Le complexe d’Adam

En ce début de XXIe siècle, le concept de Dieu était fortement mis à mal en occident. Il n’empêche que nos schémas culturels issus des récits bibliques avaient la dent dure. C’est en particulier le cas de la promesse faite par Dieu dans la genèse : la vocation de l’homme à maîtriser la nature.

Nous étions arrivés à atteindre des sommets dans le genre. Il y a ceux qui ne cessaient de crier cette destruction et ceux qui fermaient les yeux tout en essayant de ne pas entendre ce qu’on leur disait. Les enjeux économiques étaient bien trop importants. Il fallait être fou pour réduire la cadence, beaucoup trop risqué. Bien entendu, les hérauts du libéralisme, Trump, Johnson et cie menaient la danse de l’autruche. Et puis, le coronavirus est venu arrêter la sono. Les États-Unis comme le Royaume-Uni sont maintenant atteints de plein fouet et Boris Johnson se bat personnellement contre le virus.

Non, nous ne maîtrisons pas la nature, elle n’a pas besoin de nous et se porte mieux sans nous. Tout le monde évoque les bienfaits du confinement pour l’environnement. Ce que je trouve saisissant, c’est notre incapacité à réagir, notre extrême fragilité.

Peut-être arrêterons-nous enfin quand tout cela sera terminé de nous imaginer comme les protecteurs de la nature. C’est uniquement de notre propre survie qu’il s’agit. Quand la nature en aura marre de nous, elle nous fera disparaître. Nous voyons maintenant à quel point cela est simple alors même qu’il y a encore deux mois, c’était impensable.

Non, il ne faut pas protéger la nature pour préserver sa beauté, par charité chrétienne ou par idéalisme néo baba cool. Il faut la protéger uniquement pour assurer notre propre survie.

Peut-être, auraient pu avancer les plus cyniques il y a encore deux mois, les pauvres morfleront, mais les riches s’en sortiront toujours. Rien n’est moins sûr, le coronavirus est égalitaire même si les personnes les plus aisées semblent avoir de meilleurs moyens de protection… pour combien de temps ? Ce qui arrive est titanesque, tant en référence à l’ampleur du phénomène qu’au naufrage du Titanic il y a 108 ans.

Alors, une dernière fois, arrêtons de croire qu’il faut protéger la faune parce qu’elle fait jolie dans le paysage. Il faut protéger la faune, car l’intensification des trafics se foutant du respect de toutes normes sanitaires élémentaires et la destruction des écosystèmes favorisent l’émergence de catastrophes comme celle que nous vivons actuellement. Prenons cela comme un avertissement, il y en aura d’autres et si nous restons dans l’incapacité de tirer des leçons de tout ça, nous disparaîtrons.

Dieu nous aurait donc menti ? Nous ne serions pas les maîtres absolus de la nature ?

Il est fort probable que les hommes qui ont écrit la genèse en étaient persuadés. Le néolithique était bien installé et rien ne semblait pouvoir freiner cette volonté de maîtrise. Le climat du croissant fertile avait de quoi rendre optimiste. Nul doute que les hommes qui, à la même époque, essayaient de vivre comme ils pouvaient en Europe du Nord auraient vu les choses autrement.

Je ne sais pas si nous sommes les parasites de la terre. Tâchons au moins de ne pas nous comporter comme tels, nous pourrions le payer cher.

Édouard

Contagions

Qu’est-ce que le coronavirus ? D’où vient-il ? Pourquoi est-il là ?

L’essai est accessible en version dématérialisée sur le site des éditions du seuil (cliquez ici) et devrait être disponible en version papier à partir du 16 mars.

Cet essai de Paolo Giordano qui vit en live la pandémie à Rome vient d’être traduit de l’italien. Il convaincra incontestablement les derniers réfractaires au confinement.

Le coronavirus est un être vivant, certes primitif. Bon, on ne peut pas lui demander de peindre des cavernes ni de philosopher. Il n’a pas de cerveau et n’a qu’une idée fixe: coloniser toutes les cellules qu’il trouve sur son passage. Ne se déplaçant pas lui-même, il se déplace avec les porteurs des cellules colonisées et envahit d’autres cellules si l’occasion se présente. Avec l’avion et le train, il va pouvoir prétendre à une mobilité inouïe et avec les foules des villes, coloniser un grand nombre d’individus. Pour l’empêcher de nuire, des mesures d’hygiène sont nécessaires et bien entendu l’isolement des individus empêchant le virus de passer de l’un à l’autre. C’est très logique et ça explique qu’on nous demande de rester chez nous en attendant que la situation se stabilise, mais le monde n’est visiblement pas sorti de l’auberge et l’Italie en particulier.

