Le Lambeau

Le 7 janvier 2015, Philippe Lançon était présent dans les locaux de Charlie Hebdo lors de l’attaque terroriste. Il survivra à ses blessures… mais à quel prix ?

J’ai acheté ce livre peu de temps avant le confinement, à la FNAC des Halles, après un déjeuner du côté de Beaubourg, un acte anodin qui semble presque un rêve après ces semaines d’hibernation forcée.

La lecture n’a pas été facile. L’auteur évoque beaucoup « la montagne magique » de Thomas Mann, j’ai eu autant de mal à lire les deux.

Fin mars, cela m’a semblé très lointain. Abreuvé alors par l’hécatombe des victimes du Coronavirus, les déboires de l’auteur me sont apparus comme un épiphénomène. Si je n’ai pas abandonné la lecture, c’est parce que mon envie de lire s’est peu à peu épuisée. Moi qui ai toujours eu un livre en cours depuis l’âge de six ans, je sombrais dans le désintérêt total pour la lecture. Alors, celui-là plutôt qu’un autre…

Je me contentais parfois de deux pages par jour, sans doute plus parfois puisque j’ai tout de même réussi à le terminer. Les journées de Philippe Lançon semblaient toutes identiques, comme celles de Hans Castorp, le héros de Mann et  comme les miennes qui le sont rapidement devenu sous l’effet du confinement.

Cette assignation à résidence a forcément favorisé mon sentiment de proximité avec l’auteur. Il est vrai que le Coronavirus n’a rien à voir avec une attaque terroriste, mais Philippe Lançon et moi étions tous deux des victimes de ces phénomènes. Certes, le coronavirus ne m’avait pas arraché la moitié du visage ni cloué sur un lit d’hôpital, mais m’avait contraint à l’inactivité, comme ces personnages de « la montagne », incapables de savoir s’ils sont malades ou bien portant.

Alors oui, Philippe Lançon restera dans ma mémoire comme un compagnon de confinement. Comme lui, j’ai fini par m’habituer à la situation et comme lui, j’ai été un peu effrayé lorsqu’il s’est agi d’envisager l’ « après ».

Toujours comme dans la « montagne magique », les choses ne se sont accélérées que dans les 100 dernières pages, lorsque la tension du roman renaît avec la perspective du retour à la vie. Philippe a recommencé à manger un yaourt lorsque j’ai enfin eu l’autorisation de repasser au boulot. Ça crée des liens, forcément.

 Ce qui nous attend  dans le monde d’après n’est pas la Première Guerre mondiale même si la confrontation sino-américaine pourrait évoquer une nouvelle guerre froide. Comment sera le monde d’après ? Nous nous posons la question comme s’il revenait aux dieux de l’Olympe d’en construire un nouveau. Ce qui est certain c’est que nous, nous ne serons plus les mêmes.

Édouard le 5 mai 2020

Le Lambeau

Philippe Lançon

2019

Folio

Le 7 janvier 2015, les frères K., armés de Kalachnikov font irruption dans les bureaux du journal satirique Charlie Hebdo, et ils assassinent une dizaine de personnes.
Philippe Lançon fait partie des très rares rescapés.
Il a la mâchoire arrachée. Imaginez une vie sans mâchoire: pas de nourriture, pas de boisson, pas de parole possible, la respiration compromise, le bain de salive permanent.

J’ai hésité pendant plusieurs mois avant de me lancer dans cette lecture.
Bien m’en a pris: pour ma dernière lecture de l’an 2018, j’ai appris ce que signifie la rage de vivre.

Depuis sa prise en charge à l’hôpital de La Salpêtrière, il a subi une trentaine d’interventions chirurgicales, couronnées par une greffe du péroné (en lieu et place de sa mâchoire) et une rééducation de six mois.

Vous me direz que voici une lecture peu réjouissante.
Nous vivons malheureusement dans une société hyperviolente.
Le livre se termine d’ailleurs sur une note encore plus pessimiste: l’annonce du massacre du Bataclan alors que l’auteur se trouve à New York.

