Le cheval qui méditait

Miguel de Cervantes (1547-1616) a mené une vie haute en couleur aussi aventureuse que celle de son héros Don Quichotte
de la Manche, le chevalier errant.
Fils d’un barbier-chirurgien, ou d’un chirurgien-barbier, il mène d’abord une vie aventureuse de soldat et participe à la bataille de Lépante
en 1571, où il perd l’usage de la main gauche. Cette main paralysée lui vaut le surnom de « Manchot de Lépante ». Le 26 septembre 1575, à son retour vers l’Espagne, il est capturé par les Barbaresques avec son frère, Rodrigo, et, malgré quatre tentatives d’évasion, il reste captif à Alger. En 1580, il est racheté en même temps que d’autres prisonniers espagnols et regagne son pays. Il se lance alors dans l’écriture.

Tout cela est raconté par son cheval, nommé Rossinante tout comme le destrier de Don Quichotte.
Mais ce Rossinante-ci est un cheval noble, un Cartujano (chartreux) qui possède le talent unique de comprendre le langage
des humains. Ce qui lui vaudra de recueillir les confidences de son maître. Et par après les confidences d’Amada, l’amour
secret de Miguel.

Pas vraiment un roman de cape et d’épée, ce livre bondissant fait revivre une époque florissante de l’Espagne.
L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte est considéré comme le premier roman moderne.
Une replongée dans ce grand classique fera d’autant plus apprécier les méditations du cheval.

Armand Herscovici s’est bien amusé. Je le soupçonne d’avoir fait des emprunts à quelques dictionnaires de gros mots:
Foutrebleu, crévindieu, jarnibleu, mouscouillousse, corbleu, mordiable, ventre-dieu…
Ah la puterelle, la bagasse, la gore pissoue, la géménée de godinette, niquedouille.

Notre sapristi semble bien pâlot tout d’un coup.

Extrait (c’est Rossinante qui raconte):

« Je me souviens de ces agréables journées champêtres où il se montrait babillard à l’extrême. Je prenais le plaisir habituel à l’écouter. Pourtant, une fois, je fus vite troublé par le côté extravagant
de ses propos. À présent, je connaissais l’homme, j’étais accoutumé à ses digressions parfois fantasques. J’avais appris à n’en retenir que la partie raisonnable. Mais là ,il franchissait les bornes.
À en juger d’après son discours cafouilleux, ses intentions me paraissaient aussi tarabiscotées qu’ahurissantes. Me fallait-il vraiment avaler tant de calembredaines? Faisait-il le faraud, me prenait-il
pour un bardot, ou envisageait-il sérieusement de mener à terme les fantaisies qu’il me décrivait? »

Pas mal, pour un cheval, même pur-sang.

Amitiés hippiques,

Guy.

Armand Herscovici

Aher (mai 2019)

De l’irresponsabilité collective en France

« Rendons à César ce qui est à César… ». Notre beau pays laïque et néanmoins pétri de culture chrétienne l’a bien compris : les affaires publiques relèvent de la sphère publique.

Doit-on en conclure que le citoyen français, par son comportement, n’est pas aussi responsable de l’état de la société dans laquelle il vit ?

Plusieurs interprétations de la parole de l’évangile sont bien entendu possibles, mais la passion pour l’État en France est telle que l’action des pouvoirs publics est objet de passion autant que de haine. Quant au devoir du citoyen vis-à-vis de la société, il n’existe pas. Son seul devoir étant la recherche du plaisir individuel. Le citoyen français n’agit ainsi pas parce qu’une chose est bonne ou mauvaise pour la société, mais parce qu’elle est autorisée ou non par les pouvoirs publics,étant entendu que toute action gouvernementale est systématiquement remise en question. Il résulte de cet état un lien malsain et infantile du citoyen français vis-à-vis des pouvoirs publics. Mais le temps passe et les jeunes générations prennent leurs distances avec cette relation de dépendance au pouvoir, incrustée dans les gènes de leurs aînés.

Le débat actuel sur le port du masque est à ce titre éloquent. Les anti masques se plaisent à le voir comme une contrainte imposée par les pouvoirs publics, un acte liberticide par nature. Le masque est tout autrement vu par une grande majorité de la population, un acte permettant de limiter la diffusion du virus, un acte solidaire visant en particulier à protéger les plus faibles, personnes âgées ou immunodéprimées qui ne survivraient pas à « l’immunité collective » dont rêvent les anti masques.