Pour l’auteur le lien entre le coronavirus, la mondialisation et les bouleversements climatiques sont évidents. Il faut un certain nombre d’éléments concordants et de coïncidence pour qu’un pangolin contaminé par une chauve-souris transmette le virus à un individu et arrive jusqu’en Europe. On ne saura d’ailleurs probablement jamais comment cela s’est concrètement passé cette fois-ci. Ce qui est certain, c’est que le bouleversement des écosystèmes perturbe aussi les virus, les incitant à trouver d’autres cellules pour les héberger. Il est évident aussi que la surpopulation est génératrice de comportements alimentaires à risque favorisant la transmission du virus à l’homme. Enfin, la forte mobilité humaine accompagnant la mondialisation favorise naturellement le déplacement des individus porteurs du virus ou de tout autre support sur lesquels le virus pourrait survivre.

Bref, le coronavirus n’est pas un mystérieux mal venu d’on ne sait où. Il n’est pas non plus l’arme d’une organisation secrète criminelle comme dans les James Bond. Le complotisme est une solution rassurante permettant de se voiler la face. Non, le coronavirus est un symptôme révélateur du sens que prend notre monde aujourd’hui. Il y aura d’autres coronavirus, moins virulents ou plus virulents, impossible à prévoir. Sans doute d’autres catastrophes se produiront elles sous des formes qui dépassent notre capacité d’imagination. Que faire ? Il ne sera pas possible de revenir en arrière. Ralentir le mouvement si possible et seules les catastrophes pourront permettre cette prise de conscience. Le caractère positif ou négatif de ses événements dépendra finalement des moyens mis en œuvre pour y faire face.  Ce qui est clair, c’est que le sentiment de maîtrise absolue de la nature très fortement incrusté dans les esprits occidentaux va en prendre un coup. Il faudra apprendre à vivre dans l’incertitude.

Édouard

Paolo Giordano

Seuil

Mars 2020

Phèdre

Phèdre est l’ épouse de Thésée, la sœur d’Ariane et la demi-soeur du Minotaure. Elle est amoureuse d’Hippolyte, son beau fils que Thésée a eu avec Antiope, la reine des amazones. Hippolyte est lui amoureux d’Aricie qui l’aime en retour, mais qui appartient à une lignée ennemie de son père. La mort de Thésée ayant été annoncée, Phédre déclare sa flamme à Hippolyte qui reste froid à ses attentes. Quand elle apprend que l’annonce de la mort de Thésée était une erreur, elle s’affole en pensant à ce qu’Hippolyte pourrait dire à son père et décide, sur les conseils de sa confidente, Oenone, de dire à Thésée que son fils lui a fait des avances. On est dans la tragédie et tout ça finira mal pour tout le monde.

J’ai longtemps fait la fine bouche avec les liseuses, mais je reconnais que pour lire les classiques téléchargeables gratuitement sur internet, c’est pas mal. Phèdre était pour moi une redécouverte puisque j’étais tombé dessus à l’oral du bac de français.. À 17 ans, j’avais été devant Phèdre comme une poule devant un cure-dent.

On a beaucoup parlé du mal que les hommes pouvaient faire aux femmes ces derniers temps, mais l’inverse est malheureusement possible aussi. C’était vrai au XVIIe et ça l’est encore aujourd’hui.

Phèdre est un peu perdue, essentiellement gouvernée par ses passions. Indécise, elle se repose entièrement sur Oenone pour prendre des décisions qu’elle lui reproche ensuite. Thésée me semble pour sa part, être un personnage hypocrite et narcissique. Jouissant d’une immense notoriété, du fait de ses nombreux exploits, en particulier sa victoire sur le Minotaure, il se permet aussi de jouer le père la morale en tout cas dans la mesure où les écarts de ses proches pourraient égratigner son image. Il a quand même séduit Ariane pour qu’elle lui tienne le fil à l’entrée du labyrinthe du Minotaure, pour la laisser ensuite tomber et n’a pas été un modèle de fidélité en trompant Phèdre avec Antiope. Je trouve qu’il devrait balayer devant sa porte avant de faire des leçons aux autres, mais bon, c’est le roi. Thésée est aussi très impulsif et réagit au quart de tour à ce que lui dit Oenone sans essayer d’en savoir plus.

Il est vrai que tout ça n’est que le fait des dieux. Phèdre est possédée par Venus, on parle aussi de Neptune et de beaucoup d’autres. Les mortels sont en fait des pantins à la merci des caprices divins et sont donc des éternels irresponsables. La notion de « libre arbitre », telle qu’on la conçoit aujourd’hui, n’existait pas dans la pensée antique. Elle n’apparaît qu’avec Saint Augustin à partir du Vème siècle. Je ne sais pas comment un individu du XVIIe siècle voyait cette pièce de théâtre. L’influence de l’antiquité et de la mythologie était encore très forte. Pour ma part, je n’ai pas prêté beaucoup d’attention aux dieux. Quoi qu’il en soit…  

Cette pièce tout entière à jamais immortelle,

Brille pour l’éternité au sommet de l’Olympe,

Faisant fi des tourments du fragile mortel,

Qui pour rester sur Terre se tortille et s’agrippe.

