Réparer les vivants

Présenté par la revue Lire comme la découverte littéraire de ce printemps 2014, ce livre me laisse sur ma faim.
Le terme est faible.
Simon ,victime d’un accident de voiture, se retrouve à l’hôpital en coma dépassé.
Les médecins demandent à ses parents l’autorisation de prélever ses organes pour les greffer.
Je n’aime pas trop les histoires de docteurs, mais cette histoire en vaut bien une autre.
J’ai été agacé par le style prétentieux de la prénommée Maylis.
Cette personne est bien renseignée, elle a même assisté ‘en vrai’ à une greffe cardiaque.
Les salles d’opération n’ont plus de secrets pour elle.
Elle me fait penser à Muriel Barbery (L’élégance du hérisson) qui m’avait fait transpirer en 2009.
Oserai-je employer le terme de style amphigourique ou emberlificoté? Oui.
Les réactions des personnages non comateux: agitées et (hyper)ventilatoires.
J’ai sursauté à plusieurs reprises en lisant ‘mêmement’ (oui,comme George Sand il y a fort longtemps)
L’adverbe, prononcé à voix haute, ferait plutôt penser à une chèèvre.
La scène des trois pizzas m’a semblé particulièrement consternante.
Amitiés chirurgicales,
Guy.
Maylis de Kerangal – Verticales – 281 p.

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Le rêve du Celte

Roman ou biographie?
Le lecteur découvre Roger Casement, Irlandais de naissance, un homme passionné et intègre.

Né en 1864, il assistera à l’exploitation  de l’Afrique et de l’Amérique du Sud par les puissances européennes.
Il est envoyé  par le gouvernement britannique comme diplomate au Congo récemment confié à Léopold II, le roi des Belges. En compagnie de Stanley, il y fera un voyage d’exploration, et il en reviendra terrifié par les exactions de l’occupant belge.
Son compte rendu, lors de son retour en Angleterre, provoquera une onde de choc, et fera de lui un quasi-héros national.
Envoyé en Amazonie, il découvrira une autre situation d’exploitation coloniale. Il en perdra la santé.

Irlandais dans l’âme, il finira sa vie en prenant le parti de l’ armée de libération irlandaise. Au point de trahir l’Angleterre en demandant l’aide des Allemands (cela se passe pendant la Première Guerre mondiale).
Arrêté et jugé pour haute trahison, il est  pendu en avril 1916.
Son homosexualité n’est certes pas étrangère à l’échec de son recours en grâce.
Cent ans plus tard, l’Irlande du Nord reste une épine dans le pied de la Grande-Bretagne.

Vargas Llosa réussit le portrait nuancé d’un homme victime de ses emballements.
Son empathie avec les exploités est décrite avec beaucoup de réalisme.
Comme dans ‘La fête au bouc’ décrivant la fin de Trujillo en République Dominicaine, les chapitres alternent le passé et le présent. Cela ralentit un peu l’action, mais cela permet un éclairage beaucoup plus contrasté du personnage.

Amitiés irlandaises,

Guy.

Mario Vargas Llosa – Folio – 526 p.

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Ecriture et écho

Depuis un an, je suis relecteur au comité de lecture d’une petite maison d’édition en ligne que les habitués de général Lee connaissent : Shortédition. C’est cette même maison qui a publié un certain nombre de mes textes, notamment quelques aventures de Georges. Le choix des textes qui seront publiés sur le site est effectué par des relecteurs bénévoles qui votent pour chaque œuvre sur une échelle de 1 à 10. Bien entendu, les relecteurs qui sont aussi auteurs n’ont pas la possibilité de voter pour leurs propres œuvres.
Ceci dit, cela ne signifie pas qu’être relecteur n’est d’aucune aide pour être publié ni pour progresser en écriture. Je savais en m’engageant que le travail d’un relecteur n’était pas exactement le même que celui d’un lecteur lambda d’une œuvre sélectionnée, calibrée, ripolinée par un éditeur et distribuée dans le commerce.
Sur le flot de textes qui arrivent sur le site, 20% seulement sont de qualité. On est toujours plus indulgent avec soi même qu’avec les autres et à force de relire des textes mal écrits, bourrés de fautes d’orthographe, sans chutes, sans épaisseur, dans un français laissant à désirer et sans aucun respect pour la concordance des temps, on finit fatalement par devenir plus exigent pour soi.
Le second intérêt réside dans le fait de croiser son opinion avec celui des autres relecteurs. Je n’en connaissais aucun et j’ai été agréablement surpris par le fait qu’en dehors de quelques exceptions (heureusement, nous ne sommes pas des robots), il y a très souvent une convergence d’opinion concernant la qualité d’un texte. Comme quoi, quand une œuvre est vraiment bonne…
Donc, pas de fautes d’orthographe, de grammaire ou de conjugaison. C’est le BABA, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi qu’une vraie sensibilité se dégage du texte, qu’elle marque le relecteur, qu’elle l’aspire, qu’elle le captive (presque au propre), qu’il ne souhaite plus se détacher du texte. Tout le monde n’est pas également équipé pour atteindre cet objectif. Très rares sont les Françoise Sagan qui y arrivent à 18 ans avec « Bonjour Tristesse ». La très grande majorité n’y arrive qu’avec le travail et la maturité.
Ceci dit, il y aura toujours une part d’aléa dans le choix du comité et le fait qu’un texte n’ait pas été retenu ne signifie pas forcément qu’il est mauvais et absolument pas que l’auteur doive se décourager. Il est extrêmement précieux pour un auteur d’avoir un retour sur son œuvre, mais la décision du comité éditorial n’est qu’un écho et l’auteur sera le seul à pouvoir lui donner une signification.
Edouard