Philippe Lançon a du style, il fait montre d’une très (trop?) grande culture.
Il ne cache rien de ses hésitations, de ses découragements, de ses petites joies.
Un tout grand coup de chapeau à sa chirurgienne Chloé qui arrive à le maintenir à flot contre vent et marée.

Un livre majeur à mon sens, qui fera date dans l’histoire de la littérature.

Prix Fémina 2018.

Amitiés gardons confiance,

Guy le 6 janvier 2019

Philippe Lançon – nrf Gallimard – 510 p.

Jacques, frère de Jésus

 

Qui était donc ce mystérieux personnage appelé à plusieurs reprises « frère du seigneur » dans le Nouveau Testament ?

La découverte en 2002 d’un ossuaire portant l’inscription « Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus » fit son petit effet, même si les experts purent être rapidement assurés du caractère douteux de l’authenticité de l’inscription.

Antoine Bernheim soutient que Jacques était bien le fils de Marie et Joseph, s’opposant à la thèse de l’Église, fidèle à la démonstration de Saint Jérôme qui en faisait un cousin du Christ. Ce qui est en cause, on l’aura compris, c’est le dogme de la virginité perpétuelle de Marie. Heureusement pour le lecteur, l’ouvrage ne se limite pas à des débats généalogiques. Jacques méritait mieux, son histoire est passionnante.

Tout comme les épisodes IV, V, VI et I, II, III de la saga Star Wars, les textes canoniques qui décrivent les premiers temps de la chrétienté (Actes des apôtres, épîtres de Paul…) ont été écrits avant les évangiles contant la vie du christ. Alors même que la présence de Jacques est très forte dans l’histoire des premières communautés, au moins égale à celle de Pierre, il n’apparaît qu’allusivement dans les évangiles, pas même en tant qu’individu, mais seulement comme membre de la famille de Jésus. À cet effet, les évangiles insistent bien sur la distance prise par le Christ avec sa famille.

Les premières communautés chrétiennes, essentiellement composées de juifs, eurent très rapidement à trancher la question de leur ouverture aux gentils (non juifs). Alors que les partisans de Jacques, les judéo-chrétiens, plaidaient pour la fidélité à la loi juive tout en tolérant la présence des gentils, ceux de Paul, les pagano-chrétiens, défendaient au contraire une position se distinguant très nettement de la religion originelle.

On le sait, l’histoire du christianisme a très largement favorisé les pagano-chrétiens et le choix des évangiles canoniques, dû sans doute à leur valeur historique et théologique, fut certainement aussi motivé par le fait qu’ils servaient l’approche pagano-chrétienne.

La mort de Jacques et la chute de Jérusalem en 70 portèrent un coup fatal aux judéo-chrétiens. Ils devinrent rapidement minoritaires sans disparaître totalement puisqu’on retrouve ici et là leurs traces au cours des premiers siècles de notre ère. Rejetées d’une part par les juifs et d’autre part par les pagano-chrétiens, ces communautés étaient condamnées à l’extinction. L’histoire leur donnera cependant une postérité inattendue 600 ans plus tard. Leur influence sur le Coran semble en effet aujourd’hui évidente pour les exégètes.

Édouard

Pierre-Antoine Bernheim

Albin Michel

1996/2003

Sable mouvant

Quelque temps après avoir reçu l’annonce de son cancer, Henning Mankel éprouve le besoin de se confier.

« Sable mouvant » n’est pas une autobiographie classique, épousant une chronologie rigoureuse. C’est la somme de tranches de vie, de personnages rencontrés, de questionnements sur la société, sur le monde et le sens de la vie : la disparition de la Suède sous la glace dans 5000 ans, l’importance de l’écho dans l’art pariétal…  C’est aussi des récits de combats, Mankel était un militant : réchauffement climatique, pollution, droit des femmes, droits des étrangers, extermination des rhinocéros, tout y passe… Moi, je suis un peu « j’y pense et j’oublie ». Les premières grandes victimes de la disparition des rhinocéros, c’est tout de même les chasseurs de rhinocéros. Non ? Bon ok, je sors.

Il nous parle aussi d’une passion que j’ignorais totalement : le théâtre et sa troupe au Mozambique.

