut-être un peu, mais il est par-dessus tout admiratif, il s’est persuadé à tort ou à raison qu’il n’était pas équipé pour y arriver et cette prise de conscience le ronge. Il ne saura pas saisir sa chance, limiter les effets du sort, voire même le retourner à son profit. Julian n’est pas un digne descendant de Caïn, comme semble l’être son supérieur, il ne prendra pas du plaisir à se frotter à l’adversité, à la combattre et s’avouera vaincu dès le premier round.

Abel a-t-il conscience d’être un élu ? Rien n’est moins sûr. Il avoue à son épouse qu’il aurait voulu devenir un gangster, tout comme l’était son beau père. Pour défendre ses intérêts, il a dû prendre certaines libertés avec la légalité et il a déjà commencé à quitter l’univers des irréprochables, mais il n’est pas encore vraiment entré dans le Milieu. Il y entrera probablement puisque rien ne semble pouvoir l’anéantir, bien qu’il soit au bord du gouffre en permanence. La scène finale laisse entendre que la toile se tisse, que l’avenir se profile sous un nouveau jour. Abel commence à être craint et reconnu au-delà du cercle de ses employés, il a atteint un nouveau niveau comme on le dirait pour un jeu vidéo. Ce qui est fascinant, c’est que cette reconnaissance lui arrive après l’atteinte d’un objectif que nul ne semblait comprendre et pour la poursuite duquel il s’entêtait. Avait-il vraiment conscience de ce que l’atteinte de cet objectif allait lui apporter ou avait-il une conscience diffuse qu’il devait l’atteindre sans s’expliquer parfaitement pourquoi ? Pour ma part, j’ai eu l’impression qu’il poursuivait son objectif comme le bout de fer poursuit l’aimant.

Pour résumer, « a most violent year » est un film sur la réussite sociale, sur ses critères objectifs (ténacité, détermination, charisme, intelligence) et aussi sur tout le mystère qui l’entoure : chance, hasard, destinée, providence…il me marquera durablement.

Edouard

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La prochaine fois, je viserai le cœur

Au cours des années 1978-1979, Alain Lamare, Gendarme et tueur en série, semait la terreur dans l’Oise, département déjà ébranlé à l’époque par un autre tueur en série : Marcel Barbeault alias, « le tueur de l’ombre ».

Cédric Anger situe l’intrigue 4 ans plus tôt et le tueur/gendarme, Guillaume Canet, devient Franck. Ce n’est pas un génie du mal du genre d’Hannibal Lecter dans le silence des agneaux, il m’a plutôt fait penser à Stéphane, ce luthier étrange et ténébreux incarné par Daniel Auteuil dans « un cœur en hiver » de Claude Sautet. Franck est malade, a conscience de sa maladie et en souffre. S’il fallait le raccrocher à une célébrité du 7e art, ce serait Norman Bates. Mais alors que dans psychose, Hitchcock ne s’intéresse qu’aux effets théâtralisés de la psychopathologie du personnage, Anger s’intéresse au conflit intérieur qui ronge Franck.
Certes, dans psychose, Marion Crane entend Norman Bates se disputer avec sa mère et on se doute bien qu’il doit y avoir un conflit intérieur, mais il ne fait l’objet d’aucun développement.

Dans « la prochaine fois… », le rapport de Franck avec sa mère est aussi évoqué dans une scène qui met très mal à l’aise, mais elle n’atteint pas les sommets hitchcockiens.

Les deux tueurs ont comme point commun leurs pulsions sexuelles qui se transforment en pulsions meurtrières. Comme Norman Bates, Franck finira sa vie dans un hôpital psychiatrique.

On peut peut-être voir aussi dans ce film une critique du mythe de la libération sexuelle qui vivait alors ces grandes heures. Ce vieux libidineux en manque de compagnie qui met des petites annonces dans les toilettes crasseuses d’un café m’a mis la puce à l’oreille. D’une certaine manière, Franck et le vieux sont tout deux exclus d’un système dans lequel règne le dogme d’une hétérosexualité standardisée et aseptisée telle qu’on peut la voir dans les films de François Truffaut (pour les fans comme moi, ne manquez pas l’expo actuellement à la cinémathèque).

