La promesse de l’aube

Romain Kacew est né en Lituanie, d’un père absent, et d’une mère juive russe. Elle ambitionne pour son fils chéri une carrière artistique hors du commun.
Son admiration pour la France mènera la mère et le fils à Nice dans les années 30, après un bref passage par Varsovie.
Cette autobiographie est un enchantement. Romain Gary l’a écrite à un peu plus de 40 ans. Il décrit avec une énorme tendresse cette mère envahissante,
ambitieuse, hystérique, mais surtout aimante. Lui n’est pas en reste: on le soupçonne de manipuler légèrement la réalité. Il dispose d’une imagination
sans bornes, doublée d’un talent de conteur exceptionnel. L’humour côtoie la tragédie. La Seconde Guerre mondiale est la toile de fond de la séparation
de ces deux personnages inoubliables.
Cela fait longtemps que je n’ai plus été aussi passionné par une lecture.
Quand on connaît la suite de l’histoire de Romain Gary: son mariage avec Jean Seberg, le suicide de celle-ci, et le suicide de l’écrivain par la suite,
on ne peut que se poser des questions sur la faille que l’on sent poindre chez l’écrivain dès son enfance.

Amitiés fascinées,

Guy.

En 1960, à 46 ans et 20 ans avant sa mort, Romain Gary écrit ses mémoires.
L’écrivain, alors au fait de sa gloire, vient de rencontrer Jean Seaberg avec laquelle il vivra une passion déchirante. C’était les sixties, la grande époque des Stars, de ses icônes flamboyantes et inatteignables au commun des mortels (Marylin se suicide en 1962).
Romain Gary revient sur son enfance et ses premiers pas vers la célébrité. Le personnage principal est sa mère qui l’élèvera seule d’abord dans l’actuelle Lituanie et avec laquelle il traversera l’Europe pour s’installer à Nice. L’auteur s’attarde longuement sur le courage de cette femme, son extraordinaire aplomb et sur le soutien indéfectible pour son fils, persuadée qu’il deviendra un grand homme. La plus belle scène du roman, pour moi, est un dialogue fictif entre Romain Gary et sa mère sur un bateau entre l’Europe et l’Afrique. L’ambiance fantomatique qui s’en dégage fait beaucoup penser à l’univers des BD de Joann Sfar. Ce n’est certainement pas un hasard si l’auteur a illustré « la promesse de l’aube » il y a quelques années.
En dépit des encouragements maternels, le génie du jeune Romain Kacew tarde à venir. Beaucoup de scènes savoureuses, sans doute partiellement romancées pour certaines, décrivent les déboires du jeune prodige. Celle du tennis niçois haut de gamme auquel sa mère veut l’inscrire vaut son pesant de cacahuètes.
Entré dans l’armée de l’air peu avant l’éclatement du 2ème conflit mondial, ses aventures n’auront cependant rien de l’héroïsme d’un Pierre Clostermann. Il passera longtemps en Afrique à se plaindre de l’inaction à laquelle il est contraint (on pense à Céline dans « voyage au bout de la nuit »). Il parle aussi beaucoup de la vétusté qu’avaient alors les avions et aux nombreux accidents qui en découlaient. On sent une profonde amertume chez l’auteur qui parle à plusieurs reprises de ses compagnons morts au cours d’opérations aériennes.
La mort est d’ailleurs omniprésente dans cet ouvrage. C’est un homme blessé qui s’exprime. Qui était Romain Gary, l’homme qui aura su exaucer les rêves de sa mère ?
Ses biographes évoquent la noirceur qui ne cessera de transparaître dans son œuvre jusqu’à son suicide en 1980. Ils évoquent aussi son goût pour le mimétisme cachant peut-être une quête identitaire. Il avait certainement un goût très slave pour la mise en scène, pour la théâtralisation, comme quand il provoquera en duel Clint Eastwood qui avait eu une brève aventure avec Jean Sieberg sur un tournage. Clint, peut-être moins assuré de ses réelles capacités de tireur que les personnages des Westerns de Sergio Leone, avait décliné l’offre.
Édouard
Romain Gary
Folio
1960

