C’est le coeur qui lâche en dernier

Cette vieille dame (elle a mon âge) écrit des dystopies. Contrairement à l’utopie, la dystopie raconte des histoires terrifiantes,
et se veut une critique de notre société.
J’avais eu de la peine à arriver au bout de La servante écarlate, gros succès de librairie de longue date, avec un rebond récent
grâce à la série TV.
Prenant mon courage à deux mains, je me suis lancé dans la lecture du petit dernier de miss Atwood: C’est le coeur qui lâche en dernier.
Au bout de 80 pages, je jette l’éponge. KO technique. Notre société va-t-elle vraiment aussi mal? Les critiques parlent de chef d’oeuvre,
d’auteure géniale, grande dame de la SF, nobélisable (!), candidate au Prix Femina…
Petite question à mes amis lecteurs: sont-ce mes neurones qui lâchent? Le coeur va bien, merci.

Depuis ce coup de mou, j’ai entamé Petite Poucette de Michel Serres.
Un vieux monsieur autrement plus optimiste que la Canadienne précitée.

Amitiés revigorées,

Guy.

Margaret Atwood
10-18
2018

Selon saint Marc

Fond et forme du plus ancien des évangiles.
Petit rappel : le Nouveau Testament est constitué de quatre évangiles. Les trois premiers de Marc, Matthieu et Luc sont dits « synoptiques » et semblent se référer à une source commune. Celui de Jean, beaucoup plus mystique, est très différent et sera écrit postérieurement.
Le succès du christianisme est lié à la personne de Jésus bien entendu, aux voyages de Saint-Paul, mais aussi aux évangiles qui seront de véritables best-sellers.
Un évangile ne se contente pas d’énumérer une succession d’événements. Sa structure obéit à une logique qui vise à transmettre un message à un public déterminé. Son but est de convaincre et d’inviter le lecteur à la conversion. Ainsi, si saint Matthieu multiplie dans son évangile les références à la tradition juive, c’est parce qu’il s’adresse en premier lieu à des juifs. À l’inverse, ces références n’auraient aucun intérêt pour Marc qui s’adresse à des Romains, elles pourraient même être contre-productives.
Le printemps dernier, est sorti un très beau film sur « Marie-Madeleine ». Jésus, incarné par Joaquin Phoenix, y apparaissait comme une sorte de guérisseur et son apparence physique était très éloignée de la représentation habituelle du Christ. Pourtant, ce personnage paraîtrait très crédible pour l’évangile de Marc.
L’ouvrage est construit comme un roman d’action. Les scènes très construites, parfois violentes, les pouvoirs extraordinaires de guérisseur et d’exorciste de Jésus, sa capacité à marcher sur l’eau, à calmer la tempête, à multiplier les pains… voilà ce qui impressionne les romains et qui peut les faire adhérer au projet chrétien. Les Romains voient alors un genre de « demi-dieu » dans le personnage de Jésus, une sorte d’ « Hercule » ou d’« Achille ».
Lorsqu’il ne guérit pas les malades, Jésus s’isole avec ses disciples, souvent en barque. Et là, Sandro Veronesi éclaire un point qui m’obscurcit la tête depuis 30 ans. Pourquoi Léonard Cohen raconte-t-il dans « Suzanne » que Jésus était un marin (and Jesus was a sailor when he walked upon the water…) ? Effectivement, si tout le monde a retenu que Jésus marchait sur l’eau, peu de gens ont remarqué qu’il passait aussi beaucoup de temps dans une barque.
Une scène de l’évangile de Marc qui m’a particulièrement marqué et fait penser à « game of thrones » est celle du miracle raté. Peu avant Pâques, Jésus dit qu’il a faim. Il tend le bras vers les branches d’un figuier, mais ne trouve pas de fruit. C’est normal, la figue est un fruit d’automne, ça n’a pas changé depuis 2000 ans. Sauf que Jésus se met en colère et maudit le pauvre figuier qu’il retrouve tout ratatiné le lendemain. On ne sait pas vraiment ce qui s’est passé. On dirait qu’il y a eu un bug dans les super pouvoirs du demi-dieu, mais que ça a quand même un peu marché pour la malédiction. Les apôtres n’osent rien dire. Ce que je retiens, c’est que placer cette scène juste avant l’entrée dans Jérusalem, annonce le déclin que le Christ va vivre pendant sa passion. Du point de vue de la construction littéraire, c’est génial.