La construction impressionniste de ce récit n’est pas sans rappeler celle des « bottes suédoises ». À aucun moment, il ne parle de son dernier roman. Pourtant, chronologiquement, les deux livres ont dû être écrits l’un immédiatement après l’autre voire, en même temps.

« Sable mouvant » et « les bottes suédoises » n’en restent pas moins un cas rare en littérature. Les faces réelles et fictives des récits s’éclairent mutuellement. Il y a beaucoup de Mankell chez Welin : deux grands solitaires qui partagent la même vision parfois un peu idéalisée des femmes. Le fait que la mère d’Henning ait quitté le domicile conjugal alors qu’il était très jeune pourrait être une piste. Louise, la fille de Welin aurait pu être la fille de Mankell qui reconnaît avoir eu les mêmes comportements sexuels irresponsables dans sa jeunesse. Louise, c’est aussi Mankell au même âge. Lui aussi s’est enfui à Paris. Il y a d’ailleurs une phrase sur la capitale française qui est rigoureusement la même dans les deux livres.

À côté de tout ça, il y a la maladie qui s’installe, l’ombre de la mort qui s’étend et recouvre peu à peu le monde qu’il a connu, tout comme les maisons des « bottes suédoises » qui disparaissent l’une après l’autre après avoir flambées, comme les bougies d’un énorme gâteau d’anniversaire soufflées par un géant.

« Sable mouvant » se termine en 2014. L’auteur disparaîtra un an plus tard. C’était un homme bon. D’autres continueront à porter le flambeau qui sera un peu plus lourd. Quand ils auront tous disparu, d’autres hommes bons naîtront et feront face à de nouveaux combats. Et puis, ce sera la fin, le « Ragnarök » de la mythologie scandinave. Et encore après, ce sera un nouvel âge.

Édouard

Points

2017

Teilhard de Chardin

Le jésuite Pierre Teilhard de Chardin fut l’un des plus grands paléontologues de la première moitié du XXe siècle. Né en 1881, fervent catholique  dans une Europe que venaient de heurter les théories darwiniennes, il s’efforcera toute sa vie de démontrer que la théorie de l’évolution n’était pas incompatible avec la pensée chrétienne.

Cela faisait déjà bien longtemps qu’on ne brûlait plus les hérétiques et l’Église, après s’être opposée frontalement aux théories évolutionnistes, adopta peu à peu un discours plus nuancé tout en croisant les doigts pour que les fidèles ne se posent pas trop de questions. Rome le sentait bien cependant, la lecture au pied de la lettre de la genèse avait du plomb dans l’aile. Cela tenait encore…pour combien de temps ? En tout cas, il semblait évident qu’il était dangereux que l’édifice s’écroule et  il fallait faire taire ceux dont les propos pouvaient précipiter sa chute.

Teilhard parlait trop. On eut beau l’empêcher de publier, l’exiler, le réprimander, ses paroles se diffusèrent largement en particulier du fait de ses nombreux appuis dans la communauté scientifique déjà très laïcisée de l’époque. Tenté à plusieurs reprises de quitter son ordre, il ne s’y résoudra cependant jamais, persuadé que ses théories ne s’opposaient pas à la religion. Évidemment, pour faire le lien entre le brontosaure et la multiplication des pains, il fallait un peu aménager les dogmes. Ca théorie était en fait un embryon de ce qu’on nomme aujourd’hui « intelligent design » : certes, Dieu n’a pas créé l’homme et la femme d’un claquement de doigts, ceux-ci sont bien le fruit d’une lente évolution, mais c’est bien Dieu qui est le moteur de cette évolution. Imparable…en tout cas pour le moment.

Ses démêlées avec sa hiérarchie le feront prendre un tournant et trouver sa vocation. En 1932, il dira «  L’unique but de ma vie, à partir d’aujourd’hui, sera, plus uniquement encore, de travailler à briser le cercle où, par une ironie amère, les « enfants de lumière » ont enfermé l’esprit ». Ce combat, il le poursuivra jusqu’à la fin de sa vie, en 1955. Sept ans plus tard, s’ouvrira le concile Vatican 2 où l’Église catholique fera un effort sans précédent d’ouverture au monde et à la modernité.

