Spilliaert

L’un des innombrables effets pervers du coronavirus a été l’annulation de l’exposition
Spilliaert programmée en 2020 au Musée d’Orsay à Paris.
C’est bien regrettable parce que ce peintre qui a passé une bonne partielle sa vie à Ostende
est peu connu en dehors de la Belgique.
Eva Bester remédie un peu à cette annulation en rendant un hommage appuyé à celui qu’elle
appelle son frère de  noir. Elle écrit: ‘ce qui nous différencie, c’est qu’il a du talent, une oeuvre
et une moustache’. Les images de ce petit bijou sont bien choisies, la présentation soignée,
et le prix fort modeste. James Ensor et Constant Permeke sont deux autres représentants
de la peinture ostendaise. Spilliaert reste mon préféré.

Guy

Léon Spilliaert, Œuvre au noir – Eva Bester – Éd. Autrement – 109 pages.

Contagions

Qu’est-ce que le coronavirus ? D’où vient-il ? Pourquoi est-il là ?

L’essai est accessible en version dématérialisée sur le site des éditions du seuil (cliquez ici) et devrait être disponible en version papier à partir du 16 mars.

Cet essai de Paolo Giordano qui vit en live la pandémie à Rome vient d’être traduit de l’italien. Il convaincra incontestablement les derniers réfractaires au confinement.

Le coronavirus est un être vivant, certes primitif. Bon, on ne peut pas lui demander de peindre des cavernes ni de philosopher. Il n’a pas de cerveau et n’a qu’une idée fixe: coloniser toutes les cellules qu’il trouve sur son passage. Ne se déplaçant pas lui-même, il se déplace avec les porteurs des cellules colonisées et envahit d’autres cellules si l’occasion se présente. Avec l’avion et le train, il va pouvoir prétendre à une mobilité inouïe et avec les foules des villes, coloniser un grand nombre d’individus. Pour l’empêcher de nuire, des mesures d’hygiène sont nécessaires et bien entendu l’isolement des individus empêchant le virus de passer de l’un à l’autre. C’est très logique et ça explique qu’on nous demande de rester chez nous en attendant que la situation se stabilise, mais le monde n’est visiblement pas sorti de l’auberge et l’Italie en particulier.

Pour l’auteur le lien entre le coronavirus, la mondialisation et les bouleversements climatiques sont évidents. Il faut un certain nombre d’éléments concordants et de coïncidence pour qu’un pangolin contaminé par une chauve-souris transmette le virus à un individu et arrive jusqu’en Europe. On ne saura d’ailleurs probablement jamais comment cela s’est concrètement passé cette fois-ci. Ce qui est certain, c’est que le bouleversement des écosystèmes perturbe aussi les virus, les incitant à trouver d’autres cellules pour les héberger. Il est évident aussi que la surpopulation est génératrice de comportements alimentaires à risque favorisant la transmission du virus à l’homme. Enfin, la forte mobilité humaine accompagnant la mondialisation favorise naturellement le déplacement des individus porteurs du virus ou de tout autre support sur lesquels le virus pourrait survivre.

Bref, le coronavirus n’est pas un mystérieux mal venu d’on ne sait où. Il n’est pas non plus l’arme d’une organisation secrète criminelle comme dans les James Bond. Le complotisme est une solution rassurante permettant de se voiler la face. Non, le coronavirus est un symptôme révélateur du sens que prend notre monde aujourd’hui. Il y aura d’autres coronavirus, moins virulents ou plus virulents, impossible à prévoir. Sans doute d’autres catastrophes se produiront elles sous des formes qui dépassent notre capacité d’imagination. Que faire ? Il ne sera pas possible de revenir en arrière. Ralentir le mouvement si possible et seules les catastrophes pourront permettre cette prise de conscience. Le caractère positif ou négatif de ses événements dépendra finalement des moyens mis en œuvre pour y faire face.  Ce qui est clair, c’est que le sentiment de maîtrise absolue de la nature très fortement incrusté dans les esprits occidentaux va en prendre un coup. Il faudra apprendre à vivre dans l’incertitude.