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Autoportrait de l’auteur en coureur de fond

Quand un grand écrivain dévoile une facette ignorée de sa vie.
Le jour où il vend son club de jazz, il arrête de fumer et commence à s’entraîner à la course de fond.
Depuis lors, il n’a pas cessé.
À son actif, de nombreux marathons, des triathlons (natation 1500 m, cyclisme 40 km, course à pied 10 km), et même un super-marathon de 100 km. Décourageant pour un sportif du dimanche tel que moi.
« Une grande partie de mes techniques de romancier provient de ce que j’ai appris en courant chaque matin ».
André Clavel a écrit dans l’Express: « L’homme aux semelles de vent qui dévore les mots et le bitume avec la même fringale ». Joliment dit, non?
Une belle méditation sur la vie, par un homme qui finira, j’espère, par remporter un jour le prix Nobel de littérature.
Amitiés hors d’haleine,
Guy.
Haruki Murakami – 10/18 – 220 p.

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Nageur de rivière

Le grand Jim semble se focaliser sur la forme de livres contenant deux ou trois longues nouvelles.
Celui-ci en contient deux.
1. Au pays du sans pareil.
Clive, 60 ans, retourne au Michigan pour s’occuper de sa vieille mère pendant un mois. Ce contact avec le passé dans la ferme familiale lui redonnera un nouvel élan et une nouvelle joie de vivre.
2. Nageur de rivière.
Thad, adolescent de sang indien, cherche son identité au bord du lac Michigan, dans une ferme solitaire.

Les personnages de Jim Harrison ont toujours quelque chose à nous raconter.

Clive le sexagénaire, peintre raté (quoique…) et critique d’art redouté, rumine son divorce, et tempête encore contre une amazone qui a taché son beau costume avec de la peinture jaune lors d’une conférence. Il retrouvera sa joie de peindre dans la ferme de son enfance.
Thad le gamin se met en tête de rejoindre Chicago à la nage. Et il y arrivera.
Deux apprentissages, l’un à l’automne, l’autre au printemps de la vie.
Deux histoires humaines, sensibles, sensuelles, un vrai bonheur.
Amitiés vivifiantes,
Guy.
Jim Harrison – 257 p.

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En finir avec Eddy Bellegueule

Un « best-seller ». J’ai hésité un moment à le lire. Un livre à la mode après le « mariage pour tous ». Les « exclus » montent régulièrement au créneau pour faire l’actualité, diversion, puis retombent dans l’oubli. Une passade de notre monde égoïste, je suppose…
Eddy est du 3e sexe depuis sa naissance : il a une voix aiguë, fait de grands gestes en parlant. Ses parents, ses copains, les gens du village le trouvent maniéré, un rien « gonzesse ».
Je ne pense pas que le fait d’avoir été élevé dans un milieu pauvre et sans culture soit réellement marquant pour son dénie. Il est évident qu’ayant un modèle « d’homme » bagarreur et alcoolique ne l’a pas aidé.
S’il était né dans une famille bourgeoise, il aurait été, aussi, la honte de sa famille qui l’aurait, quand même, poussé à la « normalité ».
« Ce livre est une tentative pour comprendre. » L’action se situe dans les années 90 et nous raconte son parcours, ses excès, ses émotions, sa soumission aux coups, ses essais (voué à l’échec, bien sur) pour ressembler à ses copains et faire « comme tout le monde ». Il a entre 10 et 15 ans.
Il paraît que maintenant, il « s’en est sorti » et s’accepte tel qu’il est. Tant mieux !
Mais qu’en est-il de la société ?
Dernièrement, quelqu’un de plutôt cultivé et que je croyais évolué m’a dit : « Ils ne sont pas normaux, quand même. »
Qu’est-ce que la normalité ? À partir du moment où nous n’acceptons pas la différence (couleur, sexe, religion, etc.), le monde évolue-t-il vraiment ?
Revoir la théorie du fascisme sur les asociaux…
Les souvenirs nous sont racontés dans le désordre en sautant du coq à l’âne ce qui en rend la lecture assez difficile sinon, il est honnête. Mais, il ne m’a rien appris de plus sur le sujet.

