Les Queues de Kallinaos

Ce roman est supposé être « un codicille – on serait presque tenté d’écrire « codicille » – au testament de Charles Robert Darwin, rendu public le 1er janvier 1980″. Notre cher Charles pensait qu’il fallait un siècle pour que l’aventure qu’il vécut à l’âge de 18 ans (en 1827) puisse être acceptée. Il suppose que les progrès des sciences naturelles et de la biologie permettront de justifier « une expérience amoureuse inavouable. »
Notre jeune Charles est kidnappé (saoul comme une bourrique) et embarqué de force sur un bateau militaire qui va faire la guerre aux Turcs.
Après la victoire des Anglais, ordre est donné de régaler tout le monde au rhum. Darwin, plutôt gringalet et efféminé, ne tient pas l’alcool et tombe de la proue en allant faire ses besoins. Il est repêché par des marins grecs qui le débarquent, à sa demande, sur l’île presque déserte de Kallinaos.
Et là, horreur ! Il ne voit que des statues et des personnes nanties d’appendice caudal. Reçu et soigné par le Lord, propriétaire de l’île, Charles à l’impression de perdre la raison. Tout le monde trouve normal de porter une queue et s’étonne du fait que Charles n’en soit pas muni. Aurait-il des mœurs que la morale réprouve ? Le voilà bien en peine de donner une explication honorable. La suite est assez (aussi) farfelue, mais chut !
« On nous a aussi reproché d’avoir la plume un tantinet légère, et le qualificatif de Choderlos de Laclos nous poursuit comme une flatteuse, mais légèrement abusive rengaine.» H. M.
De Choderlos, il a l’écriture (sublimes imparfaits du subjonctif) et le sous-entendu licencieux. C’est plein de double sens délicieux.
« Un régal d’inconvenances, d’élégance et d’humour. »
Une friandise à ne mettre que dans des mains averties !
Guy, je pense très fort à toi.
La Martine qui ne voit plus le panache blanc, caudal et frétillant de sa chienne de la même façon…
MONTEILHET Hubert
Les Queues de Kallinaos
Phébus, 1990, 232 p.

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Piège de miel

Canardo et Betty, une poule de luxe frisant la quarantaine, pistent un libidineux ministre de la Culture d’une contrée qu’il serait difficile de ne pas associer au Luxembourg. Surpris par une tempête de neige, ce petit monde va se retrouver au fin fond de la forêt, dans le château d’aristocrates désargentés à la morale douteuse.

Une BD qui prend une saveur toute particulière après un repas de famille qui s’est attardé aux limites du raisonnable et au cours duquel vous avez ingurgité une quantité certaine de boissons alcoolisées. À lire en écoutant « next year in zion » d’Herman Dune que vous a apporté le célèbre barbu rondouillard au costume rouge et aux bottes noires. Bien entendu, vous aurez vidé le contenu du CD dans votre Free Box en trois coups de cuillère à pot, reléguant ainsi le support au rayon des antiquités du XXe siècle. Vous n’aurez ainsi pas besoin de vous lever de votre lit pour réécouter l’album. Seul hic, il ne neige pas, sans doute la faute au réchauffement climatique…encore un coup des écologistes.

Et là, cher lecteur, je vois perler un soupçon d’impatience dans votre regard habituellement bienveillant : « Mais quand va-t-il arrêter de nous raconter sa vie pour nous parler de l’album ? N’aurait il pas mieux valu qu’il dessaoule avant de faire sa critique ? »

Que nenni, que nenni ; c’est l’occasion rêvée d’aborder la question de la subjectivité du critique. Il est des moments comme cela dans une vie où les circonstances permettent à la consommation de produits culturels de nous faire atteindre un état de félicité…

En temps normal, j’aurais certainement critiqué la sortie d’un tel album en hiver, fruit d’un calcule marketing sournois ourdi par des quinquagénaires bedonnants, les mêmes qui font fabriquer des chaussures de sport en Chine par des enfants dans des conditions sordides.

En temps normal, j’aurais sans doute critiqué la pauvreté du scénario : le privé alcoolique, les dialogues trash, les aristocrates dépravés, les politiques véreux, la pute au grand cœur. Tout ça n’est pas bien original.

Bref, en temps normal, je n’aurais trouvé aucun charme à ce Huis-Clos forestier.