La maladie de Franck n’est pas non plus la perversité jouissive chère au divin marquis (très déçu par l’expo « Sade » du musée d’Orsay), c’est plutôt un poltergeist, une sorte d’esprit, un loa vaudou qui viendrait prendre possession de Franck, un loa contre lequel il lutterait, mais contre lequel il ne pourrait en définitive rien faire.

Pour terminer, je voudrais revenir sur le titre. Bien entendu, on pense d’abord à Franck qui vide son arme sur les jambes de ces victimes au lieu de viser le coeur, mais cette phrase m’est revenue à la fin du film et j’ai essayé de lui donner une autre signification. Je l’ai imaginée prononcée en guise d’excuse par un Cupidon maladroit ayant raté son coup et dont la flèche aurait malencontreusement atteint la tête du destinataire.

Edouard

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Le crime était presque parfait

Un homme décide de faire tuer sa femme, mais celle-ci se défend et tue son agresseur. La police et son amant enquêtent.

Combien de fois ai-je vu ce film ? La première fois, je devais avoir une dizaine d’années, c’était le temps des VHS et du cinéma de minuit…
Bien entendu je me souvenais de la clef cachée sous le tapis de l’escalier, même si j’avais oublié les détails précis de l’enquête.
Que reste-t-il aujourd’hui du « crime était presque parfait » ? Le charme désuet des années 50 ? La beauté de Grace Kelly ? Certainement. À tout bien regarder, le scénario me semble trop emberlificoté, les ficelles trop grosses et le tout passablement invraisemblable. Le jeu des acteurs fait énormément il est vrai et ils contribuent pour beaucoup à rendre crédible une histoire qui ne l’est pas. La musique n’est pas mal non plus.
Bref, on ne sait pas trop comment ni pourquoi, mais tout ça se tient. Ce n’est certainement pas le meilleur des Hitchcock, il n’a pas la dimension psychanalytique de « psychose » ou des « oiseaux », pas la dimension épique de « la mort au trousses » ou de « l’homme qui en savait trop ».
Aaaargh, c’est énervant, qu’est-ce qui fait le charme de ce film ? Alfred nous emporte, nous mène par le bout du nez, nous donne des explications peu claires qu’on accepte tout de même, car on n’ose pas dire qu’on a pas compris. Tout ça semble simple sur le coup, on est hypnotisé. À la fin, on se réveille, on a déjà presque tout oublié, mais on est satisfait, un plan qui se déroule sans accrocs.
Le génie du maître est peut être là, le pouvoir hypnotique, parler à l’inconscient du spectateur plus qu’à son sens critique, faire naître une incompréhension chez lui, attiser son désir de savoir. Faire de lui un drogué avant de lui apporter la solution. Peu importe sa qualité, son manque est tel qu’il acceptera de sniffer de la farine coupée avec du banania.
Combien de fois encore regarderais je « le crime était presque parfait » ? Jusqu’à ce que je comprenne tout en sachant que je ne comprendrai jamais.
Et pourtant, ça tient… comme par magie. Une petite flamme échappée du cerveau du maître : y a-t-il quelque chose à comprendre dans une flamme ?
Edouard

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Les hommes qui n’aimaient pas les femmes

Mikael Blomkvist, reporter chez Millenium, un grand journal d’investigation suédois, est temporairement mis au tapis par un homme d’affaires auquel il s’est attaqué. Un soutien inattendu va lui arriver du nord du pays. Henrik Vanger lui apportera les éléments qui lui permettront de refaire surface s’il accepte d’enquêter sur la disparition de sa nièce. Dans ses recherches, Blomkvist sera assisté par une hackeuse : Lisbeth Salander.

Moins de trois ans après la première adaptation cinématographique de la saga de Stieg Larsson (publiée entre 2005 et 2007), David Fincher propose sa version du premier volet de la trilogie. On pouvait reprocher à l’adaptation très nordique de Niels Arden Oplev un manque de moyens, une fidélité peut-être un peu trop appuyée au roman original et une certaine lenteur dans l’action.

Fincher prend ses aises. On sent en effet plus de moyens et peut être une plus grande maîtrise du scénario.
Le titre en anglais est « The girl with a dragoon tatoo ». Le personnage principal pour le réalisateur américain n’est donc plus Mikael Blomkvist, mais Lisbeth Salander.

