Stockholm

Quand l’avion a commencé sa descente, en voyant tous ces lacs et toutes ces forêts, je me suis senti Nils Holgersson, juché sur son oie sauvage. En arrivant au centre-ville, je me suis senti Batman à Gotham city. Si Copenhague m’a émerveillé, Stockholm m’a envoûté : par sa configuration géographique tout d’abord avec les îles de toutes tailles qui composent la ville. Les rues sont propres et l’air est d’une incroyable pureté (ça, on s’en rend bien compte en rentrant à Paris). Et puis, il y a le design : partout fleurit cette nature-bis, dans les parcs, dans les rues, dans les immeubles, dans les stations de métro… Les deux natures se complètent harmonieusement, chacune mettant l’autre en valeur. Je ne sais pas s’il est possible de tout voir, de tout connaître de Stockholm. Pour moi, c’est une ville aux mille visages, un peu comme Paris, Londres ou New York et son charme provient en grande partie de cette insaisissabilité.
Pour ma part, c’est sans conteste Södermalm ma préférée, là où Stieg Larsson situe les appartements de ses deux héros ainsi que le siège de Millenium et là où il a écrit sa saga. Le dernier étage de Fotografiska, le café String avec toutes ses chaises et tables dépareillées, la colline de Vita Bergen avec ses jardins ouvriers…j’étais comme Ulysse chez Circé, presque décidé à ne pas m’en aller. Heureusement, j’y suis parvenu, il y a plein de choses aussi sur les autres îles : les ruelles de Gamla Stan où la ville d’origine a été construite au XIIIe siècle, bien après l’époque viking ; le musée d’art moderne de Skeppsholmen ; le parc de Djurgården ; le musée Strindberg sur Normallm…je rentre avec le sentiment de ne pas avoir vu le centième de ce qu’il fallait voir, mais aussi avec la ferme intention d’y retourner.
Vivre au pays du prix Nobel, d’Ikea, d’Abba et de Millenium ? La langue ne m’a pas semblée très abordable, pas de racines latines bien entendu, mais des racines germaniques peu ou pas identifiables. Il y a aussi le climat, on est quand même très au nord, globalement à la latitude de Saint Petersbourg, l’été est court et l’hiver est une longue nuit glaciale, la météo est aussi capricieuse. Il y a eu un orage le dimanche matin et quand Thor s’énerve, ça ne rigole pas : les familles se réfugiaient dans le métro et les petits Suédois pleuraient en se bouchant les oreilles, je n’ai jamais vu de telles trombes d’eau s’abattre en si peu de temps.
J’ai toujours pensé que ce climat expliquait en partie la rudesse des sagas nordiques, pleines de violence et de fureur, dans un cycle permanent de fins du monde, de luttes des dieux perdues d’avance et de renaissances. C’est une autre aire culturelle, la dernière d’Europe à avoir été peuplée a la fin de la dernière glaciation, une région située bien au-delà des frontières de l’Empire romain et la dernière à avoir été christianisée. Nombre d’historiens estiment d’ailleurs que l’identité viking s’est en partie forgée en réaction aux politiques d’évangélisation musclées menées par Charlemagne. Si vous voulez voir des vitraux, inutile de les chercher dans les nombreuses églises, il n’y en a pas. Par contre, il y en a de très beaux dans la cage d’escalier « art nouveau » de l’immeuble du musée Strindberg. Rigueur protestante oblige, il n’y a peut-être que dans les édifices religieux que le design se fait discret.