Cependant, Vatican 2 ne réglera pas la question de l’évolutionnisme et les papes successifs resteront prudents. L’ « intelligent design » fera son chemin, mais il faudra attendre 2014 pour que François, un autre jésuite arrivé à  la tête du Vatican, s’exprime explicitement : « l’évolution dans la nature n’est pas incompatible avec la notion de création, parce que l’évolution requiert la création de choses qui évoluent. »

Édouard

Teilhard de Chardin

Edith de la Héronnière

2003

AGATHA CHRISTIE : une autobiographie

75 années de la vie de la reine du crime.

J’ai eu ma passion Agatha Christie vers 10, 12 ans. De la bibliographie annexée à l’ouvrage, j’ai très peu de souvenirs des intrigues en dehors de celles de « 10 petits nègres » et du « meurtre de Roger Ackroyd ». Certains titres me parlent, d’autres ne me disent rien du tout et pour certains, j’ai des doutes. Et puis, j’en ai eu marre, toutes ses intrigues se confondaient, répondaient toujours à un procédé un peu tricheur : on dévoilait 10 pages avant la fin des relations insoupçonnées entre les personnages, qui remettaient tout en question. Agatha  est devenue pour moi, comme pour beaucoup, une sorte d’adjectif, synonyme d’un univers social aseptisé. Je savais aussi qu’elle avait été mariée à un archéologue et comme ma passion pour l’archéologie est arrivée en même temps que ma découverte d’Agatha Christie, un certain lien affectif avec la romancière s’est tissé.

Cet univers social aseptisé est celui de son enfance bourgeoise et victorienne. C’était un univers sur deux niveaux (maîtres/domestiques) très codifié et uniquement troublé par les criminels. Heureusement, la police et les détectives étaient là pour rétablir l’ordre.

Agatha n’était pas une rebelle, plutôt une gardienne du dogme. Elle n’avait pas de parti pris politique ni idéologique. Elle s’engagera comme infirmière en 14 comme en 40, pour défendre son pays contre l’ennemi mais ne fait de distinction entre l’Allemagne de 14 et celle de 40. Elle raconte comment elle fait la connaissance d’un nazi dans les années 30 en Irak qui prône l’extermination des juifs, mais n’en tire aucune conclusion. Elle dit « c’est un nazi » comme on pourrait dire « c’est un écureuil » ou «c’est  une belette ». Elle refusera de participer à la propagande alliée et rejettera à ce titre la proposition de Graham Greene au motif « qu’elle comprend les différents points de vue ». Elle tient aussi des propos très durs sur la criminologie : une vision très génétique du criminel. Convaincue de son caractère nuisible et incurable, elle ne voit comme autre issue à l’extermination que son utilisation comme cobaye dans le cadre d’expérimentations scientifiques.

Cependant, je ne pense pas qu’Agatha Christie ait été une collabo. C’était juste une femme de son temps, soucieuse de profiter le mieux possible de sa vie sans trop s’intéresser aux soubresauts du Monde. Sa description du proche orient fait beaucoup penser à Tintin : un univers pacifique et sans frontières avec des Européens partout. Elle parle des Arabes, mais à aucun moment de la religion musulmane.

Que les fans se rassurent, il est aussi question d’écriture et du métier d’écrivain, mais surtout à ses débuts, quand elle répondait clairement à la satisfaction de besoins financiers. Dans les quelques pages d’épilogue qui sonnent comme un testament, la plume est absente de la liste des souvenirs qu’elle souhaiterait emporter dans l’autre monde.

