Je vais mieux

Une vraie lecture de vacances. Il m’est arrivé une drôle d’histoire avec ce livre du genre léger.
Cherchant à ne pas trop me fatiguer par une température de près de 35°, j’ai choisi cette œuvrette dans la bibliothèque et au bout de 25 pages, il m’est apparu que je l’avais déjà lue.
Cela date de 2013, nous sommes en 2016: il me vient des doutes à propos de la fiabilité de ma mémoire. Explication probable: une surchauffe des neurones.

Tout roule pour le narrateur. Son travail, son couple, ses deux enfants jeunes adultes.
Mais un jour, il se retrouve avec un mal au dos, qui va le mener chez de (vrais) docteurs, puis chez une magnétiseuse,  un psychologue, un ostéopathe. Entretemps, il perd son travail, sa femme, mais pas son mal au dos. Quand il aura compris, il aura trouvé du travail, une nouvelle compagne, et oublié ses lombalgies. C’est léger, plutôt narcissique, on ne se prend pas la tête.
Foenkinos a fait mieux depuis, et je suis pour ma part réconcilié avec mes troubles mnésiques.

Amitiés Alzheimer,

Guy

David Foenkinos – Folio – 371 p.

Je m’en vais

Prix Goncourt, et meilleur livre de l’année pour la revue Lire en 1999.

Voilà un auteur qui mérite d’être (re)connu. Un style clinique, un détachement étonnant, et, sur la pointe des pieds, j’oserais le comparer à Albert Camus (L’étranger),  avec ici l’humour en prime.

Le personnage principal, Ferrer, ouvre le livre en annonçant son départ à sa femme Suzanne.
Il dirige une galerie d’art qui tient le coup grâce à quelques ‘vedettes ‘ aussi folkloriques que dépourvues de talent authentique. Son assistant lui parle un jour d’un cargo qui n’attend que la visite de celui qui voudra mettre la main sur un chargement d’antiquités paléobaleinières (!) Seulement, ce navire est coincé par les glaces au pôle Nord. Et le voilà parti pour une aventure burlesque et totalement irréaliste. L’anecdote a au fond peu d’importance. Le style par contre se révèle fulgurant.
Le lecteur rit tout bas, et pourtant il s’agit de l’histoire d’un paumé. Les femmes qui croisent sa route se montrent aussi cocasses qu’imprévisibles. Les méchants sont de vrais méchants, mais on a de la peine à leur en vouloir.

La dernière phrase du livre: Je prends juste un verre et je m’en vais.

Amitiés chaleureusement polaires,

Guy

Jean Echenoz – Éd. de Minuit – 253 p.

Confiteor

Magnifique! Écrit en catalan, très bien traduit en français, ce monument en fait voir de toutes les couleurs. Confiteor signifie Je confesse.

Adrià vit à Barcelone dans les années 1950. Il porte tous les espoirs de ses parents. Son père voudrait faire de lui un humaniste, sa mère, un violoniste virtuose. Le livre est un long message d’amour à Sara, la femme de sa vie. Le temps presse, Adria voudrait arriver au bout de sa confession avant qu’une maladie cérébrale dégénérative ne le coupe du monde. Il charge son ami Bernat, violoniste, de recueillir et de conserver sa longue histoire.

Ce livre très exigeant demande une attention soutenue du lecteur, qui se trouve transporté, parfois dans le même paragraphe, de l’Inquisition à la terreur nazie, en passant par les années de plomb  du franquisme. Les pages sur la solution finale des nazis donnent froid dans le dos. De même que les assassinats massifs de l’Inquisition, que l’auteur met en parallèle avec les Camps.

Le catalan est une langue oscillant entre l’espagnol et le français. Les Catalans sont de fortes têtes.

L’auteur est linguiste et scénariste. il nous fait le cadeau de nous sentir intelligents.
Un peu comme Umberto Eco, en moins tape à l’œil.

Et l’humour affleure à chaque page. Je n’oublierai pas Aigle Noir (le vaillant chef arapho), et le shérif Carson, deux statuettes du jeune garçon confronté à l’hypocrisie des adultes. Ils l’accompagnent et le conseillent.

La syntaxe demande un court apprentissage. Les phrases restent parfois en suspens  (scénariste, toujours).

Des couleurs, du bruit, de l’émotion, de la musique, une immense culture. Autre ‘personnage’ du livre: un violon façonné en 1764 par Storioni à Crémone. Et un tableau de Urgell.

Beaucoup de références religieuses citées par Jaume Cabré, agnostique déclaré, dans ce livre ‘qui défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane’ (texte de la page de garde).

Lisez ce livre, envoyez-moi au diable, mais je suis convaincu que plusieurs de mes distingués lecteurs me feront cadeau d’un coup d’encensoir.

Parole finale de l’auteur: « Jai considéré ce livre comme définitivement inachevé le 27 janvier 2011, jour anniversaire de la libération d’Auschwitz. »

Amitiés universelles,

Guy.
Jaume Cabré – Babel – 916 p.

Pimp

Nom : Iceberg Slim. Profession : maquereau (pimp en anglais)

Publiée en 1969, cette autobiographie romancée violente et crue, qui parle du malaise des noirs américains et de la haine des blancs, marquera toute une génération de rappeurs. Abusé sexuellement par sa nourrice à l’âge de trois ans, Robert Lee Maupin y trouvera le fondement de sa vocation de proxénète. C’est en suivant cette route qu’il deviendra le redoutable « Iceberg Slim »

Comme dans toute autobiographie, l’intégralité des propos ne semble pas forcément authentique. La volonté de marquer les esprits, de les amuser aussi (un des chapitres ressemble clairement à une vieille blague recyclée) l’emporte certainement par moments sur la réalité. Et puis, il y a aussi tout ce dont ne parle pas l’auteur et qu’on devine dans ses silences.