Edouard

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Copenhague

Mon voisin, un sexagénaire qui commande un whisky et un verre de vin blanc, potasse pendant toute la durée du vol un guide touristique sur la Norvège. Je me suis demandé si je ne m’étais pas trompé d’avion, mais non, le Danemark était bien la destination. Une certaine routine encadre mes voyages, celle de tout touriste : atterrir, sortir de l’avion, retrouver ses bagages, tirer de l’argent à un distributeur (le Danemark n’est pas dans la zone euro), acheter un billet pour le centre-ville (la ligne de métro 2 vous amène en 15 minutes à Kongens Nytorv), trouver son hôtel, poser ses bagages…il faut aimer les rituels pour aimer les voyages. Vient ensuite la seconde étape consistant à poser les autres bagages, ceux qui nous ont accompagnés à Roissy et qu’on aurait bien laissés, ceux de la vie de tous les jours : il m’a fallu un certain temps pour poser les tableaux Excel et les SOMMEPROD du boulot. Ceux-ci s’évaporent petit à petit lorsqu’on commence à prendre conscience de la géographie de la ville, à avoir quelques repères, à être moins crispé sur le plan : il n’est pas simple de s’y retrouver entre tous ces canaux, d’autant plus que la ville est en pleins travaux, l’extension du métro devant se poursuivre jusqu’en 2018. En allant voir la petite sirène, mon guide serré sur le cœur, les bagages étaient encore là : « Je ne choquerai personne en disant que la petite sirène ne présente pas un intérêt sculptural exceptionnel, abandonnée sur son rocher à l’écart de la ville, elle semble s’ennuyer comme un rat mort, n’ayant pour toute compagnie que des groupes de touristes qui ne parlent pas sa langue ».
Ceci dit, la promenade le long de la mer valait le coup, tout comme le parque du kastellet qui jouxte la statue. De retour, quelque chose avait changé et je repensais au toit de la bourse formée de quatre pattes de dragon torsadées se terminant en pointe ainsi qu’à la flèche de l’église Notre-Sauveur de Christianshavn aux allures de tour de Babel. Tout ça était…merveilleux. Le mot magique était lâché, le dernier bagage était en passe de toucher terre.
L’émerveillement n’est pas vraiment dans ma nature et il est de bon ton en France d’adopter une position blasée, désabusée, de peur de passer pour l’idiot du village. Pourtant, la magie a fait son œuvre et je me suis mis à m’émerveiller de tout : des cabanes délabrées de Christiana, de la corne de Narval conservée au musée national, de l’esprit très Méliès du parc de Tivoli (avec un gros petit faible pour les montagnes russes), de la salle du trône du palais de Rosenborg, des couronnes royales, des boutiques de Storget et en particulier celles de la fameuse marque de briques emboîtées et colorées créée par Ole Kirk Christiansen en 1932, devenue un élément essentiel de l’univers ludique des 4-12 ans…
Je me suis tellement émerveillé que j’ai commencé à m’émerveiller sans m’en rendre compte, ne sentant plus qu’une vague torpeur, un sentiment de bien-être permanent, sans doute celui dont parlait mon guide, marchant insouciant, bercé par les chanteurs du Holmens Kanal, par les couleurs ocres des maisons, par les bateaux se faufilant entre les canaux et par la valse continuelle des vélos (on pense beaucoup à Amsterdam). Mais tout ça ne pouvait durer, l’heure du départ approchait et de nouvelles aventures m’attendaient.

Edouard

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Némésis

Présenté par Philip Roth comme son dernier roman, celui-ci m’a laissé sceptique et déçu.
Été 1944.
Les troupes américaines ont débarqué sur les côtes normandes.
Bucky Cantor est réformé à cause de sa mauvaise vue.
Dans le quartier juif de Newark, il fait merveille comme moniteur sportif.
Les gamins l’adorent, il a toutes les qualités d’un meneur.
Quand une épidémie de poliomyélite se déclare, il continue ses animations, malgré la contagion.
Sa promise, la belle Marcia, le supplie de la rejoindre dans un camp de vacances
Ce qu’il finit par accepter, malgré un terrible sentiment de culpabilité.
Quand l’épidémie se déclare dans le camp, il prendra sur lui la responsabilité de l’introduction du virus.
Atteint à son tour par la maladie, il rompt avec Marcia, et s’enfonce dans la solitude.
Némésis, c’est la déesse grecque de la justice.
La religion judéo-chrétienne a fait de la culpabilité son fonds de commerce.
Le péché originel…
Déception de voir le grand écrivain juif arrivé à l’hiver de sa vie nous servir ce genre de cocktail.
On l’a connu paillard, explosif, imaginatif, créatif, hédoniste.
La mèche serait-elle en train de s’éteindre??
Amitiés interrogatives,
Guy.
Philip Roth – Folio – 266 p.

