Le déluge

Il est d’usage que des textes de la genèse soient lus dans l’Église catholique à l’occasion de la vigile pascale à commencer par le récit de la création du monde.

Mouais, à part quelques fous furieux du Middle West, plus personne n’imagine aujourd’hui que le monde a été créé en sept jours et s’agissant de l’idée divine de rendre l’homme maître de la nature, était-ce vraiment une bonne idée ?

De leur côté, les juifs sont en pleine Pessah commémorant le passage de la mer rouge par les Hébreux poursuivis par l’armée de pharaon.

Tout comme le récit de l’exode, le déluge évoque le passage d’un monde à un autre qui ne sera plus jamais comme avant, mais les aventures de Noé sont beaucoup plus proches de nous dans la mesure où il s’agit d’une destruction de l’humanité.

Certes, il y aura beaucoup plus de survivants que dans le récit biblique et les animaux ne sont pas concernés, mais ce qui est frappant, c’est la volonté destructrice de Dieu.

Dans le récit babylonien, c’était le vacarme des hommes qui importunait les dieux. Dans la genèse qui s’en est inspirée, c’est leurs pêchés qui provoquent la colère de YHVH.

Rares sont ceux qui oseraient avancer que le coronavirus est un châtiment divin. Pourtant, on sait que la pandémie balaye un monde fou mû par le souci du profit et ignorant la mort.

Le monde d’hier devra-t-il seulement panser ses blessures pour reprendre de plus belle ou un Nouveau Monde devra-t-il naître ? Il n’a fallu que quelques semaines au coronavirus pour arrêter un libéralisme sans tête alors même que tout le monde croyait que c’était impossible.

Si ce nouveau déluge n’est pas un châtiment divin, sans doute devrait-on le prendre comme un signe.

L’orage semble s’être un peu calmé en Europe même si la décrue est encore faible. Le virus ravage désormais les États-Unis qui, ironiquement, avaient fait le choix de mépriser la nature. Ceux-là mêmes qui avaient fini par nous convaincre, à force d’effets spéciaux, qu’ils assureraient toujours notre protection ne semblent même pas capables de se protéger eux-mêmes. Le colosse aux pieds d’argile dont parlait Renaud en 2001 s’est définitivement effondré.

Dans quelques mois, tout cela sera terminé. Il nous reste encore un peu de temps pour imaginer le monde de demain, pour qu’il ne soit pas qu’une résurrection à peine éraflée du monde d’hier, repartant de plus belle jusqu’à la prochaine catastrophe qui sera peut-être encore plus meurtrière que celle-ci.

Si nous ne faisons rien, les vendeurs de paradis artificiels reviendront inexorablement pour nous faire acheter ce dont nous n’avons pas besoin.

Cessons de nous lamenter du confinement, le temps presse. L’avenir sera ce qu’on en fera, ne le gâchons pas, ce serait trop bête.

Édouard

Phèdre

Phèdre est l’ épouse de Thésée, la sœur d’Ariane et la demi-soeur du Minotaure. Elle est amoureuse d’Hippolyte, son beau fils que Thésée a eu avec Antiope, la reine des amazones. Hippolyte est lui amoureux d’Aricie qui l’aime en retour, mais qui appartient à une lignée ennemie de son père. La mort de Thésée ayant été annoncée, Phédre déclare sa flamme à Hippolyte qui reste froid à ses attentes. Quand elle apprend que l’annonce de la mort de Thésée était une erreur, elle s’affole en pensant à ce qu’Hippolyte pourrait dire à son père et décide, sur les conseils de sa confidente, Oenone, de dire à Thésée que son fils lui a fait des avances. On est dans la tragédie et tout ça finira mal pour tout le monde.

J’ai longtemps fait la fine bouche avec les liseuses, mais je reconnais que pour lire les classiques téléchargeables gratuitement sur internet, c’est pas mal. Phèdre était pour moi une redécouverte puisque j’étais tombé dessus à l’oral du bac de français.. À 17 ans, j’avais été devant Phèdre comme une poule devant un cure-dent.

