Je ne peux pas dire qu’à la fac, c’était vraiment un ami. Cependant, son sourire, sa voix apaisante et son regard bienveillant me suffisaient pour dire « lui, il est sympa », sans que je le connaisse vraiment.
Et puis, on s’est retrouvé bien des années après sur Facebook je ne me souviens plus très bien comment.
En fait, c’est Daech qui nous a rapprochés. À partir des attentats de Charlie Hebdo, j’ai commencé à écrire pas mal d’articles sur l’islamisme et l’islam en général. Mohamed les likait et/ou les commentait. Au printemps, après avoir bien débattu sur « les djihadistes sont-ils musulmans ? », il m’a dit « en te lisant, je me dis que le dialogue est possible ». Alors on a décidé de se rencontrer en live pour dialoguer.
C’est comme ça qu’on s’est retrouvé deux mois plus tard au tournesol. Ne me dites pas que vous ne connaissez pas le tournesol. C’est pour moi le bar des bons souvenirs du côté d’Edgar Quinet dans le quartier Montparnasse. Je n’y vais plus beaucoup, mais à chaque fois, je sais qu’il sera le théâtre d’une rencontre dont je me souviendrai longtemps.
Mohamed n’avait pas beaucoup changé depuis la fac. Il avait fait le même DESS que moi l’année d’après alors des souvenirs en commun, on en avait. Il s’était marié et avait deux enfants.
Rapidement, on a comme prévu embrayé sur la religion. Moi et mon éducation catholique, lui et son éducation musulmane, c’était un moment fort. Mohamed n’était pas un djihadiste, on a pris chacun une pinte et il m’a avoué que ça lui arrivait de manger du porc. Il m’a dit aussi avoir pris conscience qu’il était musulman la première fois qu’on l’avait traité de sale arabe quand il était enfant. Ceci dit, il ne rejetait pas pour autant ses racines musulmanes et algériennes. C’était donc un moment fort, un moment où tout semble possible, où tu te persuades que les gesticulations de Deach n’étaient en fait qu’une mascarade aussi macabre que pitoyable et qu’il n’y a pas d’autre issue que le dialogue entre religions.
La semaine dernière, Mohamed a eu une crise cardiaque. C’est Leila, son épouse, qui l’a annoncé sur Facebook.
Bien sûr, j’ai été choqué, je me suis senti jeté à terre et j’ai même entendu mon inconscient me dire : « Le pot du tournesol, c’était un rêve, un mirage. C’est un truc qui n’existe pas dans la vraie vie. Les religions sont faites pour se combattre, pas pour se comprendre ».
Heureusement, je me suis relevé. Je sais qu’il y a d’autres porteurs de lumière dans le monde musulman. Nous ne pourrons plus débattre ensemble Mohamed, nous ne pourrons plus continuer à guerroyer contre l’obscurantisme, mais maintenant, je le ferai aussi un peu pour toi.
Édouard