Édouard

Sandro Veronesi
Grasset
2018

Lire!

L’émission Apostrophes eut ses heures de gloire de 1975 à 1990.
Bernard Pivot est resté une figure populaire. Académicien Goncourt, il continue ses activités
littéraires.
Avec sa fille Cécile, il nous raconte son amour des livres, avec des photos drôles ou émouvantes.
Un livre à feuilleter avec tendresse, indispensable pour les amoureux de la lecture.
Vous est-il déjà arrivé de vous trouver en présence d’un lecteur ou d’une lectrice, que ce soit dans un train ou un lieu public? La curiosité ne vous pousse-t-elle pas à lire au moins le titre du livre?
Eh bien, posez-lui la question. L’inconnu(e) s’empressera de vous montrer la page de couverture.

Extrait:
« Les gens qui lisent sont moins cons que les autres, c’est une chose entendue. Cela ne signifie pas que les lecteurs de littérature ne comptent pas d’imbéciles et qu’il n’y a pas de brillantes personnalités chez les non-lecteurs. Mais, en gros, ça s’entend, ça se voit, ça se renifle, les personnes qui lisent sont plus ouvertes, plus captivantes, mieux armées dans la vie que les personnes qui dédaignent les livres. »

Amitiés confraternelles!

Guy.

Bernard Pivot et sa fille Cécile Pivot
Flammarion – 191 p.

Illuminati

Comment une société secrète autrichienne ayant eu à peine une dizaine d’années d’existence peu avant la Révolution française a-t-elle pu devenir une usine à fantasmes complotistes au XXIe siècle ?
Philippe Liénard est franc-maçon et écrit des livres sur la franc-maçonnerie. Je n’avais jamais vu un livre typographiquement aussi dégueulasse : les coquilles et fautes d’orthographe sont légion. Le livre comporte aussi de grosses erreurs historiques et culturelles : confusion entre 1er empire et 1re république, référence à « Georges Orwell, auteur du roman 1987 » (il faut le faire) …
Sur le fond, c’est moins pire. Même s’il n’écrit pas très bien, l’auteur semble relativement sérieux. Les sociétés secrètes n’existent que par leurs structures hiérarchisées, leurs rituels et leurs adeptes. Les longues descriptions des grades sont pour le moins rasantes. À l’inverse, sa condamnation à la fin de l’ouvrage des petites escroqueries complotistes qui pullulent sur le WEB est salutaire.
Ce qui m’a le plus intéressé dans cet ouvrage est la distinction qu’il fait entre lucifériens et satanistes.
Satan, c’est clairement le mal : meurtre, viol, inceste, torture… et tout ce qu’une société considère comme tel à une époque donnée.
Lucifer est plus complexe. Étymologiquement, son nom signifie « porteur de lumière », une signification très noble pour moi, loin d’être associée au mal tel que je l’imagine. Lucifer est un ange déchu. Comme Prométhée dans la mythologie grecque, Lucifer est celui qui donne aux hommes les moyens lui permettant de s’élever au-dessus de la divinité. Dans l’histoire de la chrétienté, les hérésies et tous les systèmes de pensée jugés comme étranger au dogme de l’Église devaient craindre les flammes de l’enfer.
Le XVIIIe siècle aura été celui de l’affrontement à mort de l’Église et de Lucifer, par le biais des lumières, l’âge d’or des sociétés secrètes, des francs-maçons et autres Illuminati et se matérialisera dans la Révolution française et l’indépendance des États-Unis. Toute pensée un peu originale continue aujourd’hui à susciter la méfiance dans certaines communautés chrétiennes. Au sein de l’Eglise, les jésuites ont longtemps senti le soufre… jusqu’à ce qu’un jésuite arrive au Vatican.
Au XXIe siècle, le débat n’est plus le même. Le nouvel ordre mondial ourdi par le complot judéomaçonnique et dirigé par les Illuminati est un fantasme typique d’un village planétaire en quête de sens et terrorisé par son avenir. Les Illuminati sont en nous. Soyons tous responsables, car nous sommes les seuls maîtres à bord.