Édouard

Jean Racine

1677

L’effroi

Aucune situation ne m’avait autant marqué depuis le 11 septembre 2001. Il pourrait sembler surprenant de faire un parallèle entre le coronavirus et le 11 septembre. Comment comparer en effet une attaque terroriste à une épidémie, sauf à cautionner les théories complotistes qui fleurissent ici et là ? Bien entendu les causes et les effets n’ont rien de semblable, mais j’y vois tout de même des similitudes.

La principale tient au caractère spectaculaire des événements qui semblent tous deux une incarnation de films catastrophes hollywoodiens. Les avions qui s’encastrent, les tours vacillantes et fumantes, les individus préférant sauter du haut de la tour plutôt que d’être brûlés vifs (les virgules noires comme ils avaient alors été appelés dans un article du monde), c’était tout de même impressionnant. L’ennemi a tout de même fini par être identifié malgré la pitoyable et inutile deuxième guerre du golf. On était tout de même dans un registre connu, celui du film de guerre avec des acteurs bien dessinés même si Al-Qaïda était plus flou et plus imprévisible qu’un belligérant traditionnel. La guerre des civilisations n’aura pas eu lieu même s’il a illustré la haine de l’impérialisme américain : je me souviens d’avoir vu beaucoup de jeunes porter des t-shirts Ben Laden en 2005 à Bamako.

Les États-Unis ont vacillé après le 11 septembre, mais l’empire ne s’est pas effondré. L’Europe s’est renforcée et surtout, le Monde a vu grossir un nouvel empire qui, c’était une question de décennies, voire d’année, supplanterait les États-Unis : la Chine.

Et c’est justement de cette nouvelle super puissance qu’est sorti le drame que nous sommes en train de vivre. Nous sommes toujours dans le registre du film-catastrophe, mais dans la vaine du thriller, l’incarnation en fait du scénario du film « Alerte » réalisé en 1995 par Wolfgang Peterson dans lequel une petite ville américaine était contaminée par un virus venu d’Afrique.

L’ennemi aujourd’hui est totalement invisible et personne ne sait exactement où et comment il frappe. « Restez chez vous » est le seul mot d’ordre clair. L’ignorance et la peur dominent alors même que notre monde ultra rationnel semblait avoir tout expliqué. Est-on si loin que ça de la grande peur que suscitait la peste en Europe au Moyen-âge et sous l’ancien régime ?

Clin d’œil de l’histoire, c’est en 1894, il y a 126 ans qu’Alexandre Yercin réussit à isoler le bacille de la peste, s’étant rendu sur le théâtre d’une épidémie en Chine (encore elle) alors administrée par les Européens. La peste est toutes les superstitions plus on moins religieuses qui y étaient attachées furent balayées, le temps de la science est de la toute-puissance occidentale semblait devoir régner sur le monde jusqu’à la fin des temps. Le coronavirus n’est pas la peste, mais guère préférable et l’ancien colonisateur est atteint au cœur. Certes le monde est aujourd’hui mieux armé scientifiquement pour y faire face, mais son rationalisme absolu sans borne lui a peut-être aussi fait oublier la notion d’espoir, l’acceptation de l’irrationnel, de la non-maîtrise.

On ne prie plus aujourd’hui alors, pour appréhender l’avenir incertain, on écoute les médias qui ne sont qu’une forme modernisée des prêtres d’autrefois.

Le monde a-t-il vraiment changé ?

Édouard

Chixculub

Chixculub est le nom du cratère au Mexique témoignant de l’impact de la météorite à l’origine de la disparition des dinosaures.

L’année dernière au moment des « gilets jaunes », j’ai eu de longues discussions avec un collègue nettement plus âgé que moi concernant notre société de consommation.

L’ayant vu grandir et s’épanouir dans son enfance pendant les années 60, il avait aussi vu apparaître sa critique dans les années 70 (la grande bouffe en 1973) et vaciller avec la crise de 74 pour aboutir sur l’énorme désillusion des années 80. Elle s’était tout de même relevée peu à peu pour aboutir aujourd’hui à l’emballement d’un monstre froid que personne ne semblait pouvoir arrêter qu’il ne reconnaissait plus et dont il se sentait étranger.

Pour ma part, né après 74 et ayant grandi avec l’informatique comme tous ceux de ma génération, j’avais forcément une vision des choses un peu différente.

Nous sommes tout de même tombés d’accord sur l’existence de ce monstre froid que personne ne pouvait plus arrêter.