On a beaucoup parlé du mal que les hommes pouvaient faire aux femmes ces derniers temps, mais l’inverse est malheureusement possible aussi. C’était vrai au XVIIe et ça l’est encore aujourd’hui.

Phèdre est un peu perdue, essentiellement gouvernée par ses passions. Indécise, elle se repose entièrement sur Oenone pour prendre des décisions qu’elle lui reproche ensuite. Thésée me semble pour sa part, être un personnage hypocrite et narcissique. Jouissant d’une immense notoriété, du fait de ses nombreux exploits, en particulier sa victoire sur le Minotaure, il se permet aussi de jouer le père la morale en tout cas dans la mesure où les écarts de ses proches pourraient égratigner son image. Il a quand même séduit Ariane pour qu’elle lui tienne le fil à l’entrée du labyrinthe du Minotaure, pour la laisser ensuite tomber et n’a pas été un modèle de fidélité en trompant Phèdre avec Antiope. Je trouve qu’il devrait balayer devant sa porte avant de faire des leçons aux autres, mais bon, c’est le roi. Thésée est aussi très impulsif et réagit au quart de tour à ce que lui dit Oenone sans essayer d’en savoir plus.

Il est vrai que tout ça n’est que le fait des dieux. Phèdre est possédée par Venus, on parle aussi de Neptune et de beaucoup d’autres. Les mortels sont en fait des pantins à la merci des caprices divins et sont donc des éternels irresponsables. La notion de « libre arbitre », telle qu’on la conçoit aujourd’hui, n’existait pas dans la pensée antique. Elle n’apparaît qu’avec Saint Augustin à partir du Vème siècle. Je ne sais pas comment un individu du XVIIe siècle voyait cette pièce de théâtre. L’influence de l’antiquité et de la mythologie était encore très forte. Pour ma part, je n’ai pas prêté beaucoup d’attention aux dieux. Quoi qu’il en soit…  

Cette pièce tout entière à jamais immortelle,

Brille pour l’éternité au sommet de l’Olympe,

Faisant fi des tourments du fragile mortel,

Qui pour rester sur Terre se tortille et s’agrippe.

Édouard

Jean Racine

1677

La vie secrète des arbres

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les arbres sans jamais avoir pris le temps de leur demander.
C’est quoi, au fait, la vie ? La langue française permet de donner un double sens au titre. Le premier et probablement celui voulu par l’éditeur renvoie à la « vie cachée des arbres ». En prenant « secrète » comme un verbe, on peut aussi interpréter le titre comme une affirmation : les arbres sont une émanation du vivant.
Peu de gens continuent à croire aujourd’hui que Dieu a créé le Monde en sept jours. Cependant, je pense que la représentation biblique de la nature marque toujours les esprits. La bible fait peu de cas des arbres, contrairement à d’autres cultures et notamment à la mythologie scandinave qui met l’arbre Yggdrasil au centre du monde.
Il est dommage que cet ouvrage n’évoque pas le symbolisme de l’arbre. Celui-ci est ici vu principalement sous un angle biologique. Cela n’en reste pas moins passionnant, tout au moins pendant les cent premières pages : sa durée de vie incroyable, son système de communication avec les autres arbres, ses relations particulières avec les champignons… L’arbre est un être social. Seul, il dépérit rapidement. L’arbre est dépourvu de réseaux neuronaux et les scientifiques n’ont toujours pas compris comment sans neurones, il pouvait mener la vie qu’il mène et en particulier comment il pouvait sentir l’arrivée des saisons.
Les forêts se déplacent aussi, non pas comme les Ents du seigneur des anneaux. Cela prend du temps, beaucoup de temps. Mais du temps, ils en ont. Ils étaient là bien avant nous, avant les dinosaures même, et ils seront certainement toujours là après nous.
Il ne faut cependant pas croire que tout est paisible dans la vie d’un arbre. Il y a bien une forme de sélection naturelle chez les arbres qui n’est pas la même que chez les animaux. Les animaux sont contraints d’absorber d’autres êtres vivants (ou qui l’ont été) pour assurer leur survie. Les arbres, et les plantes en général, fabriquent leur propre nourriture par le biais de la photosynthèse. Le combat pour la vie dans la forêt s’opère donc par la course à la lumière. L’arbre qui pousse plus vite que les autres va leur faire de l’ombre et par là même, ralentir leur croissance. Si ceux-ci ne trouvent pas le moyen de rattraper leur retard, ils se verront contraints d’attendre la mort du vainqueur pour pouvoir poursuivre leur course vers le soleil. Il ne semble pas y avoir d’homicide chez les arbres au sein d’une même espèce. Entre espèces, c’est une autre histoire : les combats entre chênes et hêtres sont sans pitié.
Passé la page 150, j’ai trouvé le récit un peu rasant. Dès lors, je ne saurais trop conseiller au lecteur d’opter pour l’édition illustrée de splendides photos qu’il pourra paisiblement feuilleter tout en regardant par la fenêtre…vivre les arbres.