La Martine…

 

LOUIS Edouard

Seuil, 2014, 220 p.

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Quattrocento

« 1417 : un grand humaniste florentin découvre un manuscrit perdu qui changera le cours de l’histoire… ».
Le résumé inscrit sur la couverture, au-dessus d’une image de livre ouvert aux couleurs acidulées ne m’a pas vraiment rassuré et, si un bandeau attaché à l’ouvrage n’avait pas précisé qu’il avait reçu le prix Pulitzer 2012, j’aurais diagnostiqué un sous Dan Brown et passé mon chemin sans y prêter plus d’attention.
Ce récit de la redécouverte au XIVe siècle de « De rerum natura » (de la nature des choses) écrit par le poète et philosophe latin Lucrèce (1er siècle avant Jésus Christ) est passionnant.

Le redécouvreur n’est autre que le Pogge, secrétaire apostolique du pape Jean XXIII, destitué au concile de Constance (1414), laissant ainsi un nom de pape libre qui sera repris presque 550 ans plus tard par Angelo Roncalli.
Quattrocento n’est pas un roman, mais s’appuie sur des recherches historiques, d’où le prix Pulitzer. Je ne suis toutefois pas tout à fait convaincu que la redécouverte de « De rerum natura » ait pu à elle seule enclencher le mécanisme conduisant à la renaissance, mais la thèse est intéressante.
L’auteur explique de manière très didactique que le livre au moyen âge était une chose rare, tout comme les lecteurs et que si la culture antique a progressivement disparu, ce n’est pas tant du fait d’une censure imposée par l’Église que par un oubli progressif des textes anciens. Les copistes n’étaient pas très nombreux et, étant exclusivement des clercs, se consacraient avant tout aux textes sacrés. On pense beaucoup au « nom de la rose » en lisant « quattrocento ». L’énorme bibliothèque labyrinthique imaginée par Umberto Ecco n’a jamais existé, mais peut être que l’ombre de « de la nature » se cache derrière le prétendu ouvrage d’Aristote sur le rire, jalousement caché par les moines.
« De la nature », niait la vie après la mort, le rapport direct entre les dieux et les hommes et érigeait en seul principe de vie la recherche du plaisir dans un univers qui n’était finalement qu’un agglomérat d’atomes. Pour les gardiens des dogmes chrétiens, il avait sans doute plus de raisons qu’un autre texte antique d’être oublié, mais ne le fût pas. C’est effectivement incroyable qu’un exemplaire en ait été conservé dans un monastère allemand au XVe siècle. Sans doute avait il été recopié par un moine qui, comme tant d’autres, fut séduit par la grande beauté poétique de l’ouvrage et privilégia la forme au fond. Mais l’objet ne peut faire à lui seul la découverte et ce qui importe est au moins autant qu’il surgisse dans une société prête à lui donner du sens, c’était effectivement le cas du XVe siècle italien qui allait initier un tournant majeur de la culture occidentale. Celle-ci allait en effet devenir un syncrétisme entre le message chrétien et la culture antique. Le questionnement permanent de l’une par l’autre fut, plus que l’ouvrage de Lucrèce à lui seul, le moteur de son évolution.
Stephen Greenblatt
Flammarion
2013
Edouard