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De la mort volontaire au suicide au travail

Le titre n’est ni très sexy ni très explicite. D’autres indices présents sur la couverture permettent d’y voir un peu plus clair : le nom de l’auteur, Junko Kitanaka, qui fleure bon le pays du soleil levant et le sous-titre « histoire et anthropologie de la dépression au Japon ».
Sans vouloir donner de leçon aux éditions d’Ithaque qui font un travail extraordinaire de traduction dans le domaine de l’anthropologie psychiatrique, il me semble qu’un titre comme « du hara-kiri au burn-out » aurait été plus accrocheur pour un public occidental.
L’auteur démontre ici que la compréhension du suicide comme degré ultime d’une dépression, elle-même induite par des contraintes extérieures à l’individu (en particulier des conditions de travail inacceptables) n’a été intégrée par la société japonaise qu’il y a une vingtaine d’années.
Pour comprendre, il faut revenir au début du XIXe siècle avec le ki-utsu, état comparable alors à ce que l’occident nommait « mélancolie » ou « neurasthénie ». Le « ki », dont est largement inspirée la « Force » de Star-Wars, était une sorte de fluide harmonieux qui était à l’origine de l’harmonie universelle. Un individu déprimé était victime d’une stagnation du « ki ». À côté existait une conception du suicide popularisée en occident par le hara-kiri, répondant à un code d’honneur, synonyme de courage et de détermination.
À partir des années 1850, le Japon entre dans une ouverture forcée à la culture occidentale, le « ki » et tous ses attributs magiques sont abandonnés et le hara-kiri est officiellement interdit en 1868. Le modèle occidental par excellence est pour les Japonais le modèle allemand. En matière de psychiatrie, le Japon adoptera donc les théories du tout génétique qui auront en Europe les conséquences désastreuses que l’on connaît. Jusque dans les années 50, les statistiques étant essentiellement effectuées dans les asiles, tout accréditait la thèse du « dépressif » comme « être psychiquement diminué dans sa constitution ».
Avec l’arrivée des neuroleptiques, la donne change un petit peu, le champ d’investigation s’élargit et on se rend compte que les « dépressifs » sont très souvent des gens ordinaires a priori bien intégrés dans la société. Ceci dit, les traditions ont la dent dure, le suicide de l’écrivain Yukio Mishima en 1970 est à ce titre symptomatique. Pourtant, les psychiatres japonais évoluent et le lien entre suicide et dépression devient une évidence.
Dans les années 90, le Japon traverse une crise économique sans précédent. Les suicides de travailleurs se multiplient. En 1996, pour la première fois, une société japonaise (Dentsu) est condamnée à une lourde peine consécutivement au suicide d’un de ses employés. Je ne sais pas dans quelle mesure cette affaire inspirera Amélie Nothomb, toujours est-il qu’elle publiera « stupeur et tremblement » en 1999, faisant découvrir au public occidental les conditions de travail insupportables des Japonais. Le Japon ne semble pas aujourd’hui sorti de l’auberge, mais au moins semble-t-il remis sur les rails.
Junko Kitanaca
Ithaque
2014

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El fútbol a sol y sombra

Oui, j’aime encore le foot.
Connaissant mon peu de bases linguistiques en espagnol, un généreux ami uruguayen m’a fait parvenir la version électronique anglaise de ce livre.
Avec l’avertissement: ‘attention, marxiste pur et dur’.
J’ai  lu « Soccer in Sun and Shadow » avec le plaisir du gamin qui tape dans un ballon.

L’écrivain uruguayen a du style.
Surtout, il adore le fútbol.
Cet homme ne peut être mauvais.

La longue histoire du soccer regorge d’anecdotes.