Édouard

Petter Wohlleben
Les arènes
2017

Passage des ombres

1944, le corps d’une jeune femme est retrouvé derrière le théâtre national. 70 ans plus tard, un vieil homme est retrouvé mort dans son appartement.
Troisième et dernier volet de la trilogie des ombres. Indridason a beau être aujourd’hui un écrivain internationalement reconnu, il n’en reste pas moins que le fait de connaître un peu mieux le pays et la ville me permet de voir les choses autrement.
Je comprends mieux maintenant cette obsession d’Indridason pour la seconde guerre mondiale. C’est en 1944 que l’Islande se détache du Danemark pour devenir indépendante. Les occupations anglaises puis américaines aux conséquences parfois houleuses auront permis au peuple islandais de se confronter à l’altérité et de faire son introspection. Le positionnement géographique de l’île n’est effectivement pas propice au brassage culturel 1944 est donc la naissance d’une république qui s’accompagne d’une renaissance identitaire. Au sens de la mythologie scandinave, c’est un Ragnarök, la fin d’une ère et le début d’une nouvelle. Plus rien ne sera jamais comme avant prophétisent les enquêteurs.
Si le conflit mondial est plus présent que dans les deux premiers volumes et si Thorson, le représentant de la police militaire, se prépare à partir en Angleterre suite à l’annonce d’un débarquement prochain en France, la présence militaire est cette fois-ci presque occultée.
Indridason se plonge cette fois au cœur de la société islandaise et à ses démons. Pour la première fois chez l’auteur (en tout cas pour ce qui concerne les ouvrages traduits en Français), il s’intéresse au folklore islandais, aux superstitions et aux manifestations surnaturelles en laissant planer un certain doute. Il est beaucoup question d’elfes. Le surnaturel est toutefois toujours affaire de subjectivité : que doit penser cet homme atteint de la maladie d’Alzheimer en voyant deux hommes venu lui rappeler 70 ans après des faits qu’il aura tenté d’oublier toute sa vie, sinon une avant-garde du jugement à venir dans l’au-delà ? Les derniers soubresauts de l’ancien monde, du monde d’avant le Ragnarök, produisent leurs derniers effets.
J’avais été étonné par le fait que la collection « Points » présente Indridason comme un auteur pour passionnés d’histoire et de romans policiers, tant l’aspect historique de ses romans m’avait jusque-là semblé secondaire. Toutefois, l’immense popularité d’Indridason dans les librairies de Reykjavik (éditions anglaises), me font comprendre qu’il est aujourd’hui devenu un ambassadeur culturel de son pays et il est vrai qu’un certain effort de vulgarisation historique semble être fait dans ce dernier volume.
La noirceur et le côté fin du monde de l’ouvrage m’ont tout de même un peu inquiété et j’ai googlisé Indridason pour essayer d’en savoir un peu plus. Visiblement, tout va bien et il va avoir 57 ans en 2018. Puisse-t-il encore très longtemps nous raconter l’Islande.
Édouard