Le Brexit est mort, vive le Brexit

Le 20e siècle aura tout d’abord été celui de la crise des États à travers les deux guerres mondiales. Dans le contexte des blocs interétatiques de la guerre froide, va apparaître la communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) qui deviendra la communauté économique européenne (CEE) puis l’Union européenne (UE). Le choix d’axer cette structure interétatique sur l’économie devait alors préserver les souverainetés des membres.
La fin de la guerre froide au début des années 90 et la victoire du bloc de l’ouest par abandon du bloc soviétique avaient laissé entrevoir l’avènement d’un Nouveau Monde « post historique ». Ce fût la décennie des grands rêves ultralibéraux (Alain Madelin, souvenez-vous). En 1992, l’Union européenne prenait un nouveau tournant en renforçant son identité avec le traité de Maastricht.
Les attentats du 11 septembre 2001 permirent aux États de revenir au-devant de la scène internationale pendant la première décennie du millénaire. En parallèle, se développèrent en même temps qu’internet des géants de la sphère privée qui deviendront indispensables pour l’homo sapiens du XXIe siècle: Microsoft, Google, Amazon…Ces géants s’imposeront peu à peu dans toutes les sphères de la société civile, y compris dans celles qui semblaient incontestablement relever des puissances étatiques. En 2009, la société SpaceX d’Elon Musk met en orbite son premier satellite.
Le vote en faveur du Brexit et l’élection de Donald Trump semblent sonner le grand retour de l’ultralibéralisme. Le mode de fonctionnement du président américain peut sembler incongru si on le compare à celui d’un chef d’État, mais apparaît plus compréhensible venant d’un homme d’affaires. Dès lors, l’« ennemi » n’est plus à appréhender dans un sens guerrier, ni même dans celui de la vague menace fantôme des années 2000 susceptible de mettre en danger les États. L’ « ennemi » n’est plus que le concurrent économique, tout comme Otis est l’« ennemi » de Koné dans l’univers des ascenseurs. Les guerres disparaîtront quand elles ne présenteront plus aucun intérêt économique, tout comme l’esclavage qui a perdu sa raison d’être avec la révolution industrielle.
Ce bouleversement conceptuel encouragé par Donald Trump n’est pas sans conséquence pour l’Union européenne. Dans un monde dominé par les puissances étatiques, l’Union européenne apparaît comme un monstre mou, coûteux et à l’utilité incertaine. Dans le monde de Trump, il devient un redoutable adversaire, le seul sur le continent européen à même d’empêcher les États-Unis de conclure des accords bilatéraux avec chacun des États membres. L’Union européenne qui avait pu être perçue comme un instrument destiné à briser les identités nationales se révèle aujourd’hui comme un bastion permettant aux États de préserver leur identité dans un monde qui n’est plus régi que par les lois du marché.
La hargne de Trump contre l’Union européenne, contre Thérésa May et sa sympathie affichée pour Boris Johnson ne laisse aucun doute concernant ses intentions homicides. Thérésa May, qui a pris le 24 juillet les rênes du Brexit a bien compris tous les dangers que représenterait un « hard Brexit ». Puisse maintenant l’Union européenne l’aider à trouver une juste place pour le Royaume-Uni en Europe, car au fond, personne n’a intérêt à une rupture brutale et définitive et parce que les Britanniques ne peuvent plus faire marche arrière.
Édouard

