Phèdre

Phèdre est l’ épouse de Thésée, la sœur d’Ariane et la demi-soeur du Minotaure. Elle est amoureuse d’Hippolyte, son beau fils que Thésée a eu avec Antiope, la reine des amazones. Hippolyte est lui amoureux d’Aricie qui l’aime en retour, mais qui appartient à une lignée ennemie de son père. La mort de Thésée ayant été annoncée, Phédre déclare sa flamme à Hippolyte qui reste froid à ses attentes. Quand elle apprend que l’annonce de la mort de Thésée était une erreur, elle s’affole en pensant à ce qu’Hippolyte pourrait dire à son père et décide, sur les conseils de sa confidente, Oenone, de dire à Thésée que son fils lui a fait des avances. On est dans la tragédie et tout ça finira mal pour tout le monde.

J’ai longtemps fait la fine bouche avec les liseuses, mais je reconnais que pour lire les classiques téléchargeables gratuitement sur internet, c’est pas mal. Phèdre était pour moi une redécouverte puisque j’étais tombé dessus à l’oral du bac de français.. À 17 ans, j’avais été devant Phèdre comme une poule devant un cure-dent.

On a beaucoup parlé du mal que les hommes pouvaient faire aux femmes ces derniers temps, mais l’inverse est malheureusement possible aussi. C’était vrai au XVIIe et ça l’est encore aujourd’hui.

Phèdre est un peu perdue, essentiellement gouvernée par ses passions. Indécise, elle se repose entièrement sur Oenone pour prendre des décisions qu’elle lui reproche ensuite. Thésée me semble pour sa part, être un personnage hypocrite et narcissique. Jouissant d’une immense notoriété, du fait de ses nombreux exploits, en particulier sa victoire sur le Minotaure, il se permet aussi de jouer le père la morale en tout cas dans la mesure où les écarts de ses proches pourraient égratigner son image. Il a quand même séduit Ariane pour qu’elle lui tienne le fil à l’entrée du labyrinthe du Minotaure, pour la laisser ensuite tomber et n’a pas été un modèle de fidélité en trompant Phèdre avec Antiope. Je trouve qu’il devrait balayer devant sa porte avant de faire des leçons aux autres, mais bon, c’est le roi. Thésée est aussi très impulsif et réagit au quart de tour à ce que lui dit Oenone sans essayer d’en savoir plus.

Il est vrai que tout ça n’est que le fait des dieux. Phèdre est possédée par Venus, on parle aussi de Neptune et de beaucoup d’autres. Les mortels sont en fait des pantins à la merci des caprices divins et sont donc des éternels irresponsables. La notion de « libre arbitre », telle qu’on la conçoit aujourd’hui, n’existait pas dans la pensée antique. Elle n’apparaît qu’avec Saint Augustin à partir du Vème siècle. Je ne sais pas comment un individu du XVIIe siècle voyait cette pièce de théâtre. L’influence de l’antiquité et de la mythologie était encore très forte. Pour ma part, je n’ai pas prêté beaucoup d’attention aux dieux. Quoi qu’il en soit…  

Cette pièce tout entière à jamais immortelle,

Brille pour l’éternité au sommet de l’Olympe,

Faisant fi des tourments du fragile mortel,

Qui pour rester sur Terre se tortille et s’agrippe.