Pour moi, il y avait quelque chose de touchant et de naïf chez les gilets jaunes. Beaucoup de désespoir, de la résignation sans proposition d’alternative précise et surtout un espoir inouï, celui de croire que Macron allait pouvoir tout changer. À l’évidence, quand bien même il l’aurait voulu, il ne pouvait rien faire.

J’en étais persuadé, seul un cataclysme majeur était susceptible de casser la machine. Les climatologues le martelaient, il allait arriver, c’était certain même si on ne savait pas quand et sous quelle forme.

Et puis, un cataclysme est parti en décembre 2019 d’un marché de Wuhan, de manière anodine sans doute, peut être par cette phrase prononcée par un chinois.

– Il a un drôle de goût ce pangolin.

Le coup était parti et voila qu’aujourd’hui, je me retrouve confiné chez moi pour une durée qui sera très certainement supérieure à deux semaines.

L’empreinte laissée par le coronavirus quand l’épidémie aura été étouffée sera-t-elle comparable à celle de Chixculub ? Le pangolin contaminé arrêtera-t-il la machine emballée. J’en doute, mais il laissera une trace, rien ne sera plus tout à fait comme avant, il y aura eu cette expérience du confinement qui marquera les esprits, de cette menace incontrôlable qui n’entre peut-être pas dans les codes traditionnels de la guerre, mais qui en a le goût. Peut-être que le coronavirus n’est en fait qu’une forme atténuée de la catastrophe qui changera réellement la face du monde et le fera passer à un nouveau chapitre.

En attendant, me voilà confiné chez moi, m’informant fébrilement tous les soirs du nombre de morts de la journée, attendant que ça se passe et condamné à jouer les Philpipulus de l’étoile mystérieuse, faute de pouvoir être le tintin de service.

Prenons patience

Édouard

Aux urnes!

Je vote toujours, mais s’agissant des municipales, je reconnais que c’est un peu par automatisme. Le maire était déjà là quand je suis arrivé dans mon arrondissement il y a 15 ans et visiblement, il n’y a pas raison que ça change. Je n’ai jamais très bien compris quelle était sa couleur politique et ça ne m’intéresse pas vraiment. Sinon, tout le monde sait qu’Hidalgo va être réélue alors… Mais cette année, j’y suis surtout allé par curiosité, pour la controverse.

Je ne sais pas si c’était une bonne idée de les maintenir, mais c’est un fait, elles ont été maintenues.

C’est donc décidé et quelque peu naïf que je suis rentré dans le bureau de vote de l’école maternelle.

– Pas plus de 6 électeurs en même temps dans le bureau de vote. Veuillez faire la queue.

– Ah, d’accord.

La queue, c’est les deux tiers de la cour de récréation. Les enfants jouent au milieu, il fait beau, les gens attendent patiemment leur tour en tripotant leurs portables. Franchement, c’est sympa de prendre l’air.

C’est un symbole fort de démocratie cette queue, celle qui tient contre vents et marées. Edouard Philippe a annoncé hier soir la fermeture de tous les lieux « non indispensables ». Bon, il fait un temps à déjeuner à la terrasse d’une brasserie, mais ce n’est effectivement peut-être pas indispensable.

En revanche, c’est fort de dire qu’un bureau de vote est un « lieu indispensable ». Aller voter aujourd’hui, c’est lutter contre la psychose ambiante. Voter, c’est faire confiance aux pouvoirs publics, ne pas jouer le jeu des crétins qui dévalisent en PQ et en pâtes les supermarchés.

Quand j’entre enfin dans le bureau de vote 20 minutes plus tard, je réalise que j’ai certainement moins de chances d’attraper le coronavirus dans ce lieu quasi désert qu’en allant acheter du pain à la boulangerie. Et quand bien même on l’attraperait, si on a moins de 60 ans et pas de problèmes pulmonaires, on est moins concerné. Je connais d’ailleurs des personnes de plus de 80 ans qui y sont allé (je ne donnerai pas de noms) et je salue leur civisme.

Autre symbole démocratique touchant, l’équipe qui tient le bureau. Pandémie oblige, ils sont dotés de gants en latex, mais semblent apaisés et déterminés dans leur posture démocratique. C’est eux la base démocratique, il ne faudrait pas qu’elle vacille.

Bref, n’allez pas voter aujourd’hui pour élire un maire ou pour soutenir un parti politique, mais pour rester solidaire, pour dire que pas plus que le fascisme, le coronavirus n’aura la peau de la démocratie. Allez-y si vous pensez que la responsabilité collective doit l’emporter sur la psychose et sur le repli sur soi visant à se bunkériser avec des pâtes et du PQ.

Et dépêchez-vous, vous n’avez plus que quelques heures !

Édouard