Berlin

Vous n’allez pas me croire. Pour la première fois de ma vie, j’ai pioché dans le minibar de l’hôtel. C’était une bouteille de Gerolsteiner (de l’eau avec des bulles). Tout ça parce que le premier jour, je me suis fait avoir par le froid. Le soir, j’ai donné toute ma monnaie, mais après, j’ai pensé que j’avais pas bien joué. Comment faire pour prendre mon prochain ticket de métro quotidien avec une station sans guichets et un distributeur qui n’accepte que les pièces et les billets de 5 et 10 €? Le lendemain, ayant fini par comprendre l’ enjeu stratégique du petit déjeuner, je me suis bien goinfré. Ensuite, je suis entré dans le supermarché du coin pour acheter un bretzel. Le caissier a dit « sheisse ! » quand il a vu mon billet de 50€ avec lequel il est parti pour revenir deux minutes plus tard avec la monnaie. Bien entendu, je n’étais pas en état de manger le bretzel que j’ai mis dans mon sac.
Les musées à Berlin ont deux grandes qualités. D’abord, ils sont chauffés et ensuite, ils sont suffisamment gigantesques pour faire descendre le petit déjeuner. Le contenu est pas mal aussi, des reconstitutions de temples à couper le souffle notamment…on se sent un peu Indiana Jones dans chaque pièce. Et puis, il faut aller voir Néfertiti, sinon, c’est comme aller à Bruxelles sans voir le Manneken pis, aller à Copenhague sans voir la petite sirène…enfin, vous avez compris. J’ai bien aimé aussi le chapeau d’or. Incroyable, je ne connaissais pas : un calendrier lunaire gravé sur un chapeau en or de 1,20m datant du 1er millénaire av. J.-C.. Je me demande bien comment ils faisaient pour l’utiliser. Peut-être que quand le chef le portait, le chaman devait monter sur une échelle pour pouvoir le consulter.
Vers 13h30, j’ai senti qu’il fallait que je recharge mes batteries, en oubliant que j’avais un bretzel dans mon sac, ce qui aurait peut être été suffisant, je ne sais pas. Enfin bon, on ne va pas refaire l’histoire, surtout à Berlin, c’est fait, c’est fait ! Les bruits de bottes sous la porte de Brandebourg, l’administration du IIIe Reich, le massacre des juifs, Tziganes, homosexuels, handicapés mentaux et opposants politiques de tous poils ; le mur, Checkpoint Charlie, le militaire qui soulève les barbelés pour faire passer à l’Ouest le petit garçon en regardant si personne ne le voit..Tout ça, c’est bien fini ! Je m’égare, où en étais je ? Ah oui, le bret…Non, je n’ai pas fini. Autant vous dire que tout ça, même si c’est du passé, c’est aussi très présent, tout est là partout pour nous le rappeler, pour crier que l’identité de l’Europe au 20e siècle, c’est une bonne dose de folie furieuse. Oui, bien entendu qu’il faut en parler, d’autant plus que toutes ces horreurs paraissent complètement incroyables aujourd’hui et j’espère qu’elles le resteront jusqu’à la fin des temps. Pour tout dire, cela m’a un peu coupé l’appétit et j’ai décidé de me contenter du bretzel pour dîner. Le problème du bretzel, c’est que c’est sec et que ça donne soif, d’où la bouteille de Gerolsteiner.
Si vous avez aussi du mal à assumer ce passé douloureux, vous vous réfugierez peut être dans un monde merveilleux de palais, de portraits d’ancêtres, de parcs romantiques, de princes et de princesses, de joyaux de la couronne, de couverts en argent, de gibiers finement cuisinés…cet univers est celui du château de Charlottenburg à quelques stations de métro du centre. Attention toutefois, comme disait Goya, le sommeil de la raison produit des monstres.

Edouard

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Hokusai

Deux heures de queue au Grand Palais sous la pluie en semaine. Le week-end, c’est pire. Je ne suis pas certain que ceux qui ont déjà leur place avant de venir avancent tellement plus vite, le coupe-fil peut être…quoi qu’il en soit, l’attente est largement récompensée.

Hokusai, qui eut un nombre invraisemblable de noms au cours de sa vie et qui fit porter son nom à l’un de ses disciples était un homme de la première moitié du XIXe siècle japonais, un homme d’avant l’ère Meiji, d’avant la grande ouverture vers l’occident. C’est un homme qui, à travers des milliers de croquis, brosse une société traditionnelle qui va se modifier en profondeur à la fin du XIXe. Il est le peintre d’une société et aussi de ses traditions, de ses héros, de ses monstres. Un monde magique que l’on retrouve dans les dessins animés de Miyasaki : Princesse Mononoké, le voyage de Chihiro et mon voisin Totoro sont profondément imprégnés de l’univers d’Hokusai. C’est en partie par Hokusai que l’occident va découvrir le Japon à la fin du XIXe, il en résultera une relation décalée et passionnée entre ces deux univers artistiques qui révolutionnera la peinture occidentale.

Mais Hokusai n’est pas uniquement le vestige d’une époque révolue, c’est beaucoup plus que ça.

C’est tout d’abord un trait, une magie du mouvement, du vivant. Ce qui fascine chez ce peintre, c’est cette capacité a donner l’illusion d’une vitalité, d’une force supérieure qui fait que le tout est beaucoup plus que la somme des éléments qui le composent. Cette vitalité se ressent bien entendu dans ses scènes de genre, dans ses scènes mythologiques, mais aussi dans ses paysages. Coïncidence ou influence directe, les peintres allemands de la fin du XIXe s’efforceront eux aussi d’introduire dans leurs paysages cette force vitale qui intéressera tant les impressionnistes.