Édouard

Jean Racine

1677

Mes frères

Début et fin d’une décennie pour Lola et ses deux frères, Rocco et Eddy qui vivent à l’île d’Yeux.
Au début, il y a les boîtes de nuit, les cuites mémorables, les combats de boxe improvisés sur la plage et la musique de Manu Chao. On est dans cette insouciance collective de la fin des années 90.
Dix ans plus tard, on retrouve Rocco à la tête d’une fanfare. Son bras droit raidi est replié sur son torse. Son visage affiche l’exubérance un peu forcée de ceux qui s’y trouvent contraints par la vie. Rocco est atteint de fibrodysplasie ossifiante progressive, maladie orpheline chronique plus communément appelée « maladie de l’homme de pierre » qui se traduit par une ossification des tissus avec une progression très variable d’un individu à l’autre. La maladie ne constitue cependant pas la trame principale du film et n’est d’ailleurs nommée que dans le générique de fin.
Rocco a besoin d’assistance au quotidien. Il vit avec son frère Eddy et son fils Simon, un préado qui commence à se poser beaucoup de questions sur ses origines. Eddy parle peu et s’exprime surtout corporellement. Il est tout dévoué à son frère autour duquel il a organisé sa vie, peut être moins par contrainte que parce que cela lui semble naturel. C’est « sa vie », une vie d’« ombre » qui semble lui convenir. Le soir, Rocco parodie Shan MacGowan des Pogues en chantant « dirty old town » dans un bar et Eddy l’accompagne à la guitare.
Simon incarne la génération de l’après 11 septembre. Toute sa vie est recouverte d’un voile de mystères qui ne commence à se déchirer qu’avec l’apparition de Lola. La tante de Simon essaie en effet de renouer des liens avec ses frères après de nombreuses années de séparation. On lui présente son neveu qu’elle ne connaissait pas et le préado s’attache immédiatement à cette figure maternelle qui lui manquait tant.
Avec le retour de Lola, on commence à voir poindre le vrai sujet du film : le lien indéfectible qui unit les frères et la sœur, ce lien un peu magique constitué d’amour, de haine, de jalousie, d’admiration, du souvenir de bonheurs partagés et des joies simples de l’instant. Ce lien élastique qu’évoque une chorégraphie exécutée sur la plage n’en reste pas moins incassable. Pour l’avoir trop tendu, Lola se voit violement ramenée au centre. Dans le film, le lien est incarné par un blondinet fantomatique qui traverse deux ou trois fois l’écran. On ne sait pas si Lola et ses frères le voient ou s’il est seulement un indice donné au spectateur par Bertrand Guerry.
Une fois le voile totalement déchiré, la vérité crue apparaît. Si Lola n’était pas arrivée, elle aurait tôt ou tard vu le jour et bouleversé les rôles sur l’échiquier familial. Rocco, le premier déstabilisé, en subira les conséquences. De son côté, Eddy lutte contre le destin familial tout en s’y résignant, comme l’illustre un sprint final aussi grandiose que désespéré.
Bref, « mes frères » reste un film extrêmement fort à voir absolument, comparable dans sa finesse d’analyse des liens de fratrie à « à bord du Darjeeling limited » de Wes Anderson.
Édouard

Snowpiercer

2031 : l’humanité, ou plutôt ce qu’il en reste, est embarquée depuis 17 ans dans un train fou condamné à tourner autour du globe à une vitesse vertigineuse pour ne pas être saisi par le froid intense qui règne sur la planète.

Scénario innovent ? Mouais, on peut aussi voir ça comme une version modernisée du déluge : récit que l’on retrouve déjà 2000 ans av JC dans l’épopée de Gilgamesh. Les inquiétudes de l’humanité et la peur de l’extinction ne datent pas d’hier.

Ici, point d’animaux ou alors, seulement des animaux décoratifs, c’est bien « l’humanité » qui est menacée et non le vivant dans son ensemble. La « fin du Monde », c’est « la fin de l’humain ».

Le Utnaphistim/Noé est ici un industriel fêlé et génial, inventeur du train/arche : un monstre paternaliste. Le cataclysme n’est pas le fruit de la colère des dieux/de Dieu, mais est le résultat de tentatives hasardeuses des hommes pour contrer le réchauffement climatique.