Mais nous ne sommes pas en temps normal, c’est Noël !

Piège de miel
Sokal
2012
Edouard

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Avant la dernière ligne droite

L’auteur est un des enfants d’un militaire qui a fini par devenir général.
La vie de garnison, en Afrique, les grands espaces, les copains…

Le livre.
Fugue alors qu’il n’est pas majeur. Son père lui envoie les gendarmes. Il finit par rentrer du Brésil.
Et c’est le début d’une vie d’aventures et d’explorations. Depuis sa tendre jeunesse, Patrice veut écrire. Il veut aussi voyager. Il sera donc écrivain-aventurier. Comme Tintin. Âgé actuellement de 57 ans, il présente toujours comme un gamin.
Les points forts: on se demande comment un seul homme a pu réaliser tout ce qui se passe dans ce livre. Il est Corse, et alors?
Un point faible: qu’avait-il besoin d’aller faire le coup de feu contre les Soviétiques en Afghanistan? Parce que papa n’avait jamais tenu un fusil?

Un livre pour ceux qui aiment les aventures de cow-boys.
Je vais relire Tintin.

Amitiés galopantes,

Guy

Patrice Franceschi – Arthaud – 549 p

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Petite philosophie du zombie

Vous en avez marre des vampires romantiques, marre des loups-garous musclés ? Le zombie est fait pour vous. Affreux, bête et méchant, il fera le plaisir des petits comme des grands.
Le zombie a le vent en poupe en ce moment et Maxime Coulombe s’interroge sur les raisons de cette popularité.
Il y a deux ans, je suis tombé sous le charme de « bienvenue à zombieland ». Ce monstre avait une identité qui, je ne sais pourquoi, m’intriguait. Ce livre a répondu à toutes mes attentes.
Né en Afrique de l’ouest, le personnage est étroitement lié à l’esclavage. Il va débarquer sur le Nouveau Monde à Haïti et prospérer à travers le vaudou.
Cependant, le zombie que tout le monde connaît aujourd’hui est très différent de celui des origines. Il doit beaucoup au cinéma gore et d’horreur qui lui donnera ses lettres de noblesse.
Première caractéristique du zombie. Il peut et doit être tué. Maxime Coulombe le rapproche ainsi de l’ « homme sacré » des sociétés grecques qui pouvait être tué sans que son assassin ait à craindre d’être poursuivi par la justice. C’est le principe du « dead or alive » du Far West. Si le zombie n’est pas vraiment un homme, il n’est pas non plus un animal : c’est un homme réduit à ses plus bas instincts. C’est un homme sans humanité et c’est cette caractéristique qui lui vaut la dénomination de « mort-vivant » au moins autant que sa démarche et son teint de déterré. Cependant, quand il est assailli par la fatigue et par les soucis, quand, englouti par la société de consommation, il se voit prive de tout libre arbitre, l’homme moderne n’est il pas un peu zombie ? En nous faisant voir le bas de l’échelle humaine, le film de zombie nous rassurerait donc sur notre propre condition.
Quelle est la frontière entre l’homo sapiens fatigué et le mort vivant ? On en vient alors à la troisième caractéristique du film de zombie : l’environnement post-apocalyptique. La fin du monde est ici en fait une fin de l’ « humain » en tant qu’être sensible capable d’empathie et de discernement. Si les films de zombies restent évasifs sur les causes de l’apparition des zombies, c’est parce que le déclin de l’humanité lui est indissociable.
Et puis , il y a cette fin du monde qui nous est sans cesse rabâchée : la destruction de la planète, l’emballement de l’économie mondialisée … Culpabilisé à outrance, l’inconscient de l’homme moderne ne rêverait-il pas d’être spectateur d’un cataclysme imminent dont il se sent responsable, de par le seul fait d’exister ?
Maxime Coulombe
2012
PUF

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Tonbo

Voilà un petit livre rafraîchissant et sans violence ! Ouf !
Nobu, poussé à la démission par une grande entreprise japonaise, fonde un Juku, établissement de cours privés du soir. Son épouse, infirmière, veut fonder une chorale. Un ancien élève de son père vient le voir et lui raconte ce qu’il s’est passé réellement avant que le père de Nobu se suicide.
Petite histoire d’une famille avec deux enfants qui vit son bonheur au jour le jour et se souvient sans dramatiser du passé.
J’ai beaucoup aimé l’écriture japonaise (zen et hyper polie) qui nous raconte cette histoire avec des détails fleuris.
Je me demande comment font les Japonais pour se relever de tout.
Un livre très positif.
L’auteur, né au Japon, vit à Montréal depuis 1991 d’où une édition franco-canadienne.
SHIMAZAKI Aki
Leméac/Actes Sud, 2010, 135 p.
La Martine béate.