Arnaldur Indridason
2018
Métailié

Reykjavik

À force de lire des polars islandais, j’ai eu envie d’aller y faire un tour. Mes chroniques s’attachant à cerner une unité culturelle européenne ont six ans. J’avais initialement pour ambition de limiter mes recherches à l’Union européenne, mais le Brexit brouille les cartes. Quelle que soit son issue, la marque anglaise dans la culture européenne restera indélébile. Alors, autant s’intéresser à un pays européen qui ne fait pas partie de l’Union européenne.
L’Ile est située sur la dorsale océanique séparant la plaque eurasiatique et la plaque américaine, mais culturellement, le pays affirme clairement son identité européenne. L’indépendance ne date que de 1944, c’est donc un pays institutionnellement jeune qui l’est aussi par son histoire.
En effet, l’Islande n’a été peuplée qu’à partir du IXe siècle par les Vikings. Il n’y a pas de présence humaine antérieure et donc pas de « préhistoire » au sens où l’entend l’Europe continentale. Les Islandais parlent de « colonisation » pour désigner l’arrivée sur l’île des premières populations. On imagine ce qu’a pu être l’arrivée dans ce pays glacial, où fleurissent les volcans, les geysers et les aurores boréales. Il fallait avoir un sacré goût pour l’aventure pour quitter son foyer ou de très fortes raisons pour partir, ceci aidant cela.
C’est dans cet univers extraordinaire que va être écrite l’Edda au XIIIe siècle par Snorri Sturluson, ouvrage inégalé décrivant le panthéon de la mythologie scandinave. A l’époque, les croyances des Vikings tendaient à s’effacer au profit du christianisme. Je n’ai cependant vu nulle part de références à Snorri Sturluson. Rien dans le lonely planet, pas de rue, pas de statue…
Il n’en est pas de même pour un autre Islandais, Leifur Eiriksson qui a lui droit à une statue devant Hallgrimskirkja, église luthérienne à l’allure fantomatique qui est l’emblème de la ville. Le nom de ce personnage est sans doute plus connu outre-Atlantique où sa statue est visible à Seattle et à Boston. Il est en effet le premier Européen à avoir mis le pied en Amérique du Nord autour de l’an mille. La découverte de Leifur n’aura cependant pas le retentissement qu’aura cinq cents ans plus tard, celle faite par Christophe Colomb. Les comptoirs semblent avoir été éphémères et les relations avec les autochtones pour le moins houleuses. Certes, l’Européen du Moyen-âge ne pouvait pas voir sur son smartphone en instantané que quelqu’un faisait des recherches sur Paul Claudel à Sidney (ce qui représente d’ailleurs un intérêt très relatif), mais, il est possible que ce récit se soit perpétué dans les ports. Christophe Colomb a affirmé qu’il avait visité l’Islande en 1477 et il est donc possible qu’il ait eu connaissance du voyage de Leifur.
Reykjavik mérite en tout cas mieux comme statut que celui de ville pour touristes assoiffés de paysages grandioses. Ce qui m’a le plus impressionné dans leur art contemporain est l’utilisation qu’il font du son et des matériaux naturels. Au pays des volcans, la nature reste l’hôtesse de l’humain qui ne sera jamais rien d’autre qu’un invité. Elle ne cesse de lui parler dans le vent, dans les cris des oiseaux, dans l’écume échouée sur le rivage, dans le silence des champs de lave sur lesquels l’imagination fera déambuler elfes et trolls… Puisse l’Islande servir de modèle à l’homme du vingt et unième siècle qui a plus que jamais besoin d’apprendre à écouter la nature.
Édouard

Sable mouvant

Quelque temps après avoir reçu l’annonce de son cancer, Henning Mankel éprouve le besoin de se confier.

« Sable mouvant » n’est pas une autobiographie classique, épousant une chronologie rigoureuse. C’est la somme de tranches de vie, de personnages rencontrés, de questionnements sur la société, sur le monde et le sens de la vie : la disparition de la Suède sous la glace dans 5000 ans, l’importance de l’écho dans l’art pariétal…  C’est aussi des récits de combats, Mankel était un militant : réchauffement climatique, pollution, droit des femmes, droits des étrangers, extermination des rhinocéros, tout y passe… Moi, je suis un peu « j’y pense et j’oublie ». Les premières grandes victimes de la disparition des rhinocéros, c’est tout de même les chasseurs de rhinocéros. Non ? Bon ok, je sors.