Oui, mais diront certains anti masques, ex anti confinement, ex gilets jaunes…mettre un masque, ce serait obéir au gouvernement et ça, c’est inacceptable.

Je leur répondrai que mettre un masque n’est pas un acte d’obéissance. Il est important que ceux qui les portent comprennent pourquoi et ne le portent pas uniquement pour éviter une amende de 135€. S’il est contraignant, le port obéit à une logique de protection sanitaire. Mettre un masque, c’est en effet un acte solidaire visant à permettre une sûreté collective dont tout un chacun est responsable.

De même, si l’appel au non-port du masque n’est pas sanctionné pénalement pour le moment, je le considère comme hautement répréhensible, encourageant les individus à mettre leur propre vie et celle des autres en danger. Même si la plupart des anti-masques n’en ont pas conscience, leur comportement eugéniste vise à obtenir l’élimination de tous les individus qui n’auront pas les défenses naturelles suffisantes pour atteindre l’immunité collective.

La santé publique est trop importante pour être dénaturée par des intérêts politiques. Les Français, je l’espère, arrêteront un jour de se voir comme les éternelles victimes d’un pouvoir autoritaire pour entrer enfin dans un monde dont ils seront les acteurs responsables.

Édouard

Isabelle, l’après-midi

Edouard le 06/09/2020

Au milieu des années 70, Samuel, un jeune américain de passage à Paris rencontre Isabelle. Elle est mariée et a 16 ans de plus que lui et ils vont vivre une passion singulière…jusqu’à ce que la mort les sépare.

Très intrigué par la critique de Guy, je me suis procuré l’ouvrage. Moi aussi il m’arrive de lire de temps en temps des bouquins de Douglas Kennedy. J’avais bien aimé « la femme du Vème » et j’en avais lu un autre avant dont j’ai oublié le titre. Ce n’est pas un très grand écrivain. Ou alors, il est mal traduit. Peut-être les deux. Les femmes y sont souvent folles et effrayantes. L’écrivain aime beaucoup Paris, mais je trouve que le Paris de carte postale pour Américains qu’il décrit, fait très « cliché ». Enfin, ça se laisse lire.

Il y est question d’un temps qu’il n’est possible de comprendre qu’avec l’âge. Bien plus qu’un ouvrage sur la relation entre Sam et Isabelle, « Isabelle l’après- midi » conte l’histoire d’une vie amoureuse, celle de Sam en l’occurrence et accessoirement celle d’Isabelle.

Si la vie amoureuse de certains est linéaire (« rencontre- mariage- enfants- éducation des enfants- mariage des enfants- petits-enfants… ») comme dans la chanson « quatre murs et un toit » de Benabar, elle l’est beaucoup moins pour Samuel.

Comme toujours, le hasard et les circonstances tiennent une part prédominante et tissent l’univers affectif de Samuel. Tous ses liens immatériels qui se créent on ne sait comment s’accumulent au cours des années pour former un patchwork hétéroclite. On a l’impression qu’il n’a aucun libre arbitre et qu’il se laisse passivement mener par les événements, ce qui rend son personnage très insipide.

Les choses sont différentes pour Isabelle. La vie linéaire, elle là, mais elle ne la satisfait pas. Toutefois, par lâcheté comme elle l’avouera, elle ne se résoudra jamais à abandonner la situation sociale et le confort que lui apporte son mariage. C’est peut-être là qu’ils se rencontrent, dans la frustration qui accompagne nécessairement toute relation amoureuse. Lui rêve de la vie linéaire qu’elle ne supporte plus.

Leur relation restera dans l’ombre jusqu’au bout et Samuel gardera le statut de l’amant dans le placard. Il n’en reste pas moins que le lien les unissant ne cessera de se renforcer. Une liaison aussi difficile à qualifier d’amoureuse qu’amicale. Quelque chose de particulier, d’indéfinissable, d’inclassable, comme le sont en définitive toutes les relations amoureuses.

Guy le 20/08/2020

Depuis une vingtaine d’années, je lis de loin en loin un livre de Douglas Kennedy.
Le premier (la poursuite du bonheur) m’avait emballé.
D’autres un peu moins.

Isabelle fait désormais partie de mon trio de tête.
Sans doute qu’à l’approche de mes 80 ans je reste un indécrottable romantique.

