Les présidents sans aura

Les trois présidents qui se partagent le podium de la longévité depuis 1958 (Mitterand, Chirac, de Gaulle) sont bien entendu différents, mais avaient pourtant quelque chose en commun : l’aura.
L’aura est une notion insaisissable, immatérielle, presque magique, intuitive. Avoir de l’aura, c’est s’inscrire dans un contexte particulier qui donne du sens à l’individu, qui permet à ses semblables de s’identifier à eux, de s’en sentir proches.
Je n’ai connu Mitterrand qu’avec mes yeux d’enfants et d’adolescent, mais j’écoutais les adultes et mes parents en premier lieu. Pour tout dire, il me foutait un peu les jetons. C’était un sphinx, une « force tranquille » attachée à la terre dans lesquels les Français se reconnaissaient. C’était l’homme solitaire un peu impressionnant vivant à l’extérieur du village, mais sans lequel ce dernier ne peut vivre. Dans un autre style, Chirac était un champion de l’aura rurale dont il jouait magistralement au salon de l’agriculture. Et de Gaulle savait lui aussi parler à la France.
Giscard a dû comprendre analytiquement qu’il fallait être proche, mais n’a pas su s’y prendre. Sarkozy a très vite donné l’impression qu’il s’était gouré de trottoir. Hollande s’est cassé les dents avec son « président normal ».
Macron était tombé du ciel. C’est important pour les Français, toujours à la recherche de l’homme providentiel. Il était jeune et ne semblait rentrer dans aucune case, les Français lui ont laissé sa chance. Mais il est rapidement apparu comme ces villes de l’Ouest américain qui semblent tout juste posées sur terre, sans âme, sans prise possible. Les Français ont tenté en vain de le cerner alors, leur incompréhension s’est traduite en haine.
On a beau être intelligent, la patine ne se marque qu’avec le temps. « La valeur n’attend pas le nombre des années » disait Corneille, mais la reconnaissance populaire n’est pas qu’une question de compétence. Peut être à t-elle d’ailleurs peu de choses à voir avec la compétence.
Tintin est incontestablement doué pour résoudre les énigmes, mais il est beaucoup trop lisse, trop fade pour qu’on puisse l’aimer. C’est Haddock qu’on adore et c’est pourquoi Trump sera peut-être réélu parce que les Américains ont l’impression de le connaître, de comprendre ce qu’il fait.
L’aura est elle une question d’inné ou d’acquis ? Il n’est bien entendu pas possible de répondre à cette question. Quoi qu’il en soit, les « gilets jaunes » auront certainement été un avertissement pour Macron, une chance qu’il devra savoir saisir. Si Sarkozy et Hollande avaient eu des « gilets jaunes », ils auraient pu trouver le moyen de rectifier le tir. Macron y arrivera-t-il ? Peut-être n’aura-t-il pas le temps. Il est possible aussi qu’il n’en soit pas capable.
Les Français ne sont pas pressés. Si Macron n’est pas le bon, ils en choisiront un autre, puis encore un autre, jusqu’à ce qu’ils trouvent celui qui les touchera sans avoir à leur parler.

Édouard

Mirage

Ce bon vieux Douglas nous a encore concocté une histoire à ne pas dormir debout.

Robyn (40 ans) et Paul (au moins 55 ans) débarquent à Casablanca pour un voyage en amoureux.
C’est Robyn qui raconte. Elle est follement amoureuse de ce second mari qui a promis de lui faire
un enfant. Ce voyage au Maroc débute comme une romance à la guimauve.
Arrivée sur place, elle découvre un secret que Paul lui cachait depuis de nombreuses années.
Devant la réaction de Robyn, Paul disparaît.
Et cela active l’engrenage.
Pensant suivre les traces de Paul, Robyn passera par Essaouira, Ouarzazate, pour s’enfoncer (dans tous les sens du terme) dans le Sahara.

On aime ou on n’aime pas Douglas Kennedy. Ses histoires racontent souvent les conséquences de mauvaises décisions, sans retour possible.

Le Maroc, en l’occurrence, ce très beau pays, avec une population beaucoup plus accueillante que
l’occidentale, sonne juste. La place de l’islam, le statut de la femme, le côté mercantile (les Marocains n’ont pas que des qualités…), tout cela est bien pointé.

J’ai passé un très bon moment, sans prise de tête.

Amitiés Inch’Allah,

Guy.

Douglas Kennedy – Belfond – 550 pages

C’est quoi le 11 novembre ?