Le scénario fait ensuite un grand bond dans le temps pour ce stabiliser dans les années 73-71 av JC, celles de Spartacus. Le train est une mini société avec les dominants dans les wagons de tête et les opprimés dans les derniers wagons (on pense beaucoup à « Metropolis » et « Soleil vert ») : la colère gronde et la mutinerie menace. Belles scènes de révoltes, mais un peu trop violentes parfois je trouve. Certes, c’est sans doute très courageux de se laisser broyer le bras dans un engrenage pour l’arrêter, mais cela aurait été aussi efficace et moins douloureux d’y glisser un objet non organique.

Les champions du calcul mental auront fait la soustraction en lisant la première phrase de cette critique : 2031-17=2014. Ouf, le grand coup de froid et le train ne seront probablement pas pour l’année prochaine.

Le train, non, mais l’humanité embarquée dans une course folle… Pourra-t-on toujours produire plus et consommer plus dans un Monde toujours plus peuplé, un Monde qui rétrécit et dont les ressources s’épuisent ? Pourra-t-on toujours travailler plus pour gagner plus ? Non, peut être pas, les économistes commencent à avoir des doutes. Arrêter le train ? Pour faire quoi ? Et d’ailleurs, comment l’arrêter ? Alors, pour nous rassurer, il ne nous reste plus que le « jusqu’ici, tout va bien ». Je ne veux pas être trop alarmiste, peut être trouvera-t-on les moyens pour que le train continue éternellement à avancer, mais il est possible qu’il déraille aussi : c’est la grande question du XXIe siècle. Une affaire à suivre.

Edouard

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Blue Jasmine

Jasmine (Cate Blanchett, sublime), rescapée du naufrage financier de son époux, un homme d’affaires véreux qui a fini par se suicider en prison, débarque à San Francisco pour se faire héberger par Ginger, sa sœur, caissière dans une supérette, qui mène comme elle peut une petite vie chaotique.

Woody est de retour. J’avais eu peur l’année dernière avec son opus romain qui dégageait des effluves de vieux brouillon retrouvé dans un fond de tiroir et recyclé à la hâte. Me voilà rassuré, il est encore capable d’innover. Ce dernier chef-d’œuvre aborde le thème cruel du « déclassement social ».

Les fans du réalisateur auront au premier abord un peu de mal à trouver la filiation avec le reste de l’œuvre. Pour ma part, je remonterais à « vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu » pour retrouver l’origine d’une noirceur qui ne faisait alors que pointer le bout de son nez. Autre similitude, l’absence de référence au psy alors que de toute évidence, Jasmine en aurait grandement besoin… peut-être consultait-elle lorsqu’elle en avait les moyens.

Je rapprocherais aussi « Blue Jasmine » d’un autre chef d’œuvre. Il faut pour cela faire abstraction de l’intrigue criminelle très scénarisée de « Match point » pour ne retenir que l’histoire de l’ascension sociale d’un jeune homme sans scrupules et sans morale, servi par une chance inouïe. Jasmine en est le miroir inversé, elle n’a finalement pas grand-chose à se reprocher même si elle est indirectement responsable de sa situation. Projetée un temps dans une jet set que sa présence illuminait, elle y perdra ses repères et en sera chassée pour avoir misé sur le mauvais cheval. Le voyage à San Francisco sera l’ultime soubresaut d’une lutte contre une déchéance dont elle ne se relèvera pas.

Jasmine était beaucoup trop fragile pour supporter la chute, peut-être l’était-elle aussi pour supporter sa trop grande beauté. Incapable d’abandonner son passé flamboyant, elle s’y réfugiera pour ne plus en sortir. Comme Scarlett Johansson dans Match Point, Jasmine a joué… et a perdu.

Sa sœur semble plus solide, mais il faut dire aussi que Ginger ne tombe jamais de très-haut. N’ayant jamais goûté au grand luxe, elle n’a pas vraiment conscience de son existence. Moins prétentieuse, moins naïve, moins superficielle, elle se contente de transpercer les carapaces poisseuses de ringards improbables pour y trouver un peu de tendresse.