La plus tragique: en 1942, en Ukraine occupée par les nazis, l’équipe du Dynamo Kiev est invitée à rencontrer les Allemands. Avec interdiction stricte de gagner. Emportés par le jeu, il gagnent. Les joueurs sont tous abattus d’un balle dans la nuque. On ne leur a pas laissé le temps de changer de maillot.

Moins tragique: en 1938, sous Mussolini, les Italiens bénéficient d’un coup de réparation. Le capitaine de l’équipe s’élance, l’élastique de son  pantalon  lâche, la foule hurle de rire, il retient son pantalon de la main gauche, et marque le but de la victoire.

Qu’importent les critiques sur la commercialisation à outrance de tout ce qui tourne autour du ballon rond.
Moi j’aime bien quand 22-2 types courent autour d’un ballon.

Un journaliste demanda un jour à Winston Churchil ce qui expliquait sa longévité.
Il répondit: Le sport. Je n’en ai jamais pratiqué.

Amitiés tactiques,

Guy

Eduardo Galeano

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The two faces of January

1962, Rydal (Oscar Isaac) vivote à Athènes en arnaquant les touristes jusqu’au jour où il croise la route de Chester MacFarland (Viggo Mortensen) ,un escroc de plus haut vol en voyage avec sa femme Colette (Kirsten Dunst).

Superbe adaptation du roman de Patricia Highsmith et magnifique mise en scène 60’s, très hitchcockienne (la musique fait beaucoup penser au maître). Trois niveaux de lecture.

Premier niveau, le film de truands avec violence, stress permanent, cavales et poursuites. Le rythme est haletant et on reste scotché de bout en bout. Les paysages de la Grèce et de la Turquie (le film se termine à Istanbul) des années 60 sont par ailleurs délicieusement vintage. Enfin, le soleil et la Méditerranée cristallisent le charme.

Deuxième niveau, Colette. Les deux hommes liés malgré eux l’un à l’autre la convoitent tous deux. A-t-elle vraiment un petit faible pour Rydal ou joue-t-elle cette comédie uniquement pour attiser la jalousie de son époux ? Peut-être aussi, comme le dit Chester, ne voit-elle dans Rydal qu’une porte de sortie inespérée qui lui permettra d’échapper à la spirale infernale dans laquelle le couple s’est engagé. Bien entendu, le scénario ne tranche pas et il reviendra à chacun de se faire sa propre opinion.

Troisième niveau, la relation qu’entretiennent les deux hommes. Tout comme « le talentueux Mr Ripley » (autre ouvrage de la romancière), ces deux hommes poursuivent une quête identitaire. On l’apprend au tout début du film, Rydal vient de perdre son père avec lequel il avait coupé les ponts. L’autobiographie servie au couple semble un peu romancée, mais cette histoire reconstruite et policée contient probablement quelques morceaux de vérité : il est peu vraisemblable qu’un père puisse obliger ses enfants à apprendre une nouvelle langue tous les mois, mais si ce n’est pas vrai, d’où lui vient son incontestable talent pour les langues ?

De l’histoire de MacFarland, on en sait encore moins. Le changement d’identité semble être devenu son quotidien et quand Rydal lui demande si « Colette » est le vrai prénom de son épouse, il se contente de lui jeter un regard condescendant. Chester déclame à un moment que son père était chauffeur routier. Bien entendu, on ne sait quel crédit accorder à cette affirmation qui a surtout pour but de mettre en évidence une qualité de self-made-man dont il est particulièrement fier. Entre ces deux déracinés, un lien étrange va se créer. Pour Rydal, Chester est un rival, une proie, mais aussi un aîné (une bonne quinzaine d’années sépare les deux hommes) qu’il admire est dans lequel il voit peut être un père de substitution (il se fera d’ailleurs passer pour son fils pour détourner l’attention des douaniers). Pour MacFarland, Rydal est un bleu, un rival de pacotille qu’il pourrait briser d’une pichenette, mais peut-être aussi un élève doué pour lequel il a une certaine affection.

Bref, un joli film très bien taillé : un travail d’orfèvre.

Edouard

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