De la Perse à l’Iran : 2500 ans d’histoire

L’image de l’Iran s’est forgée dans mon enfance par le biais de la guerre Iran-Irak à laquelle je ne comprenais rien du tout, mais qui était évoquée chaque soir au JT. L’Iran, c’était aussi l’ayatollah Kohmeini qui me faisait peur avec sa longue barbe. « Ayatollah » est un mot sympathique pour un enfant, le genre qu’il n’oublie pas. Aujourd’hui, l’image de l’Iran véhiculée par les médias n’est guère meilleure, celle d’une république islamiste essayant par tous les moyens de s’approprier la puissance nucléaire.
La Perse, j’en avais aussi entendu parler, mais ça, c’était avant, dans l’antiquité. Un peuple jamais présenté positivement. Il y avait bien les lettres persanes de Montesquieu, mais quel rapport avec l’Iran ? Marjane Satrapi dans les années 2000 aurait dû me mettre la puce à l’oreille avec son « Persepolis ».
Et Zarathoustra ? Ben oui, j’avais entendu parler du livre de Nietzsche en philo. Cependant, jamais je n’avais fait le lien avec la Perse, et encore moins avec l’Iran. On ne crie pas sur tous les toits que le zoroastrisme est la religion monothéiste la plus ancienne du monde qui a largement influencé les religions du livre. Les juifs, libérés de leur situation d’exilés à Babylone par l’empereur perse, Cyrus, n’ont pu ignorer l’existence de cette religion universaliste.
Il faut dire qu’il ne reste aujourd’hui plus grand-chose de l’ex-Empire perse qui s’étendait entre la Grèce et l’Inde à son apogée. Nombre des républiques en « stan » (Tadjikistan, Afghanistan…) de l’ex-URSS en faisaient partie.
L’occident médiéval doit beaucoup à la Perse et en particulier à ses savants qui lui apporteront entre autres le « 0 » inventé en Inde. Sans ce puits de science apporté par les musulmans bien souvent perses et chiites, la renaissance européenne aurait bien eu du mal à voir le jour.
Le chiisme aussi j’en avais entendu parler, sans toutefois savoir ce qui le distinguait vraiment du sunnisme. Bien que très majoritaire, le sunnisme, avec sa structure peu hiérarchisée et prônant une application littérale du Coran montre aujourd’hui sa fragilité qui permet à des organisations comme Deach, d’utiliser l’islam à des fins criminelles. Le clergé hiérarchisé du chiisme et la place importante qu’il donne à l’interprétation des textes sembleraient mieux convenir à un islam mondialisé.
Ardavan Amir-Aslani, l’auteur de cet essai, ne cache pas que son objectif de réhabiliter l’image de l’Iran et de sa culture millénaire, de ce pays qui a transformé l’islam, bien plus que celui-ci ne l’a transformé. Dans un monde caractérisé par un affrontement tectonique des grands ensembles économiques dans lequel la Chine et l’Inde progressent sans cesse, l’Iran aura certainement un rôle de tampon à jouer entre orient et occident. Donald Trump, en usant à outrance des pires clichés occidentaux, est peut-être son meilleur ennemi.
Édouard
Éditions l’Archipel
Mars 2018

La trilogie écossaise

Pour les besoins d’une enquête, l’inspecteur Fin Macléod revient après 17 ans d’absence sur l’île où il a passé son enfance et son adolescence.
Au XXIe siècle, le polar est devenu un véhicule incontournable de diffusion d’une identité nationale sous le prétexte d’un « who done it ? » universellement compris. L’important n’est pas tant de découvrir le meurtrier, que le contexte dans lequel l’enquête se déroule, permettant de dévoiler l’histoire, les mœurs et les coutumes d’un pays. Tout comme Indridason le fait pour l’Islande et Xiaolong pour la Chine, Peter May nous raconte l’Écosse.
Je ne savais rien de la culture écossaise et n’avait que le vague souvenir d’un voyage de classe au collège dont je ne garde que les images du mur d’Hadrien et de la gigantesque épée de William Wallace. C’est vrai, il y a les kilts et les cornemuses, le whisky, le monstre du Loch Ness, highlander et braveheart, mais tout ça me renvoyait à un folklore aussi sympathique que poussiéreux. Peter May nous plonge dans l’Écosse contemporaine et dans le combat identitaire qui persiste notamment par le biais de l’usage de la langue gaélique.
Les deux premiers volumes : « l’île des chasseurs d’oiseaux » et « l’homme de Lewis » répondent parfaitement aux canons du Polar contemporain. Ma préférence va pour le second opus qui m’a complètement scotché. Je n’avais pas ressenti une telle addiction littéraire depuis ma découverte de Millenium il y a une dizaine d’années.
« Le braconnier du lac perdu » est d’une autre nature. L’opus commence comme il se doit par la découverte d’un corps, mais l’enquête qui s’en suit m’a semblé pour le moins laborieuse, jusqu’à ce que je comprenne que je n’étais plus du tout dans un roman policier. Cette prise de conscience m’a obligé à revoir sous un autre angle les deux premiers volumes et m’a conduit à conclure que cette trilogie est en fait une mini « recherche du temps perdu ».
Les angoisses existentielles de Fin dans les deux premiers volumes s’effaçaient clairement derrière l’intrigue principale. Elles deviennent omniprésentes dans le dernier volet qui s’articule autour d’un personnage qui a détruit sa vie pour préserver coûte que coûte la saveur de sa jeunesse. Fin est en pleine crise de la quarantaine et les nombreux tableaux de jeunesse du « braconnier du lac perdu », s’ils ne permettent pas particulièrement d’avancer dans l’enquête, sont essentiels pour permettre à Fin de se retrouver. On n’échappe pas à son passé construit par les circonstances, par des choix qui laisseront un goût amer et par d’autres qui auront des conséquences décisives.
Les vieux amis de Fin n’échappent pas à cette loi intangible de la nature humaine avec des conséquences souvent tragiques. Fin commence à sortir du trou lorsqu’il rejette les avances très appuyées d’une amie d’enfance, prenant conscience que la jouissance immédiate ne pèserait pas grand-chose, comparée aux conséquences désastreuses qu’elles pourraient produire à moyen et long terme. Lorsque Fin comprendra que ses actes passés et ceux de son entourage conditionneront largement son avenir, il sera sauvé. Artair, Donald et Whistler n’auront pas eu cette chance.
Édouard
2009-2012
Actes Sud

