La fête au Bouc

Le Prix Nobel de littérature 2010 raconte dans ce livre somptueux la fin de la dictature de Rafael Trujillo à Saint-Domingue en 1961.
Urania Cabral, avocate à New York, débarque à San Domingo après 35 ans d’absence. Elle vient demander des comptes à son père mourant. Celui-ci fut ministre du temps du dictateur.
Les chapitres alternent les retours en arrière et les découvertes de la jeune femme.
Le personnage du tyran est vécu de l’intérieur, avec ses manipulations, ses crimes, sa folie dominatrice et son absence totale de scrupules.
Parallèlement, on assiste à la conjuration qui mènera à l’assassinat de Trujillo. Les coupables seront torturés et exécutés. Mais le pays connaîtra le renouveau grâce à leur héroïsme.
Les événements actuels à Damas démontrent que la tyrannie reste d’une brûlante actualité.
D’un point de vue strictement littéraire, les talents de conteur de Vargas Llosa collent à la vérité des personnages.
Une de mes meilleures lectures de l’année.
Amitiés vive la vie en démocratie,
Guy
Mario Vargas Llosa – Folio – 581 p.

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Bruits du cœur

Adrian, 39 ans, ami d’enfance du narrateur, meurt à New York d’une crise cardiaque. La veille de sa mort, il avait envoyé une lettre à son ami, à Copenhague, lui disant « qu’il aimerait lui parler d’une chose qui le tourmentait depuis un moment. » C’est l’occasion pour le narrateur de se souvenir et de nous raconter leur histoire, leur enfance, leurs amours et désamours et surtout parler de leur amitié, très forte, mais qui, avec la distance et le temps, s’était un peu estompée.
Au fil du récit nous apprenons beaucoup de choses sur leur passé qui n’a rien d’idyllique. Tout nous est raconté par petites touches sensibles, souvent pudiques, mais avec réalisme.
J’ai bien aimé le style d’écriture avec de petites descriptions pleines de poésie comme les estampes japonaises dont le narrateur était devenu expert.
« Bruits du cœur » nous conte toutes les phases de l’amour avec ses bons et mauvais moments, les illusions et les désirs que l’on prend parfois pour de l’amour, l’amour que l’on trouve quand on ne l’attendait plus. Le tout est analysé avec justesse et objectivité. Nul n’est épargné.
L’auteur nous dit à plusieurs reprises que la mémoire est subjective et que cette histoire racontée par quelqu’un d’autre aurait pu être différente, voire ne jamais exister…
Ce livre est antérieur à « Les mains rouges ». J’ai retrouvé l’abondance des détails et des personnages, mais j’ai préféré « Bruits du cœur » pour son côté intimiste et plus doux.
La Martine sous le charme
GRONDAHL Jens Christian
Gallimard, 2002 (1999), 267 p.

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Un bisou pour Lili

 

Vis-à-vis de la recherche du temps perdu, je suis comme un plongeur acrobatique qui regarde la piscine d’en haut et qui pense « ah ouais, c’est haut quand même ». Je multiplie donc les préliminaires avant d’aborder les mots célébrissimes : « longtemps je me suis couché de bonne heure ». C’est dans ce contexte qu’est arrivé le mail de Carole, rencontrée il y a quelques années dans un atelier d’écriture, annonçant la publication d’ « un bisou pour Lili », son premier livre, dans la catégorie 2-5 ans, traitant notamment de l’épineuse question du baiser maternel du soir. Mon sang n’a fait qu’un tour : « voilà un ouvrage qui m’aidera certainement à mieux comprendre l’élément originel du mastodonte proustien ».

Lili est une adorable petite souris (bravo à Charlie Pop pour les illustrations) qui passe sa première soirée sans ses parents, qui la font garder par sa tante Olga.
Terrible angoisse chez la petite fille : comment le rituel bain, pyjama, repas, histoire, bisou, dodo, va-t-il pouvoir se dérouler en l’absence des chefs d’orchestre habituels ? Heureusement, la tante Olga est là pour lui donner des outils lui permettant de répondre à cette question.