Il nous parle aussi d’une passion que j’ignorais totalement : le théâtre et sa troupe au Mozambique.

La construction impressionniste de ce récit n’est pas sans rappeler celle des « bottes suédoises ». À aucun moment, il ne parle de son dernier roman. Pourtant, chronologiquement, les deux livres ont dû être écrits l’un immédiatement après l’autre voire, en même temps.

« Sable mouvant » et « les bottes suédoises » n’en restent pas moins un cas rare en littérature. Les faces réelles et fictives des récits s’éclairent mutuellement. Il y a beaucoup de Mankell chez Welin : deux grands solitaires qui partagent la même vision parfois un peu idéalisée des femmes. Le fait que la mère d’Henning ait quitté le domicile conjugal alors qu’il était très jeune pourrait être une piste. Louise, la fille de Welin aurait pu être la fille de Mankell qui reconnaît avoir eu les mêmes comportements sexuels irresponsables dans sa jeunesse. Louise, c’est aussi Mankell au même âge. Lui aussi s’est enfui à Paris. Il y a d’ailleurs une phrase sur la capitale française qui est rigoureusement la même dans les deux livres.

À côté de tout ça, il y a la maladie qui s’installe, l’ombre de la mort qui s’étend et recouvre peu à peu le monde qu’il a connu, tout comme les maisons des « bottes suédoises » qui disparaissent l’une après l’autre après avoir flambées, comme les bougies d’un énorme gâteau d’anniversaire soufflées par un géant.

« Sable mouvant » se termine en 2014. L’auteur disparaîtra un an plus tard. C’était un homme bon. D’autres continueront à porter le flambeau qui sera un peu plus lourd. Quand ils auront tous disparu, d’autres hommes bons naîtront et feront face à de nouveaux combats. Et puis, ce sera la fin, le « Ragnarök » de la mythologie scandinave. Et encore après, ce sera un nouvel âge.

Édouard

Points

2017

Rogue one

Une vingtaine d’années après qu’Anakin Skywalker, le futur Darkvador,  ait été ramassé par l’Empereur, à demi mort au bord d’un torrent de lave et un peu avant que le monde entier découvre l’existence de Luke Skywalker dans le premier épisode de la saga sorti en 1977, les rebelles réussissent à s’emparer des plans de l’étoile de la mort.

Si ce premier paragraphe vous donne mal à la tête, c’est que vous n’êtes probablement pas un fan. Ceux-ci existent, paraît-il, dans la galaxie. Pour ma part, je suis beaucoup plus que fan. Étant né quelques mois avant la sortie du premier opus, je peux dire que StarWars, c’est toute ma vie. Dès lors, il me semblerait inimaginable d’ignorer les aléas de la Saga, au même titre que ceux de ma propre famille.

Je ne vais tout de même pas jusqu’à collectionner les produits dérivés, tout juste ai-je une fève « Yoda » posée sur mon ordi au boulot, gagnée lors d’une galette des Rois il y a quelques années. L’interférence avec la fête chrétienne en dit long sur la place qu’a prise la Saga dans notre univers culturel. StarWars, c’est la mythologie du XXIe siècle. Les Iphigénie, Pénélope, Ulysse, Patrocle, Hercule et Achille des Greco-Romains se nomment aujourd’hui Leia, Luke, Anakin, Han, Chewbacca et R2D2, mais leurs préoccupations sont proches.

« La Force » reste l’élément central de la série. On ne sait pas exactement ce qu’elle est, on ne la voit que par sa manifestation, par le biais de ceux qui en font usage. D’où vient le pouvoir et qui détient la violence légitime aurait on dit en d’autres temps ?

La question de l’origine de La Force ne se posait pas vraiment dans les 6 1ers épisodes qui racontaient l’histoire d’une famille, les Skywalker, chez laquelle La Force était très présente. On aurait pu se demander comment La Force était venue aux autres Jedi (Yoda, Obi-Wan et cie), mais aucune info ne nous est donnée à ce sujet.

L’épisode 7 ouvre une brèche possible avec le personnage de Rey qui en est doté, mais dont on ne connaît pas les origines. Toutefois, dans le même épisode, le fils de Leia et Hann Solo reproche à son père dépourvu de Force d’être la cause d’une puissance diminuée qui coulerait dans ses veines, semblant ainsi accréditer la thèse du « tout génétique ».