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Solo

Mission impossible pour William Boyd.
Faire revivre James Bond, icône des golden sixties, relevait de la gageure.
L’agent secret est envoyé au Zanzarim, afin d’y mettre fin à une guerre civile sanglante. Rien de moins.
Il y rencontre une ravissante métisse, sera rapatrié grièvement blessé, et continuera sa mission de son propre chef (Solo) en se rendant à Washington. Il lui arrivera des broutilles, de même qu’à sa complice, et au méchant de service.
La pirouette finale m’a semblé particulièrement tordue.
Le Bond de Boyd est macho (comme celui de Fleming), mais beaucoup plus violent et sans scrupules. Un personnage fort peu sympathique en somme. D’ailleurs, il ne boit pas de thé.
J’avais gardé le souvenir d’un agent secret pour rire, et je retrouve une brute sans foi ni loi.
Est-ce le monde qui a changé ou deviendrais-je gâteux?
Ceci dit, l’histoire est bien ficelée. William Boyd est un auteur de tout premier plan. Son avant-dernier roman m’avait emballé ( « L’attente de l’aube »). Il se sera offert une petite récréation.
Difficile de toucher aux archétypes.
Les carrières de Tintin, de San Antonio, de Maigret… (liste à compléter) se sont interrompues avec la disparition de leur créateur. Qu’ils reposent en paix.
Amitiés funéraires,
Guy
William Boyd – Seuil – 342 p.

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Bestiaire fantastique des voyageurs

Le lecteur sera étonné d’y trouver beaucoup d’hommes et la place de ces derniers dans un bestiaire pourra lui paraître pour le moins choquante. Toutefois, avant que la science ne se penche sérieusement, à partir du XVIIIe siècle, sur la classification des espèces animales, la distinction n’allait pas de soi. Que penser d’un Cafre, d’un Hottentot ou d’un Lapon ? Devait-on vraiment les considérer comme des humains à part entière ? La controverse de Valladolid en 1551 s’attachait au cas particulier des Indiens d’Amérique, mais soulevait une question beaucoup plus générale et qui n’a cessé de rendre dubitatifs les explorateurs à partir de la renaissance : qu’est-ce qui distingue l’humain du non humain ? Comment penser que ces créatures à l’apparence humaines, mais aux mœurs si étrangères aux habitudes européennes et qui, de surcroît, n’ont jamais entendu parler de Jésus, des apôtres, ni du martyr de sainte Agathe, puissent vraiment être des humains ? Inversement, cela ne semblait pas non plus invraisemblable de s’interroger sur la nature humaine du gorille, de l’orang-outan, de l’ours polaire ou de l’éléphant.
Saint Augustin s’est longuement penché sur la question des Cynocéphales pour conclure finalement qu’ils n’appartenaient pas à l’espèce humaine. Il ne doutait absolument pas de l’existence de ces individus au corps d’homme et à la tête de chien. Difficile à comprendre dans notre monde ultra rationalisé. Dans la pensée antique et médiévale, le rapport au vraisemblable était certainement très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Le référentiel était alors celui des dieux, puis du christianisme, celui des savants, des anciens, à l’aune duquel on évaluait les expériences des rares explorateurs. Quand tout ça concordait globalement, pourquoi remettre en question la véracité des récits ? Quand bien même un homme du moyen âge aurait voulu le faire, avait-il la culture nécessaire ?
Ce qui dominait, c’était l’extraordinaire, le merveilleux, ce qui marquait les esprits, ce qui permettait de trouver des réponses à des questions essentielles, ce qui permettait de construire une identité. La réalité de tout ça n’intéressait finalement pas grand monde.
Aussi, je ne me prononcerai pas sur la réalité de l’existence du Catoplébas, du Fourmi lion, des Blemmyes, des Panottis et autres Sciapodes. J’invite seulement ceux qui voudraient voir s’ébrouer tous ces personnages à lire « Baudolino » d’Umberto Ecco.
Ceux qui mettaient en musique les récits des explorateurs n’étaient bien souvent pas les voyageurs eux-mêmes, ce qui, par l’effet bien connu du téléphone arabe, a pu introduire du merveilleux là ou il n’y en avait pas. Le voyageur cherchait certainement aussi à enjoliver son voyage et son auditoire, désireux de voyager à son tour à travers le récit, n’hésitait pas à y ajouter un peu de fantastique pour mieux goûter son plaisir. C’est sans doute comme ça que sont nés beaucoup d’animaux fabuleux. Aujourd’hui, tous ces êtres ont été démystifiés et le vrai séparé du faux. Ce qui reste à l’homme du XXIe siècle, c’est la soif de mystère, la soif de fabuleux, l’envie de croire en une autre réalité. L’ouvrage se referme sur le Yeti et souligne le fait que ce mythe ne date que du XXe siècle…les crypto zoologues n’ont pas dit leur dernier mot.
Collectif sous la direction de Dominique Lanni
Arthaud
2014
Edouard

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