Son œuvre la plus célèbre, « la vague » est à ce titre emblématique : en la voyant, on a la certitude de ne pas voir qu’une vague. On voit une force, une puissance et plus on la regarde, plus on entend le rugissement des flots.

La seconde chose qui m’a fasciné chez Hokusai est liée à la première. Cette magie ne lui est pas tombée du ciel toute cuite, c’est le résultat d’une longue maturation, d’un travail et d’une certaine sagesse due à l’âge, la recherche inlassable d’un idéal. Le dernier panneau de l’exposition, une citation de Hokusai, m’a à ce titre beaucoup ému. J’ai retrouvé ce texte dans un tout petit bouquin bilingue français/anglais, vendu dans la librairie qui est juste à l’entrée du grand palais, sur la droite (éditions Fage). Je ne pourrai pas mieux définir que l’auteur, sa quête d’essence artistique et lui laisse la parole.

« C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la structure de la nature vraie […] à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait encore plus de progrès : à quatre-vingts –dix ans je pénétrerai le mystère des choses ; à cent ans je serai décidément parvenu à un degré de merveille et quand j’aurai cent dix ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. »

Edouard

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La prochaine fois, je viserai le cœur

Au cours des années 1978-1979, Alain Lamare, Gendarme et tueur en série, semait la terreur dans l’Oise, département déjà ébranlé à l’époque par un autre tueur en série : Marcel Barbeault alias, « le tueur de l’ombre ».

Cédric Anger situe l’intrigue 4 ans plus tôt et le tueur/gendarme, Guillaume Canet, devient Franck. Ce n’est pas un génie du mal du genre d’Hannibal Lecter dans le silence des agneaux, il m’a plutôt fait penser à Stéphane, ce luthier étrange et ténébreux incarné par Daniel Auteuil dans « un cœur en hiver » de Claude Sautet. Franck est malade, a conscience de sa maladie et en souffre. S’il fallait le raccrocher à une célébrité du 7e art, ce serait Norman Bates. Mais alors que dans psychose, Hitchcock ne s’intéresse qu’aux effets théâtralisés de la psychopathologie du personnage, Anger s’intéresse au conflit intérieur qui ronge Franck.
Certes, dans psychose, Marion Crane entend Norman Bates se disputer avec sa mère et on se doute bien qu’il doit y avoir un conflit intérieur, mais il ne fait l’objet d’aucun développement.

Dans « la prochaine fois… », le rapport de Franck avec sa mère est aussi évoqué dans une scène qui met très mal à l’aise, mais elle n’atteint pas les sommets hitchcockiens.

Les deux tueurs ont comme point commun leurs pulsions sexuelles qui se transforment en pulsions meurtrières. Comme Norman Bates, Franck finira sa vie dans un hôpital psychiatrique.

On peut peut-être voir aussi dans ce film une critique du mythe de la libération sexuelle qui vivait alors ces grandes heures. Ce vieux libidineux en manque de compagnie qui met des petites annonces dans les toilettes crasseuses d’un café m’a mis la puce à l’oreille. D’une certaine manière, Franck et le vieux sont tout deux exclus d’un système dans lequel règne le dogme d’une hétérosexualité standardisée et aseptisée telle qu’on peut la voir dans les films de François Truffaut (pour les fans comme moi, ne manquez pas l’expo actuellement à la cinémathèque).

La maladie de Franck n’est pas non plus la perversité jouissive chère au divin marquis (très déçu par l’expo « Sade » du musée d’Orsay), c’est plutôt un poltergeist, une sorte d’esprit, un loa vaudou qui viendrait prendre possession de Franck, un loa contre lequel il lutterait, mais contre lequel il ne pourrait en définitive rien faire.

Pour terminer, je voudrais revenir sur le titre. Bien entendu, on pense d’abord à Franck qui vide son arme sur les jambes de ces victimes au lieu de viser le coeur, mais cette phrase m’est revenue à la fin du film et j’ai essayé de lui donner une autre signification. Je l’ai imaginée prononcée en guise d’excuse par un Cupidon maladroit ayant raté son coup et dont la flèche aurait malencontreusement atteint la tête du destinataire.

Edouard

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Le Royaume

Emmanuel Carrère est un garçon intelligent. Il le sait, mais surtout, il aimerait que ses lecteurs le sachent. Il est un très bon écrivain. Et un bosseur.

Pondre 630 pages autour de deux personnages du nouveau testament, il fallait le faire.

D’un côté Paul, celui des épîtres pendant les messes de mon enfance. Un raseur de grande classe, doublé d’un caractère de cochon. Grand chasseur de chrétiens, il est un jour jeté au bas de son cheval sur la route de Damas.,Et il deviendra le plus casse-pieds des défenseurs de la nouvelle religion.

De l’autre côté, Luc l’évangéliste, écrivain et médecin, qui mettra en musique les exploits de Jésus de Nazareth.

Curieusement, Carrère préfère Paul à Luc. A cause de sa grande intelligence. Ben voyons.

On apprend accessoirement que l’auteur a pendant 3 ans assisté tous les jours à la messe, avec toute la liturgie qui l’accompagne.

Cette habitude lui a passé, et il se déclare non pratiquant au stade actuel de son cheminement. Heureusement, car Dieu seul sait combien de pages il aurait pu infliger à ses lecteurs désemparés.

Un des jurés du Prix Goncourt, dans le but d’écarter la candidature d’ Emmanuel Carrère, avait parlé d’un auto-péplum. Expression assez bien trouvée, car notre écrivain adore parler de lui.

Il est fasciné par des personnages hors norme (Jean-Claude Romand dans l’ Adversaire, Limonov dans un de ses derniers ouvrages).

Qui sera le suivant?

Les voies de la Providence sont impénétrables.

Amitiés iconoclastes,

Guy

Emmanuel Carrère – P.O.L – 630 p.

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