L’élément clef du film est pour moi le « hasard », cet électron libre que l’on qualifie de chance ou de malchance. On aimerait que les méchants soient toujours punis et que les bons soient toujours récompensés, mais il n’en est rien: le hasard s’abat toujours à l’aveuglette, il n’est pas immoral, il est amoral.
Edouard

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Mud, sur les rives du Mississipi

Neck et Ellis, deux préados, vivent au bord du Mississippi. Neck a eu vent de l’existence sur un îlot au milieu du fleuve, d’un bateau perché dans un arbre. Les deux copains décident de coloniser le navire, mais quand ils arrivent, ils s’aperçoivent que celui-ci est habité.

Qui est Mud, l’habitant du navire ?

Pour Ellis, ce sera une sorte de héros romantique. Pour Neck, ce sera un type bizarre avec lequel on peut s’arranger. Pour la police, Mud est un meurtrier. Pour Galen, c’est l’homme qui a tué son frère. Pour Tom (magnifique Sam Shepard), c’est un fils adoptif. Pour Juniper (Reese Whiterspoon, l’actrice de « de l’eau pour les éléphants »), c’est l’homme de sa vie, aussi désaxé qu’elle.

Et Mud, qui pense-t-il être ? Il ne sait pas trop. Il dit qu’il n’est pas fort pour la vérité. On sent qu’il a besoin d’être dans l’action pour ne pas à avoir à se poser trop de questions.

Pour moi, Mud est un paumé, gravement barge, dangereux, mais pas méchant avec un cœur gros comme ça. Mud est un Peter Pan, un enfant qui refuse de devenir adulte, un romantique qui croit au grand amour. C’est sur ce point qu’Ellis le rejoint. Mud poursuit les mêmes illusions que lui. À 14 ans, ce serait triste de ne pas en avoir et, contrairement à celui qu’il commence par admirer, Ellis va grandir rapidement.

La scène de bravoure au cours de laquelle le vagabond témoigne son amitié à son jeune admirateur semble copier/coller de la scène finale de True Grit (en fait, c’est plus la fin de « 100 dollars pour un shérif » dont « True Grit » est le remake).

Jeff Nichols, comme dans Take Shelter, s’intéresse à la folie innocente et meurtrière de l’Amérique profonde. Il serait surprenant que le réalisateur n’ait pas eu connaissance de l’opus des frères Coen qui surfent sur le même registre, sur un ton plus humoristique, il est vrai.

Plagiat éhonté ou clin d’œil d’un fan ? Accordons-lui le bénéfice du doute. Le fait que Mud casse la moto en arrivant laisse d’ailleurs penser qu’il s’agit bien d’un clin d’œil.

Un petit mot pour finir sur le Mississippi. Des images superbes. Un fleuve immense qui semble presque une mer comme on le voit sur le dernier plan : un géant assoupi, qui rend dérisoires les gesticulations des humains incapables de perturber son sommeil.

Edouard

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Perfect mothers

 

Quand j’ai vu la bande-annonce de « perfect mothers », j’ai pensé « ça , c’est le genre de film que j’n’irai certainement pas voir ». Et puis, j’ai lu une critique qui m’a intrigué.

En sortant du film, j’ai pensé « ça, c’est le genre de films que je ne critiquerai jamais ». Et puis, j’ai relu la critique et la nuit m’a fait réfléchir.

Deux sublimes quadragénaires vivent au bord de la mer dans deux grandes maisons au milieu d’un décor paradisiaque avec leurs deux fils, deux grands et beaux surfeurs musclés. Quand un des deux garçons entame une relation amoureuse avec la mère de son ami, l’autre grogne un peu, mais fait finalement de même.

Je pensais voir un film du genre « tes vingt ans mes quarante, si tu crois que cela me tourmente » (merci Serge), mais il faut chercher ailleurs.