Edouard

Agatha Christie

Éditions du Masque

2006

Charlotte

Dans le mensuel Lire du mois d’avril dernier, l’auteur raconte que la rédaction de ce livre lui a pris 10 ans. Il commence seulement à s’en remettre. On le croit volontiers, au vu du travail de recherche effectué.
Charlotte Salomon est née à Berlin en 1917 dans une famille de la bourgeoisie juive. Sa famille est marquée par de nombreux suicides. Sa tante, dont elle porte le prénom, s’est jetée dans la rivière par une glaciale nuit d’hiver. Sa mère se suicide quand Charlotte est âgée de 8 ans. Elle grandit dans l’ignorance de la cause de la mort de sa maman. Un  jour, elle se découvre un talent pour le dessin et la peinture. Mais l’Allemagne sombre dans la folie. Réfugiée en France, elle racontera sa vie et son amour perdus, grâce à sa peinture. Dénoncée, elle sera gazée à Auschwitz. Ses toiles, qu’elle avait confiées à son médecin, sont conservées à Amsterdam.

Un très beau livre, d’une pudeur extrême. Les phrases courtes scandent cette destinée tragique, comme un poème. La fin est glaciale.
Et le lecteur se pose la question: pourquoi??

Amitiés mélancoliques,

Guy

Charlotte – David Foenkinos

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Camille et Paul : la passion Claudel

Biographies croisées du frère et de la sœur.

Pendant très longtemps, je n’ai pas fait le rapprochement. Camille Claudel, c’était surtout Adjani. Paul Claudel, c’était un écrivain catholique qui avait rencontré Dieu derrière une colonne à notre Dame, un auteur dont parlait mon grand-père que j’imaginais un peu poussiéreux et très ennuyeux. J’ai dû lire « l’annonce faite à Marie » il y a très longtemps et il ne m’en reste que le parfum presque effacé d’amours impossibles grandiloquents et larmoyants.

Ce lien de filiation ne m’est apparu qu’il y a deux ans en lisant l’ « hécatombe des fous », une enquête sur les 45000 morts dans les hôpitaux psychiatriques français au cours de la Deuxième Guerre mondiale et qui évoquait brièvement la situation de Camille, ses liens avec sa famille et notamment avec son frère Paul. Je me suis alors posé la question que beaucoup se posent : comment se grand écrivain très chrétien a t-il-pu laisser sa sœur mourir de faim en 1943, dans un hôpital psychiatrique où elle aura passé trente ans de sa vie ? J’espérais trouver une réponse dans cet ouvrage découvert peu de temps après à la sortie d’une exposition.

Dominique Bona ne donne pas de réponse définitive, mais lance quelques pistes. La mère de Camille tout d’abord, défendra le choix de l’internement jusqu’à la fin de sa vie, redoublant d’efforts pour empêcher sa fille d’établir tous liens avec le monde extérieur. Cette attitude n’était pas à mon sens le fait d’une pure méchanceté, mais surtout un moyen de préserver l’image de la famille après sa relation passionnelle avec Rodin. À la décharge de madame Claudel, Camille sombrait dans un délire paranoïaque en 1913 et son internement semblait justifié dans le contexte de l’époque (aujourd’hui, des médicaments et une psychothérapie l’auraient certainement sorti d’affaire). On pourrait donc expliquer l’attitude de Paul en disant qu’il n’a pas voulu s’opposer à sa mère, mais après la mort de celle-ci, pourquoi n’a-t-il rien fait ?
La réponse se trouvait quelque part dans l’inconscient de Paul Claudel : passion coupable pour une sœur qu’il adorait ? Jalousie ? Peur de sa propre fragilité psychique ? Elle se trouve aussi en partie dans l’esprit d’une époque où la maladie et à plus forte raison la maladie mentale était tabou. Une époque de secrets remplie de choses dont on ne parlait pas, en partie pour des raisons religieuses, de choses que certains savaient et que d’autres ignoraient ou préféraient ne pas savoir. Bref, une époque sans Wikipédia. La réponse de Paul à une question que lui posa au sujet de sa sœur un journaliste en 1951 ne peut que susciter l’indignation : « Et tous ses dons superbes n’ont servi à rien : après une vie extrêmement douloureuse, elle a abouti à un échec complet ».