La vie de maquereau n’est pas de tout repos. Il s’agit tout d’abord de trouver des prostituées pour se constituer une « écurie » par le sexe, par  l’ ultra-violence, par la persuasion, par le charisme, par le fric, par la drogue…Iceberg Slim n’en parle pas, mais on sait très bien que de nombreuses prostituées sont aussi maintenues dans cet état par l’absence de papiers leur donnant le droit de séjourner sur le territoire.

Une fois l’ « écurie » constituée, il convient d’une part d’essayer de l’agrandir et d’autre part de dissuader les filles (Iceberg Slim ne fait pas dans la prostitution masculine) de s’en aller de leur propre initiative ou de se faire piquer par un concurrent.

Cela va sans dire, tout cela est bien entendu réalisé en toute illégalité en évitant les forces de l’ordre incorruptibles et en graissant la patte des autres.

Enfin, pour supporter cet univers impitoyable et pour garder en toute circonstance une expression impassible à la Vito Corleone, le recours régulier à la cocaïne est fortement conseillé.

Vous l’avez compris, si la profession de proxénète est rémunératrice, son exercice implique de nombreux frais, sans parler des régulières tentatives de meurtre et des séjours pénitentiaires qui finiront fatalement par tomber un jour ou l’autre sur le malfrat.

L’esclavagisme, la violence, l’argent sale et la haine ne mènent à rien, ne créent rien d’autre que du vide et des regrets. Iceberg Slim en prendra conscience au cours des 10 mois passés seul dans une cellule de confinement. À sa sortie de Cook County, il décidera de se ranger et de devenir écrivain. L’auteur mourra en 1992 à l’âge de 74 ans.

 

Iceberg Slim

Éditions de l’Olivier

2001(1ére édition 1969)

Edouard

Dublin

Je ne gardais de mon premier passage à Dublin que l’image splendide de la bibliothèque de Trinity College. Le souvenir de mon second passage, quelques années plus tard, est bien meilleur. Toutefois il s’inscrivait dans le cadre d’un road movie camping/pubs/Guinness entre potes à travers le pays qui ne m’avait pas permis de m’imprégner pleinement de l’esprit de la ville. Ceci dit, je garde de ce second voyage le goût du charme incomparable des pubs irlandais, bien plus palpable dans les villages isolés du Connemara que dans la capitale, même s’il est possible d’en retrouver un zest en s’écartant un peu du centre.

L’animal n’est pas d’abord facile, à commencer par son nom. Créée par les Vikings au IXe siècle, « Dubh Linn » signifierait « bassin aux eaux noires ». Mais que penser alors de l’ »Eblana » citée par Ptolémée au IIe siècle ? La vérité est ailleurs, dans la crypte de St. Michan’s qui aurait inspiré l’univers de Dracula, dans la simplicité des habitants, dans la rusticité du Irish Stew, dans l’âpreté de la Guiness, dans les cris des mouettes qui retentissent très loin du Liffey.

Swift, Stoker, Wilde, Shaw, Joyce, Beckett…Dublin est la ville du « livre », en tant qu’outil de création, en tant que diffuseur d’imaginaire et de savoir. Le « livre », c’est bien entendu la bibliothèque du Trinity collège mais ausi le livre de Kells, joyaux de l’enluminure médiévale, sans oublier la richesse éblouissante de la Beaty library. Mais Dublin est aussi une ville d’inspiration littéraire avec ses restes de folklore celtique que l’on trouve ici et là, ses paysans affamés du XIXe siècle immortalisés au « famine Memorial » et qui monteront à bord du Jeanie Johnston pour traverser l’Atlantique et changer le destin de l’Amérique du Nord.

Dublin est une ville pauvre. La pauvreté est visible dans la vétusté des immeubles et dans le regard des SDF, mais elle fait aussi partie du Folklore. C’est celle que rappellent les pains des pauvres exposés à Saint Ann’s Church, celle de Molly Malone, personnage populaire écossais adopté par les Irlandais (le 13 juin est la journée Molly Malone) et chanté par U2, The Dubliners et Sinéad O’Connor.

Dublin, c’est aussi une religion catholique longtemps en résistance, c’est cette longue lutte contre l’occupant anglais qui ne trouvera une issue qu’au XXe siècle. La république d’Irlande n’existe que depuis 1949, Dublin est à ce titre une jeune capitale. Les travaux importants engagés pour l’agrandissement du réseau de tramway témoignent de cette vivacité. Le centre dédié à la révolution irlandaise a ouvert ces portes en avril, permettant ainsi de tourner une page, de poursuivre sur de nouvelles bases. Quand on fait entrer l’histoire dans les musées, c’est qu’on commence à avoir peur d’oublier et donc, que le passé ne nous obsède plus. « The Spire », cette aiguille de 120 mètres de haut, construite en 2003 à l’emplacement d’une statue de Nelson dynamitée par l’IRA en 1966 est le symbole de cette Irlande en devenir. L’histoire n’est pas terminée et le casse-tête du statut de l’Irlande du Nord dans la mise en œuvre du Brexit pourrait bien aboutir à une réunification de l’île. Une affaire à suivre…

 

Edouard