Je m’attendais, comme beaucoup de fans à en savoir plus avec « Rogue One ». On restera sur notre faim. Les héros qui volent les plans de l’étoile de la mort pourraient bien être les parents de Rey, mais aucune certitude ne nous est donnée. D’ailleurs, ces héros ne semblent pas pouvoir faire usage de La Force et pas non plus aptes à la transmettre à leur descendance.

Et si la Force n’avait rien de génétique, si beaucoup la portaient en eux et n’en faisaient pas usage faute de la connaître ? Et si la Force, comme tout don, se composait d’un acquis et d’un inné, qu’il serait impossible de vraiment maîtriser sans travail ? Ce serait vraiment bien sauf qu’à trop vulgariser La Force, on finirait par la tuer, elle deviendrait un produit de consommation qui n’aurait plus aucun charme ? Je sais plus ce que je souhaite. Je me contenterai donc de dire « The Force be with you ? » aux scénaristes du prochain opus.

Édouard

L’homme qui savait la langue des Serpents

La christianisation de l’Estonie au XIIIe siècle par des hommes de fer venus de l’ouest que l’Histoire retiendra sous la dénomination de « chevaliers porte-glaive ».

Jet d’encre dispose d’un système intégré d’auto-alimentation. C’est en effet en relisant l’ensemble des posts du blog en février que je suis tombé sur la critique de Guy écrite il y a presque deux ans et demi qui m’a incité à faire l’acquisition de l’ouvrage.

Tout comme nos ancêtres les Gaulois qui vivaient dans des huttes, les ancêtres des Estoniens vivaient en paix dans la forêt jusqu’à l’arrivée des hommes de fer qui leur imposèrent le christianisme et la fastidieuse vie de labeur du villageois moyen de l’occident médiéval. Beaucoup de références échapperont au lecteur français qui n’est pas forcément au fait des turpitudes de la culture de la société estonienne, mais cela n’empêche en rien de goûter à la verve épique de l’auteur. S’il n’y avait qu’un élément culturel local à retenir, évoqué dans la postface de l’ouvrage des éditions du tripode, ce serait que la « langue des serpents » fait référence à la langue estonienne qui a su traverser les millénaires, contre vents et marées.

Tout comme Goscinny et Uderzo, Andrus Kivirähk écorne ce mythe national qui, comme celui du Gaulois, a été forgé au XIXe siècle. Mais le message est beaucoup moins manichéen que celui d’Asterix avec son village idéal d’un côté et les affreux Romains de l’autre. Dans la forêt, les humains parlent la langue des serpents et vivent en harmonie avec les animaux (même plus qu’en harmonie parfois puisque des femmes vivent avec des ours). Au village, les paysans vénèrent le Christ, mangent du pain et cultivent la terre sous la houlette des moines et des hommes de fer. Toutefois, les affreux se rencontrent autant dans la forêt que dans le village. Ce sont les fanatiques qui justifient leurs abominations tant par le supposé message chrétien pour les uns que par les génies de la forêt pour les autres.

L’histoire commence comme un roman d’Heroïc Fantasy avant de flirter avec le surréalisme pour finir en conte philosophique avec une action qui perd beaucoup en vraisemblance en s’intensifiant. Mais c’est pas grave, c’est finalement très ennuyeux la vraisemblance.

La morale de l’histoire est résumée dans la postface : « même si nous nous croyons fort traditionnels ; nous sommes toujours les modernes de quelqu’un, car toute tradition a un jour été une innovation ». C’est donc une réflexion sur la marche inexorable du temps avec ceux qui essaient de le remonter, ceux qui tentent de vivre avec, ceux qui veulent le changer et ceux qui s’érigent en gardiens de dogmes immémoriaux attachés à un temps qui n’a jamais existé ailleurs que dans leur imagination. Nous sommes amenés tout au long de notre vie à détruire des mythes et à en ériger d’autres dont nous deviendrons les gardiens : telle est l’Histoire, telle est la condition humaine.