Boris perd et gagne

Il y a deux ans, Boris Johnson, l’une des principales figures du militantisme pour le Brexit l’avait emporté après une intense campagne de démagogie pour son plus grand malheur. Que deviendrait-il sans l’Europe s’il n’avait plus de cheval de bataille ? Il s’était tout de même rassuré avant le référendum en se disant que les électeurs n’étaient tout de même pas assez fous pour faire passer le oui, mais l’impensable se produisit. Pour couronner le tout, Theresa May va le nommer ministre des Affaires étrangères, l’obligeant à laisser de côté son populisme pour entrer dans le dispositif de mise en œuvre du Brexit.
Au fil des mois, l’idée du « hard Brexit » est, comme on pouvait s’y attendre, apparue totalement irréalisable. Cela l’a rassuré un peu Boris, il pouvait continuer à militer pour le « hard Brexit », Theresa May n’était tout de même pas assez folle pour…au fond, il ne savait plus très bien. Si le choix du « hard Brexit » était fait et les conséquences étaient aussi désastreuses que le prévoyaient les experts, sans parler d’une probable réunification de l’Irlande entraînant un démantèlement du Royaume-Uni, qu’allait-il devenir? On l’aurait jugé responsable de cette catastrophe. Peut-être même l’aurait-on enfermé dans la tour de Londres.
Et puis, la semaine dernière, sous la pression du calendrier et des Européens, Theresa May a clairement fait le choix du « soft Brexit » en l’imposant à son gouvernement, laissant entendre aux « hard Brexiters acharnés » qu’ils pouvaient prendre la porte s’ils n’étaient pas d’accord. David Davis ne se l’ai pas fait dire deux fois. Boris a suivi. Que pourrait-il faire d’autre ? Être d’accord avec le « soft Brexit et avouer qu’il s’était trompé ou plutôt, qu’il avait trompé les électeurs et passer pour un Guignole aux yeux des rares qui ne le voyaient pas encore comme tel ?
Pour tout dire, le « soft Brexit » n’a pas le panache du « hard Brexit ». S’il se réalise, bien malin sera celui qui pourra différencier le Royaume-Uni d’avant de celui d’après. Ce que voulaient les partisans du oui, c’est un départ clair et net de l’Union européenne. Si on leur dit qu’ils sont sortis de l’Union, mais qu’ils ne voient pas la différence, quel intérêt? Encore, s’ils avaient abandonné l’Euro, cela aurait été visible, mais comme ils n’y ont jamais été…
Quelle que soit l’issue, la partie est perdue pour les partisans du « oui ». Le fantasme du « hard », comme tous les fantasmes, perd beaucoup de sa saveur quand il se réalise. L’Angleterre ne retrouvera jamais la place qu’elle avait dans le monde aux XVIIIe et XIXe siècles. L’Angleterre hors de l’Europe ne redeviendra jamais l’allié privilégié des États-Unis, comme pendant la Seconde Guerre mondiale. De l’autre côté de l’Atlantique, le Royaume-Uni peut avoir une utilité s’il sème la discorde dans l’Union, mais en dehors de l’Union, à quoi pourrait-il bien servir ?
Et Boris dans tout ça ? Et bien, il va pouvoir remettre sa veste populiste et crier à la trahison de Theresa May qui a peut-être déjà enterré le Brexit. Dans la bataille, l’ami Boris aura perdu quelques plumes, les Britanniques vont certainement l’écouter avec plus de réserve pendant quelques mois, peut-être un an ou deux. Ils oublieront, et Boris retrouvera toute sa splendeur…jusqu’au prochain référendum.
Édouard