Édouard

Paolo Giordano

Seuil

Mars 2020

La croix et le croissant

Le choc des civilisations a-t -il eut lieu ? Je parle de la rencontre entre l’islam et la chrétienté, la toute première, celle des origines. J’avais été séduit par le quatrième de couverture et c’est dans l’espoir d’y voir plus clair que j’ai fait l’acquisition de l’ouvrage. Le résultat est mitigé.

Plus qu’un roman historique, je dirais que c’est un livre d’histoire écrit de manière romanesque. Cette forme plaisante au démarrage s’essouffle au bout d’un moment et j’ai eu l’impression qu’il reprenait toujours les mêmes schémas. Elle dégage au final une impression de décrépitude qui est très déplaisante.

La contextualisation historique reste cependant intéressante. La sortie des musulmans de la péninsule arabique correspond à un contexte très particulier pour la chrétienté.

À l’Est, les deux grandes puissances impérialistes qu’étaient la Perse et l’Empire romain d’Orient s’essoufflaient. L’auteur évoque rapidement cette émergence de hordes guerrières issues d’un territoire d’où personne n’aurait pu imaginer voir sortir autre chose que deux Bédouins et trois dromadaires. On se plaît à imaginer la stupeur des quelques guetteurs byzantins du haut de leurs tours, habitués à l’ennui et à scruter en vain le désert depuis des décennies.

À l’Ouest, et en particulier dans le royaume des Francs puisque c’est surtout de celui-ci dont il est question, la dynastie mérovingienne s’essouffle également. Les Pépinides, une dynastie de maires du palais attend son heure en tissant la légende des rois fainéants afin d’accélérer l’agonie des Mérovingiens. Charles Martel qui en est issu et qui fondera la dynastie carolingienne s’illustrera à Poitiers en arrêtant la progression arabe. Ces derniers auront sans doute ainsi contribué involontairement à accélérer l’ascension des Carolingiens.

Pour François Taillandier, le fameux choc de 732 n’a rien eu de spectaculaire. Charles Martel y a affronté une armée qui, après avoir traversé l’Afrique du Nord d’est en ouest et remonté la péninsule ibérique, n’était peut-être plus que l’ombre d’elle-même en arrivant à Poitiers.

Bon, voilà, c’est indéniablement intéressant tout ça, mais il m’est resté un goût de cendre, une frustration et d’inachevé, quelque chose qui aurait dû être écrit et qui a été oublié, ou qu’on n’a pas voulu écrire, sans que je puisse dire précisément de quoi il s’agit. C’est possible aussi que la mouture initiale ait été très retravaillée pour pouvoir satisfaire les exigences de l’éditeur et qu’il n’en reste qu’un très vague parfum donnant une allure étrange à l’ensemble.

Une lecture édifiante et importante donc, pour tous ceux qui veulent avoir des repères historiques, mais qui m’a déçue.

Édouard

La croix et le croissant

François Taillandier

Éditions Mon Poche

2019

Sorcières

D’où venaient-elles ? Qui étaient-elles ? Que sont-elles devenues ?

Petit, en regardant « ma sorcière bien-aimée », j’étais loin d’imaginer que la série n’était qu’un reflet de ce que l’Amérique des années 60 considérait comme une sorcière acceptable : une jeune et belle mère de famille se consacrant à l’éducation de ses enfants et au bien-être de son mari, ne faisant usage de ses pouvoirs que pour régler les soucis du quotidien.

Je pensais alors que les vraies sorcières n’existaient que dans les histoires. Plus tard, j’ai cru comprendre que des sorcières avaient été brûlées, mais c’était lointain et je mettais ça dans un package incluant l’inquisition et le Moyen Age. Je la voyais un peu comme la sauvageonne du « Nom de la rose ». Pourtant, cette représentation était aussi fausse que la précédente.

Les sorcières appartiennent au côté obscur de la Renaissance et rejoignent d’autres horreurs comme le début de l’extermination des Indiens et les guerres de religion. On préfère généralement passer tout ça sous silence pour magnifier le génie « humaniste » qui allait, aux dires de beaucoup, permettre à l’occident de sortir de l’obscurantisme médiéval. Difficile de savoir combien de sorcières ont été brûlées, mais elles le furent principalement aux XVIe et XVIIe siècles.