Si l’on y réfléchit bien, l’univers du livre n’est pas très éloigné de celui des contes de Grimm et Perrault. Et si toutes ces sorcières et tous ces magiciens qui vivent au fond des bois n’étaient en fait que les derniers vestiges de sociétés disparues ? Le bien, le mal, la magie, la sorcellerie, tout ça n’est-il pas finalement qu’une affaire de point de vue ?

Edouard

Un vrai phénomène en Estonie: 40.000 exemplaires vendus pour 1,4 million d’habitants.
Et à juste titre.
Cette foisonnante allégorie entraîne le lecteur dans un monde de conte de fées.
Cela se passe dans une époque médiévale imaginaire.
Le jeune Leemet apprend de son oncle la langue – plutôt les sifflements – des serpents.
Il vit dans la forêt. À côté de la forêt se trouve le village.
Deux mondes que tout oppose
Dans la forêt, on chasse grâce à la langue des serpents qui force le gibier à se laisser égorger.
Au village, on mange du pain, on cultive les champs, et on s’habille de tissus.
Dans la forêt, le Sage raconte des balivernes.
Au village, c’est le dénommé Johannes, sorte de cureton manqué.
Leemet est un réfractaire dans l’âme.
Il deviendra le seul représentant d’un monde en voie de disparition.
Le livre regorge de personnages fabuleux.
La sœur du personnage central est mariée avec un ours.
Sa mère passe son temps à nourrir sa famille avec des élans entiers.
Au village, on est terrorisé par les hommes de fer (les chevaliers teutons), et les moines châtrés.
La Salamandre, animal volant mythique, obnubile, comme une sorte de Graal, les habitants de la forêt.
Le grand-père, à qui les hommes de fer ont coupé les jambes, n’a qu’une obsession: les éliminer tous.La violence de la fin du livre devrait le réserver à des adultes avertis.
Toutes les fées ne sont pas angéliques.
J’ai repensé au livre de Bruno Bettelheim Psychanalyse des contes de fées.
L’Estonie, la plus nordique des républiques baltes, n’a pas fini de nous étonner.
Sofi Oksanen, à moitié finlandaise, est une autre porte-parole de ce pays que l’Europe découvre.
L’élite y a parlé l’allemand pendant des siècles, avant la chape du communisme.
Sous une forme mythologique, les langues commencent à se délier.
Pour ma part, j’en redemande.
Amitiés légendaires,
Guy (le 23/11/2013)
Andrus Kivirähk – Attila – 428 p.

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Hercule

On ne le présente plus.

En matière de blockbusters mythologiques, je suis plutôt du genre classique. J’aime voir incarnées les représentations des récits que je m’étais construites à 10 ans. On ne triche pas avec la mythologie, je reste intraitable sur ce point.

« La légende d’Hercule », sorti il y a peu aura été à ce titre un nanar de la pire espèce : on ne voit qu’un seul « travail » au début du film : le lion de Némée campé par une brave bête visiblement sur nourrie et sous calmants. S’ensuit une intrigue pitoyable, maladroitement inspirée de Gladiator dans laquelle s’immiscent des interventions célestes ridicules du père du héros. Il paraît que le film de Renny Harlin a fait un flop au box-office …il y a visiblement des producteurs inconscients à Hollywood.

Le film de Brett Ratner semblait plus prometteur, la bande-annonce présentait un lion de Némée, un sanglier d’Erymanthe, une hydre de Lerne et un Cerbère qui avaient incontestablement de la gueule. En fait, on les voit au tout début, mais pas beaucoup plus que dans la bande-annonce. Ulcéré de m’être fait rouler dans la farine, j’ai failli partir. J’aurais eu tort, l’image est spectaculaire et le scénario pas si débile. Tout le film tourne autour de la légende et du décalage qu’il y a entre cette dernière et le vrai Hercule. La légende d’Hercule se lit en filigrane: dans la tête de tous ses contemporains qui ont en mémoire ses exploits, dans la voix du conteur, dans les yeux émerveillés d’un petit garçon qui lui égraine fièrement les 12 travaux qu’il a appris par cœur, dans les sourires goguenards et méprisants des puissants, dans les pommettes de ses admiratrices qui rougissent sur son passage…