Rooney Mara fait ce qu’elle peut, mais trois obstacles l’empêchent de monter sur la première place du podium.

Le scénario d’abord. Larsson avait fait le choix de ménager son importance (dans le premier volet), ce qui la mettait en valeur sans trop l’exposer. En la poussant au-devant de la scène, Fincher lui met d’emblée la barre très haute.

Daniel Craig ensuite. J’avais un peu du mal à imaginer celui qui incarne en ce moment James Bond à l’écran dans le rôle de Blomkvist. Craig a beau faire tout ce qu’il peut pour s’effacer, on ne peut s’empêcher de lui trouver un air de 007. Pour couronner le tout, le générique très sophistiqué du début semble un copier/coller de ceux qui introduisent chacune des aventures du célèbre espion britannique.

L’ombre de Noomi Rapace enfin. La Lisbeth de l’adaptation de 2009 avait un charme animal extraordinaire, proche de celui de Milla Jojovitch dans le Cinquième élément.
Rooney Mara, en dépit de l’immense dragon tatoué sur son corps et de ses nombreux piercings, semble plus sage. Dans certaines prises, je lui ai trouvé des faux airs de Julia Roberts et avec la perruque blonde qu’elle porte à la fin, elle m’a fait penser à Mélanie Laurent.

Globalement, la version de Fincher reste tout de même un très bon divertissement. Pour la suite, j’aimerais bien qu’il réalise la scène de l’ouragan décrite par Larsson au début du deuxième tome. Peut-être faute de moyens, le réalisateur de 2009 l’avait escamotée.

Edouard

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Adèle Blanc-Sec

En 1911, la journaliste parisienne Adèle Blanc-Sec décide d’aller en Égypte pour voler une momie susceptible de rendre la vie à sa sœur plongée dans un profond coma à la suite d’un stupide accident de tennis.

Inconditionnel d’Adèle, de la série et du dessinateur Jacques Tardi, je ne pouvais pas manquer le dernier Besson. En y allant, j’étais tout de même un peu méfiant, me demandant si le réalisateur de Léon et de Nikita serait à même de retranscrire à l’écran l’univers du très pacifique Tardi.
Et bien, mes craintes étaient sans fondements, « Les aventures d’Adèle Blanc-Sec » est une réussite totale.

Au début, il est vrai, on n’est pas tout à fait dans la veine de la BD et on se demande si Besson n’a pas transformé notre Adèle en une sorte de Lara Croft à la française. Mais lorsque Adèle revient à Paris, tout est là, du savant inconséquent au méchant plus qu’affreux (Mathieu Amalric) en passant par le monstre préhistorique, l’amoureux transi, le policier stupide, le chasseur cinglé (incarné par Jean-Paul Rouve…génial) et les momies. Tout ça avec les tronches à coucher dehors des protagonistes masculins (les mêmes que dans la BD) et dans un scénario foutraque comparable à ceux des albums.

En effet, Besson n’adapte pas un album particulier, mais picore à droite, à gauche : ici, le ptérodactyle, là les momies, là encore la sœur jumelle… Mais il fait bien et à cet effet, on peut dire que le film est à l’héroïne de Tardi ce que « mission Cléopâtre » d’Alain Chabat à Asterix : la fidélité à un univers plus qu’aux albums. Les fans y trouveront donc leur compte, mais aussi ceux qui ne connaissaient pas Adèle et qui entreront peut-être plus facilement dans l’univers synthétisé et actualisé du film que dans la BD qui manque un peu d’homogénéité (9 albums en 31 ans, de 1976 à 2007).

Un petit mot sur Adèle pour finir. Louise Bourgoin est très bien en femme libre à l’aplomb démesuré, en décalage avec son époque, mignonne, mais pas trop sexy, qui fume dans son bain et qui cherche avant tout à ce qu’on lui foute la paix. Louise Bourgoin est peut-être un peu plus dynamique qu’Adèle, mais ce n’est pas plus mal comme ça. L’Adèle du film s’affranchira-t-elle de l’Adèle de la BD ? On verra ce qu’en fera Besson qui semble nous indiquer à la fin du film la possibilité d’une suite.
Edouard

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