Si Paul Claudel parlait de reconnaissance artistique, il est vrai que Camille restera longtemps dans l’oubli, pour n’en sortir vraiment qu’au début des années 80. En 89, lorsque sortit le film de Bruno Nuytten avec Adjani et Depardieu, il n’était plus pour une large part de la jeune génération, qu’un écrivain un peu poussiéreux et visiblement ennuyeux dont parlait leur grand-père…
Dominique Bona
Le livre de poche
2007
Edouard

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Sigmund Freud en son temps et dans le notre

Vie et œuvre du père de la psychanalyse.
L’année dernière, j’avais été très énervé par la lecture du « crépuscule d’une idole » de Michel Onfray, par le discours haineux de l’auteur et aussi par l’absence totale de contextualisation de l’œuvre du célèbre Viennois.
Le philosophe est-il un homme de son temps ?
Sujet du bac de philo que je n’avais pas pris, m’étant à l’époque rabattu sur le commentaire de texte (il me semble que c’était un texte de Descartes, mais je n’en suis plus certain).
Quoi qu’il en soit, Freud était le personnage idéal pour traiter le sujet et une bonne copie aurait d’ailleurs pu commencer par la question de savoir si la psychanalyse est une philosophie.
Freud voulait donner à ses théories une assise scientifique et s’y est efforcé toute sa vie sans jamais y parvenir. La psychanalyse n’a pas été créée ex nihilo, mais a vu le jour dans un contexte culturel favorable, celui de l’empire austro-hongrois de la fin du XIXe siècle. La mythologie attachée à la psychanalyse, l’Œdipe revisité, la horde primitive et plus tard le Moïse revisité s’inscrivent eux aussi dans un romantisme très XIXe. Freud était donc bien un homme de son temps, mais il s’est efforcé de se singulariser et de ne pas laisser ses théories se faire « contaminer » par des théories concurrentes. Comme tout bon philosophe, il a aussi voulu donner une dimension immuable et universelle à ses pensées.
Sous la plume d’Élisabeth Roudinesco, Freud apparaît toutefois comme un être humanisé aussi dogmatique dans ces propos publics qu’hésitant en privé, conscient de ses limites et de ses contradictions. C’est aussi l’histoire d’un homme rapidement dépassé par sa création surtout après la Première Guerre mondiale, quand l’épicentre de la psychanalyse se déplacera de Viennes à Londres.
L’auteur démontre que la consolidation du mythe freudien et la création de l’idole à laquelle Onfray s’attaque dans son pamphlet n’est pas temps le reflet du Sigmund Freud réel que de la mémoire construite après sa mort par son premier biographe et sa fille Anna. La rigidité de ce « mausolée» jalousement protégé par quelques gardiens du temple est aussi à l’origine d’un anti-freudisme qui existait bien avant Onfray.
Il y a donc beaucoup de choses datées dans la psychanalyse, mais cette théorie a été le véhicule d’une transformation conceptuelle fondamentale. En effet, a la fin du XIXe, les fous deviennent des malades mentaux qui peuvent être guéris et la psychanalyse propagera cette révolution dans tout le monde occidental .
Pour répondre au sujet, je peux dire que Freud, et plus généralement les philosophes, s’inscrivent incontestablement dans leur temps, mais que ce sont eux qui le font avancer.
Edouard

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La ballade du voleur au whisky

Attila Ambrus est sicule.
Les Sicules parlent un dialecte hongrois, et vivent en Transylvanie, territoire roumain situé à la frontière avec la Hongrie. Vous me direz que cela vous fait penser au Sceptre d’Ottokar, une aventure de Tintin dévorée par les gamins de mon acabit dans les années – euh – il y a fort longtemps. Et vous avez raison.

En 1988, il passe la frontière, bien décidé à faire fortune à Budapest, capitale de la Hongrie pour ceux qui l’ignoreraient. Il aime bien les bagnoles de luxe et le whisky. Les demoiselles aussi à l’occasion.
Mais tout cela coûte cher. Il se fait contrebandier, puis (mauvais) joueur de hockey sur glace.
Et pourquoi ne pas devenir braqueur de banques?
Nous sommes à la période qui suit la chute du mur de Berlin.
Le capitalisme pur et dur succède aux privations du communisme.
Chicago (celui d’Al Capone et de la prohibition, pas celui d’Obama) n’est pas loin.
Attila deviendra une sorte de héros national. On le surnommera ‘Le Robin des bois des pays de l’Est’.
Ses attaques à main armée ne font pas couler de sang, il va jusqu’à offrir des fleurs aux employées des banques, la police est mal équipée et impuissante. Il se fera quand même épingler, mais arrivera à s’évader de prison, avant d’être mis au trou pour 15 ans. Son meilleur ennemi, l’inspecteur Varju, passé dans le privé, lui amène du Johny Walker en prison. Aux dernières nouvelles (nous sommes en 2014), il a fait des études supérieures pendant son repos forcé.