La renaissance transforme les sociétés occidentales et impose un mode de pensée rationnelle. Les mathématiques s’imposent aux croyances surnaturelles. L’homme devient le centre du monde et se détache de la nature dont il devient le maître absolu. On établit des normes, on calibre et étiquette tout, en particulier des normes sociales.

L’homme, dans la tête d’un Européen du XVIe siècle, ne désigne pas l’humanité dans son ensemble, mais bien le « mâle ». Dès lors, la question de la place de la femme dans la société se pose et la femme au comportement social non acceptable devient une sorcière.

Mona Chollet voit trois grandes caractéristiques attribuables à la sorcière et fait le parallèle avec ce qu’elles sont devenues aujourd’hui : la sorcière est une femme âgée vivant seule et sans enfant.

La volonté de vivre sans homme confère à la sorcière deux attributs : le chat noir qui lui tient compagnie d’une part et le balai (allez savoir pourquoi 😊) d’autre part.

En ce qui concerne l’absence d’enfants, la renaissance ne connaissait pas nos contraceptifs, mais n’était pas moins confrontée à ces problèmes. Les contes regorgent d’histoires d’enfants abandonnés. Il est évident que les paysans pauvres n’avaient pas les moyens d’élever 7 ou 8 enfants. Je n’ose imaginer les avortements de l’époque et il est évident qu’il y a eu des infanticides.

La troisième caractéristique est celle qui a sans doute la dent la plus dure : la situation de la femme n’ayant plus l’âge de procréer. Tout comme dans Blanche Neige, la sorcière est souvent vieille. Qu’il s’agisse des propos de Yann Moix sur les femmes de plus de 50 ans ou des déchaînements haineux contre Brigitte Macron, l’occident semble avoir encore du mal à leur donner une place.

Bref, ce livre est un remède salutaire pour toutes les femmes qui se sentiraient un peu sorcières…et pour les hommes qui les aiment.

Mona Chollet

La découverte/Zones

2018

Texte: Édouard

Illustration:Magali

Une autre histoire des 30 Glorieuses : modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre

Si les 30 Glorieuses (1945-1975) nous apparaissent aujourd’hui encore comme des années de prospérité et de croissance économique pour la France, elles ne doivent pas faire oublier leur face obscure, celle d’un rouleau compresseur de la modernité et du progrès avec son cortège de victimes et de laissés pour compte. Ainsi, les conséquences sociales et environnementales de cette époque se révèlent aujourd’hui catastrophiques (chômage de masse, pollution de l’environnement, gaspillage des ressources naturelles et consumérisme effréné…). La thèse des auteurs consiste donc, non seulement à démonter les mécanismes de cette croissance folle, mais aussi de redonner la parole à ceux qui en ont souffert, afin de les réinscrire dans les combats politiques et écologiques contemporains.

Ce livre n’est pas facile à lire car il s’adresse surtout à des spécialistes. Les auteurs (des historiens pour la plupart) usent et abusent de jargon technique, d’écriture inclusive et de références multiples. Il fait, par ailleurs, l’impasse sur le mouvement de mai 68 et ses revendications sociales, sur la politique, l’éducation, les mœurs, ainsi que sur la révolution dans le domaine des arts (cinéma, littérature, musique, théâtre, etc.). Enfin, les années 70, porteuses de révoltes et de critique contre la société de consommation, sont très peu évoquées.

La première partie analyse l’impact environnemental et sanitaire des 30 Glorieuses en prenant différents angles d’attaque : l’apologie de la productivité et du progrès depuis 1945, la gestion de la pollution de l’air, l’aménagement du territoire, la mécanisation de l’agriculture au secours de l’empire colonial et enfin, le développement de l’industrie du nucléaire et ses conséquences économiques et sociales.

La deuxième partie analyse les résistances face à la nucléarisation de la France avant 1968, à la pollution des rivières, aux inquiétudes environnementales dans le mouvement syndical. Elle évoque aussi le rôle marginal des mouvements situationnistes face à la modernisation du capitalisme, la critique de la société de consommation et de la technique face à un milieu chrétien gagné à la modernité.