Édouard

Philippe Liénard
Jourdan
2018

Start-up

Trouvé ceci dans « À mots découverts » du toujours spirituel Alain Rey

Plusieurs auditrices et quelques auditeurs se préoccupent du vocabulaire d’Internet, qui devient de plus en plus incontournable, comme on dit, mais qui nous asperge d’un franglais indiscret.
L’une des questions qui revient le plus souvent, à côté des e-mails qu’on aime traduire en courriels, à la québécoise, est celle du remplacement possible de start-up. Ces jeunes sociétés avides de profit et qui se développent avec une rapidité impressionnante ont paresseusement conservé dans notre langue si accueillante leur désignation américaine. Nous connaissions déjà quelques mots issus du verbe anglais to start, qui signifie « partir, démarrer », par exemple le starter des automobiles et celui des stades, ou encore la starting gate des champs de courses. Start-up, que vous pouvez toujours prononcer « startupe » pour montrer que vous savez l’écrire, ne veut pas dire grand-chose de précis. Le vocabulaire des affaires et de la finance américaines utilisait le mot bien avant les « nouvelles technologies » et la « nouvelle économie » (qui ne peut être qu’une new economy…) à propos de sociétés pétrolières à développement rapide. Aucune idée de jeunesse ni de croissance, comme dans le gracieux « jeune pousse » que l’Administration française favorise, mais simplement un démarrage rapide.
Il semble que la Bourse suggère aux Français des idées botaniques et jardinières, puisque l’une de mes correspondantes me suggère par une carte postale exotique et charmante le mot turion. Ce latinisme de botaniste existe en effet depuis le XVIe siècle et signifie justement « jeune pousse » ; il est bref, sonore, mais un peu rare et précieux. Il évoque, parmi les végétaux, les bourgeons de ce qui va devenir succulent, l’asperge. Si le ou la start-up – grand inconvénient de l’anglicisme, le genre flottant – est, à son démarrage, un turion, il ou elle pourra devenir une grande asperge, ce qui n’est pas forcément la gloire. Décidément, ce turion latin serait plus goûteux et plus ironique que la banale start-up franglaise.

Comment se porte votre turion, mes jeunes amis?

Guy.

L’homme inquiet

La dernière enquête du commissaire Kurt Wallander, parue en 2009.
L’homme inquiet, c’est le commissaire âgé de 60 ans, et c’est l’auteur qui à l’époque se savait atteint d’un cancer. Il est mort en 2015.
Les derniers livres de Mankell sont beaucoup teintés par l’angoisse de l’âge et de la maladie, comme Les chaussures italiennes et Les bottes suédoises.

Il enquête ici sur la disparition du beau-père de sa fille Linda, un ancien officier de la marine suédoise, avec qui Wallander avait échangé quelques souvenirs
de la guerre froide. L’enquête se corse quand la femme de l’officier est retrouvée morte…
La qualité du livre ne tient pas tant à l’intrigue qu’à la justesse des rapports de Wallander avec sa fille, son beau-fils, son chien (hé oui), ses collègues.
La rencontre avec son ex-épouse Mona, la visite d’une ancienne fiancée-amie atteinte d’une maladie incurable, tout cela n’est guère réjouissant, mais cela
sonne juste. L’homme inquiet lui-même est menacé par le diabète et la démence.
L’histoire se passe en été, les orages se multiplient dans et autour du commissaire.
Un très beau livre-testament.

Amitiés anxieuses,

Guy.

Henning Mankell
Seuil Policier
551 p.