Les deux femmes n’ont aucun lien de parenté, mais sont deux amies d’enfance qui n’ont jamais été séparées et qui n’ont jamais vécu ailleurs. Elles ont chacune été mariées de leur côté (l’une est veuve) et eu un enfant unique. Le lien affectif entre ses deux femmes donne à cette double liaison croisée une impression quasi incestueuse même si ce n’est pas le cas biologiquement.

Elles se rendent bien compte que ses relations ne sont pas « normales » et sont soulagées quand les deux garçons décident enfin de se marier et ont chacun une fille. Cependant, ces tentatives de rentrer dans le rang seront veines.

La double relation des deux femmes et des deux fils n’est donc pas incestueuse et n’est pas homosexuelle non plus même si la piste de l’homosexualité indirecte est évoquée. C’est une double relation qu’on ne peut que décrire sans pouvoir la nommer. En cela, le monde de « perfect mothers » fait penser aux films de Truffaut dans lesquels le réalisateur décortique inlassablement la complexité des relations hommes/femmes.

C’est un monde dans lequel le temps est absent. La caméra s’arrête pourtant sur les rides des femmes et autres marques de vieillissement. Les belles filles et petites filles laissent aussi entrevoir une progression. Toutefois les quatre personnages refusent de regarder la réalité en face et ne peuvent se résoudre à laisser entrer le moindre corps étranger dans leur univers. « Perfect mothers » n’est pas un film sur la liberté sexuelle, mais plutôt une version moderne et sexy de Faust ou du portrait de Dorian Gray. Le portrait n’existe pas si on refuse de le voir.
Edouard

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Spring Breakers

Quatre copines décident d’aller faire un « spring break » en Floride, c’est-à-dire d’aller s’éclater pour fêter la fin des cours. Comme elles n’ont pas de fric, elles décident de braquer un petit commerce.
Le début de « spring breakers » fait penser à « Thelma et Louise » façon teen-movie. Cependant, cette impression laisse rapidement place à autre chose.
Arrivées sur place, elles vivent en bikini et se mêlent à une foule d’ados qui dansent, boivent et se droguent à longueur de journée.
Sans trop savoir pourquoi, elles sont embarquées par les flics mais rapidement libérées par un «gangsta» qui paie leur caution.
Les « gangstas », pour ceux qui ont oublié, c’est ces grands blacks des clips qui passaient en boucle sur MTV dans les années 90. Ils avaient des manteaux de fourrure, des chapeaux, des dents en or et des grosses bagouses ; comme Picsou, ils nageaient dans le fric et un troupeau de bimbos surexcitées leur tournait autour; ils prenaient des airs supérieurs tout en prohibant un pistolet automatique et en caressant un pitbull. Vous vous souvenez maintenant ?
Bon, le « gangsta » qui prend les filles sous son aile n’est pas bien méchant. Un peu paumé, il est surtout dans la représentation et à part se la péter, il ne fait pas grand-chose.
Les gamines sont là pour s’amuser et dans un premier temps, elles acceptent leur rôle d’objet sexuel, le seul que ce milieu très phallocrate leur propose. L’une d’entre elles se lasse rapidement. Une seconde s’en va aussi après avoir pris une balle dans le bras. Les deux qui restent sont bien décidées à faire durer le clip jusqu’au bout et plongent dans l’ultra violence, comme les filles de « Boulevard de la mort ». Toutefois, chez Tarantino, cette violence, dirigée contre un serial-killer, semblait légitime alors que là, la violence est gratuite : on reste dans la représentation, dans le « happening » : on se dit qu’elles vont se faire filmer et mettre leurs exploits sur YouTube, histoire d’épater les copines.
Sont-elles des femen ? C’est bien possible. Souhaitent-elles instaurer une domination féminine en créant un univers ultra-violent inversé ? Peut-être, mais elles ne semblent pas avoir de revendications bien précises. Ce qui semble clair par contre, c’est qu’en 20 ans, le genre « gangsta » a pris du plomb dans l’aile.
Edouard