Mes frères

Début et fin d’une décennie pour Lola et ses deux frères, Rocco et Eddy qui vivent à l’île d’Yeux.
Au début, il y a les boîtes de nuit, les cuites mémorables, les combats de boxe improvisés sur la plage et la musique de Manu Chao. On est dans cette insouciance collective de la fin des années 90.
Dix ans plus tard, on retrouve Rocco à la tête d’une fanfare. Son bras droit raidi est replié sur son torse. Son visage affiche l’exubérance un peu forcée de ceux qui s’y trouvent contraints par la vie. Rocco est atteint de fibrodysplasie ossifiante progressive, maladie orpheline chronique plus communément appelée « maladie de l’homme de pierre » qui se traduit par une ossification des tissus avec une progression très variable d’un individu à l’autre. La maladie ne constitue cependant pas la trame principale du film et n’est d’ailleurs nommée que dans le générique de fin.
Rocco a besoin d’assistance au quotidien. Il vit avec son frère Eddy et son fils Simon, un préado qui commence à se poser beaucoup de questions sur ses origines. Eddy parle peu et s’exprime surtout corporellement. Il est tout dévoué à son frère autour duquel il a organisé sa vie, peut être moins par contrainte que parce que cela lui semble naturel. C’est « sa vie », une vie d’« ombre » qui semble lui convenir. Le soir, Rocco parodie Shan MacGowan des Pogues en chantant « dirty old town » dans un bar et Eddy l’accompagne à la guitare.
Simon incarne la génération de l’après 11 septembre. Toute sa vie est recouverte d’un voile de mystères qui ne commence à se déchirer qu’avec l’apparition de Lola. La tante de Simon essaie en effet de renouer des liens avec ses frères après de nombreuses années de séparation. On lui présente son neveu qu’elle ne connaissait pas et le préado s’attache immédiatement à cette figure maternelle qui lui manquait tant.
Avec le retour de Lola, on commence à voir poindre le vrai sujet du film : le lien indéfectible qui unit les frères et la sœur, ce lien un peu magique constitué d’amour, de haine, de jalousie, d’admiration, du souvenir de bonheurs partagés et des joies simples de l’instant. Ce lien élastique qu’évoque une chorégraphie exécutée sur la plage n’en reste pas moins incassable. Pour l’avoir trop tendu, Lola se voit violement ramenée au centre. Dans le film, le lien est incarné par un blondinet fantomatique qui traverse deux ou trois fois l’écran. On ne sait pas si Lola et ses frères le voient ou s’il est seulement un indice donné au spectateur par Bertrand Guerry.
Une fois le voile totalement déchiré, la vérité crue apparaît. Si Lola n’était pas arrivée, elle aurait tôt ou tard vu le jour et bouleversé les rôles sur l’échiquier familial. Rocco, le premier déstabilisé, en subira les conséquences. De son côté, Eddy lutte contre le destin familial tout en s’y résignant, comme l’illustre un sprint final aussi grandiose que désespéré.
Bref, « mes frères » reste un film extrêmement fort à voir absolument, comparable dans sa finesse d’analyse des liens de fratrie à « à bord du Darjeeling limited » de Wes Anderson.
Édouard

L’ordre du jour

Le Prix Goncourt 2017 me laisse perplexe.

20 février 1933. 24 capitaines d’industrie sont reçus par le président du Reichstag, Hermann Goering. L’audience se terminera par un sérieux soutien financier au parti nazi pour les élections du mois de mars.

12 février 1938. Le chancelier autrichien Schussnig se rend à Berchtesgaden pour une rencontre avec Adolf Hitler. Celui-ci obtient la soumission sans condition de l’Autriche, qui sera occupée quelques mois plus tard par l’armée allemande lors de l’Anschluss.

Deux tableaux parmi d’autres des événements qui ont conduit à la Deuxième Guerre mondiale.

Les tergiversations des Anglais (lord Halifax, Chamberlain) et des Français (Daladier), les vociférations de Hitler, la frousse des Autrichiens, tout cela est raconté dans un style ironique qui m’a mis mal à l’aise. Ce malaise est probablement voulu par l’auteur. Après tout, il s’agit d’un roman. Mais cela justifie-t-il une telle mise à distance des événements historiques. Cette guerre fut une immense tragédie, les traces en sont toujours palpables. Lâchons le mot: je n’aime pas une telle arrogance. Il est aisé d’écrire 80 ans plus tard: tout le monde s’est fait piéger par le petit caporal. Et en filigrane, on lit un message à peine crypté: attention, les Allemands sont occupés à remettre la main sur l’Europe d’une autre manière.
J’espère divaguer.

Le positif: un style visuel (l’auteur est aussi cinéaste) d’une clarté épurée.
Le négatif (toujours pour le style): on frise le pédantisme.

Amitiés décalées,

Guy

Eric Vuillard

Actes Sud – 160 p.