Mais Hercule, qui est-il vraiment ? Plus on se rapproche du demi-dieu, plus l’image est floue et lorsqu’on entre dans la tête du fils de Zeus (cela aurait été plus cohérent de dire « Jupiter », mais bon, on ne va pas chipoter), on s’aperçoit qu’il poursuit une profonde quête identitaire. N’est-il qu’une spectaculaire montagne de muscles, un « catcheur » comme l’était Dwayne Johnson qui l’incarne à l’écran ? Quelles sont vraiment ses origines ? Quel rôle a-t-il joué dans la mort de sa femme et de ses enfants ? J’avais complètement oublié cette histoire de meurtres : je me souviens maintenant qu’elle m’avait beaucoup marquée.

Pour terminer, je voudrais revenir sur les deux morceaux de bravoure au cours desquels le héros fait usage de sa force…herculéenne. J’avoue que je me suis entendu intérieurement lui dire « vas-y, tu peux y arriver ». S’il avait échoué, cela aurait été terrible, pas du fait des conséquences scénaristiques de l’échec que cela aurait été l’arrêt de mort de la légende.

Don Quichotte, avant de mourir, renie sa propre légende, j’en pleure encore. Un héros se doit d’entretenir son mythe, ne serait-ce que pour continuer à rendre heureux tous ceux qui ont mis leur espoir en lui. Un très bon cru au final, on en sort fortifié.

Edouard

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Petite philosophie du zombie

Vous en avez marre des vampires romantiques, marre des loups-garous musclés ? Le zombie est fait pour vous. Affreux, bête et méchant, il fera le plaisir des petits comme des grands.
Le zombie a le vent en poupe en ce moment et Maxime Coulombe s’interroge sur les raisons de cette popularité.
Il y a deux ans, je suis tombé sous le charme de « bienvenue à zombieland ». Ce monstre avait une identité qui, je ne sais pourquoi, m’intriguait. Ce livre a répondu à toutes mes attentes.
Né en Afrique de l’ouest, le personnage est étroitement lié à l’esclavage. Il va débarquer sur le Nouveau Monde à Haïti et prospérer à travers le vaudou.
Cependant, le zombie que tout le monde connaît aujourd’hui est très différent de celui des origines. Il doit beaucoup au cinéma gore et d’horreur qui lui donnera ses lettres de noblesse.
Première caractéristique du zombie. Il peut et doit être tué. Maxime Coulombe le rapproche ainsi de l’ « homme sacré » des sociétés grecques qui pouvait être tué sans que son assassin ait à craindre d’être poursuivi par la justice. C’est le principe du « dead or alive » du Far West. Si le zombie n’est pas vraiment un homme, il n’est pas non plus un animal : c’est un homme réduit à ses plus bas instincts. C’est un homme sans humanité et c’est cette caractéristique qui lui vaut la dénomination de « mort-vivant » au moins autant que sa démarche et son teint de déterré. Cependant, quand il est assailli par la fatigue et par les soucis, quand, englouti par la société de consommation, il se voit prive de tout libre arbitre, l’homme moderne n’est il pas un peu zombie ? En nous faisant voir le bas de l’échelle humaine, le film de zombie nous rassurerait donc sur notre propre condition.
Quelle est la frontière entre l’homo sapiens fatigué et le mort vivant ? On en vient alors à la troisième caractéristique du film de zombie : l’environnement post-apocalyptique. La fin du monde est ici en fait une fin de l’ « humain » en tant qu’être sensible capable d’empathie et de discernement. Si les films de zombies restent évasifs sur les causes de l’apparition des zombies, c’est parce que le déclin de l’humanité lui est indissociable.
Et puis , il y a cette fin du monde qui nous est sans cesse rabâchée : la destruction de la planète, l’emballement de l’économie mondialisée … Culpabilisé à outrance, l’inconscient de l’homme moderne ne rêverait-il pas d’être spectateur d’un cataclysme imminent dont il se sent responsable, de par le seul fait d’exister ?
Maxime Coulombe
2012
PUF

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