Pour moi, les 30 Glorieuses c’est surtout leur longue agonie pendant les années 70 qui m’ont profondément marqué, aussi bien en France qu’à l’étranger. Et notamment sur le plan musical, avec la profusion de nouveaux genres musicaux (rock, pop, disco, reggae, punk…), sur le plan cinématographique (la nouvelle vague qui a commencé dans les années 60, puis l’anticonformisme et la critique de la société de consommation que l’on retrouve dans le cinéma italien, français et américain…) et sur le plan social, par exemple le mouvement hippie qui est apparu plus tardivement en Europe dans les années 70 avec la drogue et les paradis artificiels, les communautés et le retour à la terre, etc.). Ces années 70 étaient marquées encore par l’écologie « chevelue et barbue », les luttes politiques locales contre l’implantation de nouvelles centrales nucléaires (Creys Maleville…), ou d’implantations militaires (le Larzac…), les tentatives des citadins de retour à la campagne et la volonté de vivre dans un environnement plus sain (fabriquer ses propres fromages, faire de l’agriculture biologique …), loin des miasmes des grandes villes. Et puis il y a eu aussi les mouvements de libération sexuelle, le MLF (mouvement de libération des femmes), l’égalité hommes/femmes, les luttes pour obtenir le droit à l’avortement, le droit et l’égalité au travail, la remise en cause de la société patriarcale, et le droit de jouir sans entraves.

Bref, un ouvrage intéressant, mais très technique et peu accessible au grand public. Pour moi qui aie grandi dans des années 60 avec une image très idéalisée de la société, ce livre restera tout de même une douche froide.

Stéphane

Collectif

La découverte

2013

Vie et destin de Jésus de Nazareth

L’approche de l’auteur consiste à rechercher la vérité sur Jésus dans le contexte culturel juif de l’époque. Elle permet de comprendre qui était Jésus, mais aussi ce que voulaient dire les évangiles, écrits plusieurs décennies après la crucifixion par des personnes ne l’ayant pas connu directement. Les évangélistes ont surinterprété parfois les paroles de celui qu’ils appelaient Christ dans un contexte de consolidation du christianisme. Je ne veux choquer personne en demandant si Jésus était plus juif que chrétien, mais il est évident que la très grande majorité de ses contemporains ne le voyaient pas autrement qu’un juif, certes un peu particulier, mais un juif tout de même.

Concernant la naissance, les habitants de Nazareth voyaient avant tout en Jésus un enfant dont la paternité était douteuse. Cette paternité non établie avait des effets beaucoup plus importants dans les sociétés juives de l’époque que dans la nôtre. L’auteur nous explique que ces enfants, qualifiés de « Mamzer », étaient marginalisés dès leur naissance. Cette marginalité explique sans doute la tendance de Jésus à fréquenter des marginaux et à transgresser les dogmes juifs.

Et pourtant, sans apporter de scoop fracassant, Daniel Marguerat parvient à nous rapprocher encore un peu plus de ce juif hors normes. Car c’est bien dans cette inaccessible proximité avec le Jésus de l’histoire que réside la fascination, bien plus pour moi que dans un zèle dogmatique chrétien outrancier ou dans une tentative de démystification athée. Oui, donner naissance à un enfant tout en étant vierge peut laisser dubitatif, tout comme ressusciter après avoir été crucifié, changer l’eau en vin, marcher sur l’eau ou multiplier les pains. Mais si l’on a pas la foi du charbonnier, comment savoir ce qui s’est effectivement passé dans la vie de cet homme encore révéré 2000 ans après sa mort ?

Y a-t-il, en occident, un personnage au sujet duquel on a autant écrit ? Que reste-t-il a dire sur cet individu irrémédiablement fascinant, même pour le plus convaincu des athées ? Moi, même, j’en ai lu un certain nombre de bouquins sur cette figure indispensable à la compréhension de l’occident. Alors, quoi de nouveau sous le soleil ?