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Le Hobbit

Entraîné par Gandalf et une bande de nains, Bilbo va partir à la chasse au dragon. Sur la route, il rencontrera une étrange créature appelée Gollum à laquelle il volera son anneau magique.
J’avais lu « Bilbo le Hobbit » il y a longtemps, après avoir lu le « seigneur des anneaux », mais il ne m’en était resté qu’un très vague souvenir : celui de la rencontre avec Gollum qui fait le lien avec la célèbre trilogie et la couverture sur laquelle on voyait le Hobbit brandir sa dague sous le ventre du dragon.
D’autres souvenirs me sont revenus au cours des trois heures : la présence de Gandalf, les nains, le roi Gobelin… D’autres scènes du film m’ont intrigué et je me suis demandé si elles n’avaient pas été ajoutées. Cherry on the cake, on parle beaucoup du dragon, mais on ne le voit pas !!??
Grand ménage sur le net pour remettre tout ça d’aplomb, à commencer par une question qui me trotte sournoisement dans la tête depuis 20 ans : Bilbo ou Bilbon ? « Bilbo » est le héros de Bilbo le Hobbit, comme on pouvait s’y attendre. Cependant, on retrouve ce personnage dans le premier volet de la trilogie du « seigneur des anneaux » sous le nom de « Bilbon », oncle de Freudon. L’explication de cette évolution orthographique, donnée par Tolkien lui-même viendrait du traducteur français de la « communauté de l’anneau » qui aurait francisé le nom du semi-homme (http://www.dialogus2.org/TOL/bilbooubilbon.html).
Pour le dragon, j’ai été rassuré par l’article de Wikipédia qui précise que cet opus n’est en fait que le premier volet d’une nouvelle trilogie, les deux autres épisodes devant sortir en décembre 2013 et 2014. Peter Jackson nous referait donc le coup de la trilogie flash-back de George Lucas avec Starwars ? D’après l’article, ce n’est pas prémédité. Le réalisateur néo-zélandais aurait voulu commencer par les aventures de Bilbo, mais n’a pas pu pour une bête raison de cession de droits…OK pour le bénéfice du doute.
J’ai été aussi rassuré sur les scènes insolites avec Elrond et Saroumane dont je n’avais pas le souvenir. L’article de Wikipédia explique qu’en s’inspirant de récits annexés au « seigneur des anneaux », les films de la trilogie du « Hobbit » s’inscriront plus clairement en amont des aventures de Freudon que ne le faisait le roman.
Sinon, pas grand-chose à dire sur le film qui reste du mégablockbuster heroïc fantasy avec de beaux paysages. Pour ne donner qu’un détail, je retiendrais l’œil du dragon qui s’ouvre à la dernière seconde du film et qui semble renvoyer à l’épilogue d’ « Avatar ». Cameron, Lucas… Jackson joue dans la cour des grands et compte bien y rester.
Edouard

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Cléa

Quatrième volet du magnifique ‘Quatuor d’Alexandrie’.
Tous les personnages des trois livres précédents vont s’y retrouver, au début de la Deuxième Guerre mondiale.
Cette guerre est présente en toile de fond, mais plus aiguillon qu’étouffoir.
En relisant mes commentaires des autres livres, je constate une montée en puissance de l’histoire.
Un véritable tour de force.
De plus – rien n’est encore perdu – je me suis mis à apprécier la vraie poésie d’une prose colorée et chatoyante.
Alexandrie vit littéralement entre les pages, et donne l’envie d’aller y admirer la mer, et de flâner dans la rue Fouad.
Ceci me donne l’idée de poser une question à mes amis lecteurs:
Tout comme ce Quatuor me donne le désir de découvrir la ville d’Alexandrie, comme Kafka m’a fait visiter Prague, ou Paul Auster New York, quels liens proposeriez-vous entre un auteur et une ville?
Amitiés exploratrices,
Guy
Lawrence Durrell
Poche – 447 p.