Il y a cent ans, la fin de la Première Guerre mondiale ouvrit la porte à deux nouveaux acteurs qui s’imposeront progressivement au XXe siècle sur la scène internationale : les États-Unis en tant que puissance militaire et la Russie soviétique.
La Russie a été un allié précieux des Yankees lors de la guerre de Sécession en protégeant les ports de New York et de San Francisco. Au début du XXe siècle, les ennemis militaires de la Russie étaient le Royaume-Uni et la France qui avaient battu le tsar en Crimée. Les États-Unis, pour leur part, continuaient à se méfier de l’ex-puissance coloniale qui s’était abstenue, tout comme la France, d’intervenir dans la guerre de Sécession.
Les liens tissés entre la Russie tsariste et les États-Unis expliquent peut-être pourquoi ces derniers ne reconnaîtront l’URSS qu’en 1933 alors qu’Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. Quoi qu’il en soit, les deux puissances se retrouvent en 1945 et imposent leur leadership mondial.
La Guerre-Froide est généralement perçue comme une succession de tensions entre les deux superpuissances, mais elle peut être aussi vue comme un partage du leadership mondial.
Avec la chute de l’URSS au début des années 90, ce double leadership prend fin. Les États-Unis espèrent alors asseoir durablement leur posture de superpuissance unique, mais se voient progressivement concurrencés par de nouveaux acteurs parmi lesquels se trouve l’Union Européenne qui regroupe les vieux ennemis de la Russie et de l’Amérique et qui a de plus assimilé une partie des ex-satellites soviétiques d’Europe de l’est.
L’Amérique et la Russie d’aujourd’hui ne rêveraient-elles pas du retour du leadership bipolaire de la guerre froide ? Quand on voit d’un côté le président américain manifester sa défiance pour Thérésa May et son soutien appuyé à Boris Johnson alors même que le rôle joué par la Russie lors référendum pour le Brexit apparaît de plus en plus clairement, on est tenté de le penser. On est tenté de le penser également en observant la réaction épidermique de Donald Trump face à l’évocation d’une armée européenne par Emmanuel Macron. On est tenté de le penser en observant, son hostilité pour Angela Merkel. On a été enfin tenté de le penser lors de son affichage avec Vladimir Poutine dans une scénographie à la James Bond à l’occasion des derniers Jeux olympiques. Les deux hommes sont des enfants de la guerre froide (1946 pour Trump, 1952 pour Poutine) et sont sans doute nostalgiques du monde dans lequel ils ont grandi.
Le premier conflit mondial a marqué durablement l’occident : guerre industrielle, apparition de l’aviation sur le champ de bataille, Russie soviétique, arrivée des États-Unis sur la scène internationale, traité de Versailles qui contribuera à favoriser la montée du nazisme…tout le XXe siècle était là. Cent ans se sont écoulés et les protagonistes ne sont plus. L’Europe est pacifiée, l’URSS s’est effondrée, le nazisme a été écrasé, les Etats-Unis sont devenus la première puissance mondiale (jusqu’à quand ?). Il est temps de redonner du sens à la commémoration de ce conflit insensé qui causera la mort de 18,6 millions d’humains. Saluons la première édition du « forum pour la paix » qui sera ouvert par Angela Merkel cet après-midi pour que personne n’oublie le « plus jamais ça », seule mémoire désormais valable.

Un certain M.Piekielny

Si vous avez aimé La promesse de l’aube de Romain Gary, je vous conseille vivement
la lecture de cette petite perle d’un jeune auteur plein de talent.

À la page 64 de l’édition Folio de La promesse, on peut lire …Parmi les locataires du
n° 16 de la Grande-Pohulanka il y avait un certain M.Piekielny. Décrit comme une souris
triste, ce vieux monsieur lui demande un jour: quand tu rencontreras de grands personnages,
des hommes importants, promets-moi de leur dire: au n°16 de la rue, etc. (voir ci-dessus).
Et Romain Gary aurait parlé du petit homme à la Reine d’Angleterre, au général de Gaulle,
et à de nombreux personnages de l’ONU, ambassadeurs, dignitaires divers.
Je ne sais s’il faut faire entièrement confiance à Gary…

Les trois pages consacrées au petit homme disparu dans un four crématoire des nazis
ont inspiré au jeune François-Henri un livre d’une grande délicatesse.
Il laisse courir son imagination autant que Romain Gary, et j’ai trouvé le résultat stupéfiant.

On ne pourrait mieux s’exprimer que ce lecteur qui écrit sur Babelio, le site de lecture:

« Des digressions, des anecdotes aléatoires, de l’humour, une narration débridée et
un doux parfum de littérature. »

Guy

François-Henri Désérable
Gallimard Coll. Blanche