A l’autre bout de la vie du christ, la crucifixion demeure un événement mystérieux. Difficile de savoir quels faits précis sont à l’origine des clous, du fouet, de la couronne d’épines et du marteau visibles au cœur de la fleur de passiflore,. Il y a beaucoup de vides dans les évangiles et les récits se contredisent en partie. Après sa mort, selon les évangiles, Jésus apparaît aux douze. Marguerat retient le concept de « vision ». Dans l’état d’abattement dans lequel ils se trouvaient après la crucifixion, il semble peu probable qu’ils aient pu relever la tête s’ils n’avaient pas acquis la certitude que Jésus était ressuscité. Ce qui s’est passé restera un mystère, mais il s’est forcément passé quelque chose.

La fin du livre, et la vision de Jésus par les autres monothéismes, est particulièrement intéressante. Pour les juifs, Jésus était un hérétique et bien sûr, pas du tout le fils de Dieu. Les musulmans n’acceptent pas non plus sa nature divine, mais le reconnaissent comme un prophète digne de respect, fils de Marie qui est pour eux un personnage beaucoup plus important. Si les musulmans rejettent le christianisme, c’est surtout parce qu’ils considèrent qu’il ne peut y avoir qu’un seul Dieu et que la trinité n’est pas acceptable.

Presque 2000 ans après sa mort, le Jésus dépassionné de l’histoire commence à apparaître. Il y aura d’autres avancées, j’espère, mais la voie tracée par Marguerat mérite d’être creusée.

Daniel Marguerat

Seuil

2019

Texte: Édouard

Illustration: Magali

Les tribulations de Tintin au Congo

87 années d’aventures pour « les aventures de Tintin au Congo ».
J’ai feuilleté Tintin au Congo bien avant de savoir lire. Ce qui comptait, c’était les girafes, les lions, crocodiles, hippopotames, éléphants et rhinocéros. J’étais alors bien loin de m’imaginer que ces pages faisaient l’objet de houleuses polémiques depuis des décennies.
La première version sort en 1931. Le colonialisme européen connaît son apogée et Hergé est alors sous la coupe du très traditionnel abbé Wallez. Après « le pays des soviets », ce dernier envoie le reporter au Congo belge alors que son créateur rêvait d’aventures nord-américaines. L’idée de l’abbé était de démontrer la supériorité occidentale après avoir dénoncé les affres de l’URSS. Il en résultera un témoignage éclatant du racisme ordinaire des années 30. Les colons sont très peu présents dans ces aventures et leurs exactions passées sous silence. Les noirs y sont décrits comme des enfants avec un racisme bienveillant. Tintin n’a pas de comportement choquant et semble même nouer une certaine complicité avec son boy. Ce qui est plus choquant en revanche et qui pourrait être vu comme un symbole du pillage occidental, c’est le massacre des animaux perpétré par un Tintin qui ne regrette pas des actes qui semblent lui paraître naturels.
La deuxième version sortira en 1941. Pour faire face aux difficultés d’approvisionnement en papier, Hergé est contraint de limiter à 62 pages le volume, ce qui aura un effet décisif sur la forme du récit.
La dernière version, celle qui marquera la forme définitive de l’ouvrage, date de 46. La couleur apparaît et le graphisme s’est très nettement amélioré en partie grâce à la coopération d’Hergé avec Edgar P. Jacobs, le père de Black et Mortimer.
Sur le fond, le récit restera le même. Avec l’indépendance du Congo en 1960, Casterman le retire de la vente jusqu’à la fin de la décennie. En 1961, le WWF est créé. Greenpeace le sera en 1971. En 1975, l’Allemagne, le Danemark et la Suède s’indignent du massacre perpétré par Tintin. Hergé ne cédera pas sur la totalité, ce qui aurait obligé à revoir l’album en profondeur, mais accepte d’épargner le rhinocéros, dynamité dans la version francophone.
Le procès en racisme n’est toujours pas éteint et l’ouvrage fait l’objet de traitements internationaux divers. Parfois interdit, il est souvent retiré du rayon « enfant » par des libraires qui préfèrent le réserver à la section « adulte ».
« Tintin au Congo » est cependant aujourd’hui très lu en Afrique. Le Congo deviendra un grand producteur de bandes dessinées et au début des années 80, Hergé rencontrera Mongo Sisé, l’un de ses plus célèbres représentants.
En définitive, cet ouvrage empêche les occidentaux d’oublier leurs racines et leur permet de mesurer le chemin qui reste à parcourir.
Édouard
Philippe Goddin
Casterman
2018