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Les Morsures de l’ombre

Enfin un polar prit à l’envers qui nous change de la routine ! Toujours le flic superman, super beau, super doué qui gagne à la fin sans s’être vraiment cassé la nénette, ça lasse. Celui-là démarre sur les chapeaux de roue dès la 1re page. Le commandant Lorand (super flic, mais super dragueur) se retrouve prisonnier dans une cave humide. Il a voulu rendre service à une belle rousse et aller prendre un dernier verre chez elle. Il va très vite s’en repentir. La belle rousse avec de si longues jambes qui le font fantasmer au début, va lui montrer de quoi sa folie est faite et lui infliger les pires sévices (j’ai bien aimé la variante de l’électromiogégène que je devrais susurrer à l’oreille de mon rhumatologue). Pendant 3 semaines sans manger, Ben va être la proie de l’ombre, de doutes, d’espoirs, de remords, repasser sa vie, se souvenirs de détails bénins, frôler la folie. Pendant ce temps-là, ses collègues le cherchent, mais suivent de fausses pistes et perdent un temps précieux, ce qui nous permet d’en apprendre plus sur les autres protagonistes de l’affaire et nous réserve bien des surprises.
La fin est très hardie et très surprenante.
Enfin un polar psychologique qui m’a déroutée et passionnée du début jusqu’à la fin, sans sauter une ligne. (Ça devient rare).
Un livre à réserver aux fans de polar … pas trop sensibles. L’auteure n’est pas très câline, mais va jusqu’au bout de son idée. Ce que j’ai apprécié même si au bout d’un moment j’ai eu pitié du flic.
Martine
GIEBEL Karine
Fleuve Noir, 2007, 291 p.

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Populaire

À la fin des années 50, un petit assureur de Basse-Normandie (Romain Duris) recrute une secrétaire (Deborah François) et découvre ses extraordinaires talents dactylographiques. Il décide d’en faire son poulain. Sur le chemin du succès, la dactylo va rencontrer un industriel aux dents démesurées qui fabrique la « populaire », dernière machine à écrire à la mode.

Petit film très rafraîchissant et qui donne un petit coup de peps alors que la lumière du jour va continuer à baisser pendant encore deux semaines.

L’histoire de la petite fille perdue de Basse-Normandie qui devient championne du monde de dactylographie…on est complètement dans le rêve américain et l’époque s’y prête à merveille.

Le décor est très léché avec jeux de couleurs à la Andy Warhol, décors aseptisés et festival de choucroutes féminines.

On est tout à fait dans la veine de « the Artist » et Bérénice Bégeot dans le rôle de l’amoureuse d’enfance de Romain Duris, semble camper aussi le personnage de la « grande sœur » de Deborah François sur le chemin d’Hollywood.

Les fifties ont beau être la décennie la plus américanophile de la France du XXe siècle, le clin d’œil aux Yankees est parfois un peu too much, comme dans cette dernière phrase qui fleure bon le fantasme de la vision Nord américain de la France : « les affaires pour l’Amérique, l’amour pour la France ». Il est peu probable que les Oscars mordent une fois de plus à l’hameçon.

Ça va pour cette fois, qu’on ne vous y reprenne plus, a-t-on envie de dire. Mais bon, je l’avoue, ça fait du bien de temps en temps de voir un peu de légèreté et d’oublier pendant 1h30 la freebox en rade et la course aux cadeaux de Noël.

Edouard

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Vivez

Une aubaine pour les éditeurs, depuis le succès de Indignez-vous!
Ce vieux monsieur, né en 1917, fut diplomate, ambassadeur, résistant, militant de gauche, et… il a trouvé un superbe créneau à plus de 90 ans avec une série d’opuscules dont le titre se termine par ! Engagez-vous! Exigez! Déclarons la paix!
On ne peut pas le lui reprocher, les bénéfices vont à des oeuvres caritatives.

Dans cet entretien avec deux jeunes journalistes, le pas du tout gâteux parle de ses engagements, de sa vision de la spiritualité, de l’amour, du bonheur, de la poésie, de la mort. Le très mince volume se termine par 30 pages de poèmes (Hölderlin, Baudelaire, du Bellay, Villon, Apollinaire). Du beau monde, assurément. Mais l’arnaque n’est pas loin…

Amitiés expéditives,

Guy.

Stéphane Hessel – Carnets Nord – 92 p.

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