Sam, 20 ans, réalise son rêve: séjourner à Paris avant de commencer ses études de droit à Harvard.
Nous sommes au début des années 70.
Pas encore de tablettes, pas d’Internet, pas de smartphones, pas d’ordinateurs.
Il rencontre Isabelle, qui a 16 ans de plus que lui.
Pour lui, c’est l’amour total. Pour elle, c’est au départ une récréation.
Elle est mariée, avec un homme fortuné qui la trompe sans vergogne.
Avec Sam, la règle est claire pour elle: deux fois par semaine 2 heures de passion commune.
Rapidement, Sam n’en peut plus, et il retourne aux États-Unis.
Il va y parcourir le cursus classique: études, mariage, paternité.
Mais…

Comme dans ses autres livres, l’ami Douglas mène son lecteur par le bout du nez.
Sur un scénario somme toute classique, tel le petit Poucet il sème les coups de théâtre.
Oui, par moments, je me suis exclamé: mais ce n’est pas possible.

Une histoire drôlement bien ficelée, qui change un peu du climat de violence de nombreux livres actuels. Bien sûr, ce n’est pas le chef d’oeuvre du siècle.

Mais il fait passer un bon moment avec ce qu’il faut d’érotisme, d’émotions, et de questions existentielles.

Dernières phrases du livre:

« L’espoir, inépuisable. Était-ce possible? Pourrions-nous trouver le moyen de nous rendre heureux?

Et nous prouver , par la même occasion, que nous ne sommes pas seuls dans les ténèbres…?
C’est ce que nous cherchons tous.
N’est-ce pas? »

A vous de deviner si Isabelle fait partie de ce scénario.

Amitiés intercontinentales,

Douglas Kennedy – Belfond

Les gilets jaunes à l’épreuve de la pandémie

Ils fleuraient bon la lutte sociale à l’ancienne à l’automne 2018, d’autant plus que la hausse du carburant apparaissait comme une cause très légitime. Macron, au cours des premiers mois de son mandat, avait lui aussi su trouver les mots injustes même s’il n’est peut-être pas entièrement responsable de la haine sans borne qu’il a attirée sur lui. Le mouvement se cristallisa rapidement autour de sa personne et, bien qu’il ait inlassablement demandé sa démission pendant des mois, je doute qu’il ait pu survivre sans lui.

On parlait de dictatures, de violences policières, mais leurs comportements finirent par lasser. La mayonnaise ne prenait pas. Sans but précis, sans leaders, ils finirent par ressembler au cavalier sans tête de Sleepy Hollow et s’évaporèrent dans la chaleur de l’été 2019. Ils ne retrouvèrent pas leur vigueur des origines à la rentrée même si une autre lutte sociale « à l’ancienne » les aida à reprendre un peu du poil de la bête. Le blocage des transports, un grand classique aussi de la lutte sociale. La nostalgie de 95 n’était pas loin. Mais 25 ans plus tard, le blocage des transports n’avait plus la même signification. Les pauvres en furent les premières victimes.

Et puis, à la fin de l’hiver, un phénomène inédit frappa la planète. Pour y faire face, un procédé venu d’un autre âge, mais qui fait toujours ses preuves fut mis en place par le gouvernement : le confinement. Cette mesure « liberticide » avait de quoi raviver la flamme contestataire des plus jeunes opposés à toute forme d’autorité, mais également des plus vieux, bercés dans leur fougueuse jeunesse par « l’interdit d’interdire ». On pouvait à nouveau crier à la dictature.

Un bémol de taille demeurait, la mesure avait été prise dans un but de protection sanitaire. Donc, un seul moyen pour continuer le combat, dénoncer la surestimation du danger de la maladie par le gouvernement voire, nier son existence si possible. L’exercice était périlleux. Impossible par exemple pour les adorateurs du « mage des pauvres », Didier Raoult, de nier l’existence de la maladie.

Cependant, minimiser la maladie est une idée séduisante, car la maladie fait peur, beaucoup plus que le vaccin imaginaire de Bill Gates. À partir du moment où l’on a décidé que toutes les sources sont  fausses et qu’on a plus aucun référentiel de réalité, on choisit la vérité qui nous plaît le plus. Mais les avis seront de plus en plus divisés, d’autant plus si certain d’entre eux font partie du personnel médical, ont eux-mêmes attrapé le virus ou ont des proches qui l’ont attrapé.

Bref l’engouement initial n’est plus là. Les gilets jaunes survivront, toujours moins nombreux et toujours plus radicalisés. Et puis, le rejet des élites reste une thématique porteuse et Macron est toujours là. Qu’ils se rassurent, le traitement de la pandémie par le gouvernement semble jugé favorablement par les Français et l’éventualité d’une réélection se profile. Il leur reste donc peut-être quelques années à vivre.

Édouard