La peste noire

La peste est un bacille qui se transmet par les puces des rats et de quelques autres mammifères. S’il n’y a plus de grandes épidémies comme il y a eu en France jusqu’au XVIIIe siècle, on ne peut pas dire que la peste ait totalement disparu et l’on rencontre encore des cas isolés notamment à Madagascar et aux États-Unis où un cas a été identifié en 2014.
L’ADN nous permet de retracer l’itinéraire du bacille. Il serait apparu à la fin du néolithique en Asie centrale et aurait commencé son périple vers l’occident grâce à un animal qui venait alors d’être domestiqué par l’homme et qui lui permit de conquérir le monde à une vitesse encore jamais atteinte : le cheval.
Il est question dans la bible de destruction de populations par la maladie, mais il n’est pas possible de savoir précisément de quoi il s’agit. Une première grande épidémie se manifeste en Europe au VIe siècle provenant d’un port égyptien, le bateau étant également un grand diffuseur du bacille. Il va sévir pendant deux siècles avant de disparaître mystérieusement. Il revient au XIVe siècle pour dévaster une fois de plus l’occident. La peste est l’exemple typique de la terreur médiévale. Dans une société qui ne comprend la maladie que comme un châtiment divin individuel, le mal ne peut susciter qu’effroi et incompréhension. Pour rester fidèle à la doctrine chrétienne, on ne brûle pas les corps pestiférés, permettant ainsi la propagation du mal. La dernière grande épidémie de peste se manifestera en Provence dans les années 1720. On en connaît cette fois la cause précise, l’entrée frauduleuse d’un navire dans le port de Marseille. Les mentalités ont un peu évolué depuis le XIVe siècle, on avance diverses hypothèses en tentant d’imposer le concept d’épidémie. Cependant, les esprits ne sont pas encore prêts et continuent à douter qu’il puisse y avoir transmission d’un individu à l’autre. Ce principe ne sera admis que sous l’empire.
Dernier acte: la révolution industrielle s’est installée en Europe et avec elle le train et le bateau à moteur qui permettent d’aller toujours plus nombreux, plus vite et plus loin. Les Européens se partagent le monde. A la fin du XIXe siècle, une épidémie de peste éclate en Chine. Alexandre Yersin, un élève de Louis Pasteur, est envoyé sur place pour trouver une solution. Non sans mal, concurrencé en particulier par un médecin japonais élève de l’Allemand Robert Koch, il parvient à identifier le bacille : victoire de la science sur la mort mais aussi sur la superstition.
L’auteur ne s’étend pas sur les représentations culturelles du fléau. Le nombre de pages d’un « Que sais-je ? » est limité… Il n’en reste pas moins que de Boccace à Camus, la maladie marquera profondément la littérature occidentale. La peste, c’est l’allégorie de l’expansion humaine toujours source de bienfaits et de catastrophes. C’est celle aussi de l’accueil de l’étranger qui n’est jamais dépourvu de craintes. Aujourd’hui, la Terre est devenue toute petite, les informations peuvent circuler en quasi instantané d’un bout à l’autre de la planète. Le WEB, porteur de progrès est aussi porteur de haine et favorise la manipulation de masse… la peste n’est pas près de disparaître.
Édouard
Michel Signoli
Que sais-je ?
2018