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L’île nue

Un homme et une femme vivent avec leurs deux fils sur une île japonaise désertique privée d’eau douce qu’ils doivent aller puiser dans l’île voisine. Ils passent donc leur vie à faire des trajets en barque et à porter des seaux d’eau.
Ce mythe de Sisyphe nippon réalisé en 1960 par Kaneto Shindo est avant tout une prouesse cinématographique.
Il y a d’abord le bruit : le vent, la pluie, une chèvre, un canard, le bruit de la gaffe de la barque quand elle s’enfonce dans l’eau, le bruit de la grande louche avec laquelle ils prennent l’eau dans les seaux…des bruits humains aussi : des bruits de pas, des cris d’enfants qui s’ébattent, la clameur de vieilles femmes, des rires, des sanglots, des gémissements, mais pas un mot articulé.
Après, il y a l’image : l’image de cette terre assoiffée. Le couple qui y cultive un petit lopin de terre qu’ils abreuvent inlassablement en été.
L’homme ne semble pas trop souffrir du mouvement perpétuel dans lequel il est engagé. Ce n’est pas un homme résigné, mais un homme qui ne se pose pas de questions, qui fait ce qu’il a à faire. C’est un homme qui peut éprouver des sentiments, mais qu’il ne témoigne qu’à ses enfants. Pas une seule fois il n’aura un geste affectueux pour sa femme. Une fois il la frappe parce qu’elle fait tomber un seau. On sent que ce n’est pas pour autant un bourreau, il fait ça mécaniquement. Quand, piquant une crise de nerfs, elle arrachera les jeunes plants qu’elle devait arroser, il la regardera en attendant que ça passe.
Elle, elle en bave, on le sent tout de suite. Tout d’abord parce que même si elle est moins forte que lui, tous les travaux agricoles sont partagés d’égal à égal. On sent aussi que l’épreuve physique a son parallèle psychologique. Ce qui frappe, ce n’est pas tant son visage que ses chevilles qui hésitent en portant l’eau. Cette hésitation dans la démarche va s’intensifier imperceptiblement tout au long du film. Rien qu’en regardant ses pieds, on se dit…c’est certain, un jour, elle va craquer. Quand ? On ne sait pas. Un jour, certainement. Peut être qu’elle partira, pour retrouver les plaisirs de la ville toute proche où ils vendent leur récolte, pour revivre ses instants de bonheur qu’elle a pu avoir dans un restaurant ou devant la vitrine d’un magasin.
Enfin, il y a la musique lancinante du compositeur Hikaru Hayashi qui s’intensifie progressivement tout au long du film pour aboutir au paroxysme final. Cette musique en harmonie parfaite avec les bruits et l’image est le seul vrai langage articulé du film. Dans les dernières secondes qui précèdent le générique final, elle pose une question bouleversante : et si tout ça ne s’arrêtait jamais ?
Edouard

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Cosmopolis

Eric Packer, golden boy de 28 ans, déambule en limousine dans Manhattan à la recherche d’un coiffeur.

Si David Cronenberg, le pape du film poisseux, a décidé d’arracher Robert Pattinson aux crocs de la sirupeuse saga Twilight, ce n’est pas un hasard. S’il n’incarne plus Edward, le vampire bio romantique, le nouveau personnage campé par Pattinson n’en est pas très éloigné. Le moins perspicace des cinéphiles l’aura perçu, ne serait-ce que du fait qu’il ne semble pas avoir été démaquillé en quittant la série.

Eric est un vampire des temps modernes. Arrivé en haut de l’échelle sociale, au bout du rêve américain, il a le monde à ses pieds, mais n’a plus goût à rien.

Les deux premiers tiers du film se passent à l’intérieur de sa limousine blindée et insonorisée décorée comme un jeu vidéo.
Le golden boy ne bouge presque pas et parle beaucoup. Quelques hommes lui rendent visite et beaucoup de femmes plus ou moins tarifées parmi lesquelles on reconnaîtra notre Juliette Binoche nationale dans un rôle à contre-pied de celui de la femme exemplaire qu’elle campe habituellement…les fans risquent d’être choqués.