L’histoire est, paraît-il, authentique.
L’auteur est américain, d’où, sans doute, le côté western du livre.
Le personnage est fascinant, bien entendu. Mais je préfère ne pas rencontrer ce genre d’individus dans le lieu peu peuplé où nous avons élu domicile. On ne sait jamais, un mauvais coup est vite arrivé.

Rubrique actualité.
Je ne sais pas pourquoi, le rodéo des dirigeants grecs pour extorquer de l’argent européen sous la menace me fait penser au scénario du livre.
Sert-on du whisky pendant les ‘négociations’?

Amitiés imbibées,

Guy
420 p. – Sonatine

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La Casati

Splendeur et décadence de la marquise Luisa Casati, personnage extravagant portraituré par un nombre incroyable de peintres qui illumina les soirées mondaines de la belle époque et des années folles.

Il y a deux mois encore, je n’avais jamais entendu parler de Luisa Casati et le nom de Camille de Peretti ne m’évoquait que quelque chose de très vague. Il se trouve que j’ai eu l’occasion il y a peu de voir l’auteur parler de son métier d’écrivain. Ce qui m’a frappé, c’est un sentiment de dévalorisation affiché : je suis un écrivaillon, pas vraiment un écrivain, pas à la auteur de untel ou untel…elle constatait avec un peu dé déception dans la voix que son lectorat était souvent jeune alors qu’elle se voulait être un écrivain pour adultes. Le regard qu’elle posait sur l’auditoire semblait demander pourquoi.

C’est pour répondre à cette question qu’elle n’avait pas vraiment posée que j’ai décidé de faire l’acquisition d’un de ses livres. J’ai pris le premier de la liste sur le site de la FNAC.

Là encore, séance d’autoflagellation : ce livre n’est pas une biographie, mais un roman, je ne suis pas une biographe. Pourquoi ? Parce qu’il y a une part de subjectivité dans son récit ? Je ne pense pas qu’il y ait des biographies objectives et surtout pas des autobiographies.

Mais ce qui sort du cadre de la vie de Luisa Casati, les réflexions de l’auteur sur sa vie font effectivement penser qu’on est dans autre chose, surtout qu’on s’en fout un peu. Dans la première partie, comme dirait Gainsbourg, elle n’arrive pas vraiment à s’étendre sans se répandre. Ces jugements décisifs sur la psychologie féminine et masculine sont par ailleurs très manichéens. J’ai pensé que la réponse à la question était là. Ca faisait discours de soirée entre copines au cours de laquelle l’aînée un peu paumée raconte ses aventures amoureuses sous le regard émerveillé la cadette bouche bée qui lui offre le spectacle de ses dents baguées.

Sinon, tout ce qui tourne autour de La Casati est bien, beaucoup de recherches. Elle a dû sans doute aussi broder pour combler les trous…c’est ça le boulot d’écrivain. J’aime bien d’ailleurs quand elle parle de ses recherches.

L’histoire de la Casati est celle d’une petite fille gâtée et très riche qui a passé sa vie à dilapider sa fortune pour terminer dans la plus grande misère…le genre d’histoire qu’on raconte aux petites filles afin de les dissuader de s’écarter du droit chemin.

Bon, Camille de Peretti avait 30 ans quand elle a écrit « la Casati ». C’est un écrivain, mais pas un très grand écrivain. Elle le deviendra peut-être. Simenon disait qu’il y a des livres qu’il est impossible d’écrire avant 50 ans. La confiance dans l’avenir, c’est peut-être une chose qui lui manque et dont a terriblement besoin un lectorat adulte.

Camille de Peretti
Stock
2011
Edouard

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