Selon saint Marc

Fond et forme du plus ancien des évangiles.
Petit rappel : le Nouveau Testament est constitué de quatre évangiles. Les trois premiers de Marc, Matthieu et Luc sont dits « synoptiques » et semblent se référer à une source commune. Celui de Jean, beaucoup plus mystique, est très différent et sera écrit postérieurement.
Le succès du christianisme est lié à la personne de Jésus bien entendu, aux voyages de Saint-Paul, mais aussi aux évangiles qui seront de véritables best-sellers.
Un évangile ne se contente pas d’énumérer une succession d’événements. Sa structure obéit à une logique qui vise à transmettre un message à un public déterminé. Son but est de convaincre et d’inviter le lecteur à la conversion. Ainsi, si saint Matthieu multiplie dans son évangile les références à la tradition juive, c’est parce qu’il s’adresse en premier lieu à des juifs. À l’inverse, ces références n’auraient aucun intérêt pour Marc qui s’adresse à des Romains, elles pourraient même être contre-productives.
Le printemps dernier, est sorti un très beau film sur « Marie-Madeleine ». Jésus, incarné par Joaquin Phoenix, y apparaissait comme une sorte de guérisseur et son apparence physique était très éloignée de la représentation habituelle du Christ. Pourtant, ce personnage paraîtrait très crédible pour l’évangile de Marc.
L’ouvrage est construit comme un roman d’action. Les scènes très construites, parfois violentes, les pouvoirs extraordinaires de guérisseur et d’exorciste de Jésus, sa capacité à marcher sur l’eau, à calmer la tempête, à multiplier les pains… voilà ce qui impressionne les romains et qui peut les faire adhérer au projet chrétien. Les Romains voient alors un genre de « demi-dieu » dans le personnage de Jésus, une sorte d’ « Hercule » ou d’« Achille ».
Lorsqu’il ne guérit pas les malades, Jésus s’isole avec ses disciples, souvent en barque. Et là, Sandro Veronesi éclaire un point qui m’obscurcit la tête depuis 30 ans. Pourquoi Léonard Cohen raconte-t-il dans « Suzanne » que Jésus était un marin (and Jesus was a sailor when he walked upon the water…) ? Effectivement, si tout le monde a retenu que Jésus marchait sur l’eau, peu de gens ont remarqué qu’il passait aussi beaucoup de temps dans une barque.
Une scène de l’évangile de Marc qui m’a particulièrement marqué et fait penser à « game of thrones » est celle du miracle raté. Peu avant Pâques, Jésus dit qu’il a faim. Il tend le bras vers les branches d’un figuier, mais ne trouve pas de fruit. C’est normal, la figue est un fruit d’automne, ça n’a pas changé depuis 2000 ans. Sauf que Jésus se met en colère et maudit le pauvre figuier qu’il retrouve tout ratatiné le lendemain. On ne sait pas vraiment ce qui s’est passé. On dirait qu’il y a eu un bug dans les super pouvoirs du demi-dieu, mais que ça a quand même un peu marché pour la malédiction. Les apôtres n’osent rien dire. Ce que je retiens, c’est que placer cette scène juste avant l’entrée dans Jérusalem, annonce le déclin que le Christ va vivre pendant sa passion. Du point de vue de la construction littéraire, c’est génial.

Édouard

Sandro Veronesi
Grasset
2018

Lire!

L’émission Apostrophes eut ses heures de gloire de 1975 à 1990.
Bernard Pivot est resté une figure populaire. Académicien Goncourt, il continue ses activités
littéraires.
Avec sa fille Cécile, il nous raconte son amour des livres, avec des photos drôles ou émouvantes.
Un livre à feuilleter avec tendresse, indispensable pour les amoureux de la lecture.
Vous est-il déjà arrivé de vous trouver en présence d’un lecteur ou d’une lectrice, que ce soit dans un train ou un lieu public? La curiosité ne vous pousse-t-elle pas à lire au moins le titre du livre?
Eh bien, posez-lui la question. L’inconnu(e) s’empressera de vous montrer la page de couverture.

Extrait:
« Les gens qui lisent sont moins cons que les autres, c’est une chose entendue. Cela ne signifie pas que les lecteurs de littérature ne comptent pas d’imbéciles et qu’il n’y a pas de brillantes personnalités chez les non-lecteurs. Mais, en gros, ça s’entend, ça se voit, ça se renifle, les personnes qui lisent sont plus ouvertes, plus captivantes, mieux armées dans la vie que les personnes qui dédaignent les livres. »

Amitiés confraternelles!

Guy.

Bernard Pivot et sa fille Cécile Pivot
Flammarion – 191 p.