Mais le sexe, pas plus que les discussions autour du yuan, pas plus que les des deux ascenseurs qu’il s’est fait installer pour se rendre dans son bureau, ne semble à même de le ranimer. S’est donc un vampire rassasié qu’on voit petit à petit se déliter psychologiquement. On pense à « la grande bouffe » et à l’ « envie d’avoir envie » de Johnny.

En arrivant chez son coiffeur, un père spirituel qui vit dans un quartier chaud de la grande pomme, il décide de se passer des services de son garde du corps pour aller au-devant de tueurs potentiels.

La dernière scène est du concentré de Cronenberg. Une tension lancinante et écœurante entre un meurtrier qui n’a pas le courage de passer à l’acte et une victime qui semble espérer trouver dans la mort le délice d’une ultime sensation.

Cosmopolis est une variante visqueuse et psychologique de Margin Call, film actuellement sur les écrans sur le cynisme d’une banque d’affaires à l’origine de la crise des subprimes. On sent qu’Hollywood a un peu la gueule de bois ces derniers temps.

Bref, un film qui vous retourne l’estomac, au propre comme au figuré. Un film que je ne regrette pas d’avoir vu, mais que je ne conseillerai qu’aux fans de Cronenberg.

Edouard

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Black swan

Nina est choisie par son chorégraphe pour interpréter le double rôle du « cygne blanc » et du « cygne noir » dans une nouvelle mise en scène du ballet de Tchaïkovski. Oie blanche par nature, Nina est faite pour le rôle du « cygne blanc ». Pour se fondre dans celui du « cygne noir », elle devra aller jusqu’au bout d’elle-même.

Je ne m’intéresse ni à la danse ni aux ballets et je ne connaissais le lac des cygnes que par le biais de la pub pour le chocolat Lindt. Pourtant, j’ai été complètement retourné par ce film comme rarement je l’ai été (le seul équivalent qui me vient à l’esprit est « Aguirre, la colère de dieu » de Werner Herzog).

Si Vincent Cassel est très bien dans le rôle du chorégraphe français, probablement inspiré de Maurice Béjart, mort en 2007, que dire de Natalie Portman ?
Belle ? Bien entendu, mais ça on le savait déjà.
La encore, il m’est difficile de trouver le mot… incroyable.
Oui, je pense qu’ « incroyable » est le mot qui convient le mieux. L’actrice ne joue pas seulement le rôle d’une danseuse, elle ne joue pas seulement le rôle d’une danseuse devant interpréter deux rôles complètement opposés au cours d’une même prestation. Non, elle va beaucoup plus loin. Elle incarne le mystère terrifiant de la création artistique : ce démon intérieur qui pousse l’être humain jusqu’à la folie pour lui faire atteindre la perfection. Natalie Portman est enceinte du cygne noir. « Black Swan » est l’histoire d’une gestation et l’accouchement est saisissant.

Content qu’un Oscar lui ait été attribué pour ce rôle. Non seulement parce qu’elle l’a à mon avis complètement mérité, mais aussi et surtout parce que cela donne de la valeur aux trophées artistiques. On a trop entendu à tort ou à raison « oui, les oscars, c’est truqué, comme la palme d’or du festival de Canne, le Goncourt… ». Peut-être qu’il n’y a pas tous les ans un chef-d’œuvre absolu et que le choix est parfois difficile. N’empêche que savoir qu’il y a un jury pour voir la réussite quand elle est là, ça fait chaud au cœur.

En surfant sur internet, j’ai vu que Natalie Portman attendait un enfant dans la vraie vie et l’on ne peut s’empêcher de faire un parallèle, d’autant plus que le père est un danseur étoile français rencontré sur le tournage de « Black Swan ».
Oui, bon, le people, normalement c’est pas trop mon truc, mais avouez que là, c’est troublant.

Edouard

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