Le bain : bien joué le coup du chat qui mange les petites souris sales. Lili, qui, comme tous les enfants, aime avoir peur, mais pas trop, adore la mise en scène et se frotte aussi vite qu’elle peut.
Le pyjama : c’est Lili elle-même qui va le mettre, comme une grande.
Le repas : trop forte la tante Olga, bonne idée de faire participer Lili à la préparation du dîner. Des frites de gruyère, ce n’est pas super diététique, mais bon, c’est une petite souris, on va dire que ça passe.
L’histoire : « le rat qui avait peur des souris ». Génial cette peur inversée juste avant de plonger dans les bras de Morphée. Comme ça, pas de cauchemar, traversée fingers in the nose du pays des rêves.
Le bisou : il y a d’abord le bisou d’Olga. Lili l’aime bien Olga, mais ce n’est pas sa maman, et encore moins son papa. Elle est un peu triste. Que faire ? Olga a deux atouts dans sa manche, des bisous en papier dessinés par les parents de Lili. Sans doute Olga avait elle été briefée pour ne les sortir qu’en cas de besoin. Choix cornélien pour la tante qui doit évaluer en quelques secondes si la petite fille est ou non prête à aborder la nuit sans le sésame de ses parents. Lili sent peut-être aussi quelque chose et exagère un peu son besoin. Peut-être même que sa maman lui avait parlé d’une ultime surprise. Quoi qu’il en soit, Olga craque et sort ses jokers.

Si Proust avait eu une tante Olga, il n’aurait peut-être jamais écrit « la recherche du temps perdu ».
Carole Bauvers-Charlie Pop
Larousse jeunesse
2013

Edouard

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La face cachée de la lune

Urs Blank, avocat d’affaires à Zurich, semble atteint par la crise de la quarantaine. Il rencontre une jeune marginale, qui l’initie aux champignons hallucinogènes. Lui, le prédateur contrôlé, va basculer dans la violence gratuite. Malgré l’aide d’un ami d’enfance, psychiatre, il se marginalise totalement, au point de devenir une sorte de Robinson suisse.
La description du virage vers la folie donne froid dans le dos.
Il ne s’agit pas seulement d’un roman: la littérature médicale décrit de nombreux exemples de personnalités fragiles qui passent de l’autre côté (voir le titre), parfois de façon définitive.
Martin Suter est un très bon auteur suisse alémanique.
Dans ce livre-ci, il est par moment trahi par une traduction approximative donnant de nombreuses phrases indigestes.
Amitiés mycologiques,
Guy.

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Le jeu de l’ange

 

Dans les années 20, le jeune David Martin tente de survivre avec sa plume. Après s’être beaucoup ennuyé au journal « la voz de la industria » et après s’être fait exploiter pendant des années par des éditeurs véreux, il se voit enfin proposer un contrat en or par un étrange personnage.

Deuxième volet de la saga du « cimetière des livres oubliés », l’action du « jeu de l’ange » se déroule avant le premier opus. On croise le père du futur Daniel Sempere, déjà dans sa librairie avec son propre père.

Il n’y a pas à dire, le style est attrayant, cela faisait longtemps que je n’avais pas dévoré un livre avec une telle boulimie. Mais le charme de « l’ombre du vent » avait été si fort que je ne pouvais qu’être un peu déçu, oscillant tout au long de ma lecture entre « Zafon fait du Zafon » et « Zafon n’est plus ce qu’il était ».

Le roman se déroule en trois actes :

– L’acte I se place ostensiblement dans la veine du premier volet de la saga. C’est celui que j’ai le plus aimé. L’intrigue, qui navigue entre Faust et « illusions perdues » de Balzac, est plus que prometteuse ;

– Le second acte est surprenant. Il apparait comme une mixture peu homogène avec beaucoup de grumeaux. Les travaux d’entremetteursde Martin pour essayer de décoincer Sempere fils sont assez amusants mais semblent plus relever d’une pièce de Molière, voire de Goldoni que d’un roman. Isabella est pas mal dans le rôle du personnage secondaire pittoresque bien que son « amitié » avec Martin soit un peu trop fleur bleue à mon goût.

– Le troisième volet m’a carrément déçu. Nombreuses invraisemblances, manque de cohérence dans l’intrigue, production industrielle de cadavres… Zafon a sans doute voulu faire dans le style des romans de gare qu’écrivaient Martin dans la première partie. Si c’était sa volonté, ce n’est pas amené très subtilement.

Pour finir, l’épilogue est tout de même très beau, on pense à « la jetée », le court métrage  de 1962 dont « l’armée des 12 singes » est inspiré. Changement d’époque pour l’Espagne. Sous la houlette du franquisme, le génie du mal Andreas Corelli ne passe plus que pour un vulgaire pantin et jette l’éponge. Bon, c’était pas mal quand même, je lirai les autres volets de la saga.

 Edouard

Le jeu de l’ange

Carlos Ruiz Zafón

2009

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La nuit du carrefour

Un des tout premiers Maigret, un des huit (!) romans écrits par Simenon en 1931.
C’était le temps où les voitures cornaient, où l’on payait en bank-notes, où le téléphone ne fonctionnait pas entre midi et 14 heures. Les voitures fonçaient à 80 kilomètres à l’heure sur les routes nationales.
Et pourtant, ce texte reste étonnamment moderne.
L’intrigue est bien ficelée, les personnages sont plus vrais que nature.
Comme on comprend les responsables de la Pléiade d’y avoir admis Simenon,
Amitiés enquêteuses,
Guy

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Le premier amour

En 1912, Gaspar, vieux mâle solitaire à la cinquantaine bien tassée, est prof de latin dans une petite ville de province hongroise. Habitué aux petites classes (6e, 5e), il se voit confier à la rentrée une classe de terminale dans laquelle une expérience de mixité est tentée : 6 filles pour 24 garçons.

Ce livre traînait depuis des années dans ma bibliothèque, j’avais essayé de le lire une fois, mais j’avais arrêté au premier tiers (j’ai retrouvé le marque-page). J’ai été cette fois-ci bouleversé par ce roman. Une histoire de la folie ordinaire. À quoi tient la manifestation de la folie de Gaspar ? À pas grand-chose, à un grain de sable faisant voler en éclats la mécanique bien huilée de sa petite vie en papier millimétré. D’où vient ce grain de sable ? On ne sait pas vraiment. Un concours de circonstances, des malentendus, l’âge… La petite enfance ? Peut-être, Gaspar y fait allusion lorsqu’il se confie au début à un jeune homme. Peut-être est ce là qu’il faudrait rechercher les origines profondes qui ont bloqué son développement, vers 11, 12 ans peut être, justement à l’âge des « petits » auxquels il aime tant enseigner.

Gaspar est un Peter Pan qui s’aperçoit à 55 ans qu’il ne peut plus sortir de son pays imaginaire peuplé de déclinaisons latines. Toutefois, il n’en a pas conscience et personne ne lui dira jamais. Il sent que les choses ne tournent pas rond, il parle d’un « docteur de l’esprit», pour dire tout de suite après qu’il n’y en a pas dans la ville, trop petite. Vienne n’est pas si loin et Freud y développait alors ses théories… Ágoston Timar, le jeune homme auquel Gaspar se confie au début et qu’il souhaiterait désespérément revoir y habite d’ailleurs. C’est un personnage un peu méphistophélique qui ouvre une porte dans le pays imaginaire de Gaspar sans lui donner les moyens de la refermer. Incapable de trouver seul les clefs, il ne peut que décrire les symptômes de sa transformation.

Le roman est présenté sous la forme du journal intime de Gaspar. Toute la force dramatique tient donc dans le décalage entre ce qu’il décrit et ce que nous comprenons du drame qui se profile. Cette naïveté dans la description est assez drôle au début. Prise au second degré, elle fait penser à du Tchekhov.

Mort en 1989, Sándor Márai n’a sans doute jamais entendu parler de Dalida, pourtant, à l’issue de cette lecture, les paroles de Bambino me reviennent : « l’amour et la jalousie ne sont pas des jeux d’enfants et tu es trop jeune encore pour souffrir comme les grands ». Si le bambino a 10 ans, c’est mignon. Mais imaginez une seconde que le bambino ait 50 ans…brrr

Edouard
Le premier amour
Sándor Márai
Le livre de poche

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