Hérétiques

Découvert sur le conseil d’un ami hispanophone très cher à mon cœur, et très éloigné géographiquement puisque Sud-Américain,
ce roman très dense raconte le voyage dans le temps et l’espace d’un petit tableau de Rembrandt.
Peu avant le début de la guerre 40-45 (il y a 80 ans), le SS Saint Louis arrive à La Havane. 937 Juifs ont payé à prix d’or la
traversée de l’Atlantique, pour échapper aux nazis. Le jeune Daniel Kaminsky, qui vit à Cuba, espère accueillir ses parents et sa
sœur Judith qui font partie des passagers du bateau. Les autorités refusent le débarquement, les États-Unis également,
et le bateau est renvoyé vers l’Europe. Avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer.

En 2008, un descendant de Daniel Kaminsky, prend contact avec Mario Conde, vieille connaissance des lecteurs de Padura.
Ancien policier, il vivote en faisant commerce de livres anciens. Daniel lui demande de retrouver un tableau de Rembrandt qui se
trouvait dans les bagages de ses grands-parents lors de l’odyssée du Saint Louis. Ce tableau est mystérieusement retrouvé au
catalogue d’une vente aux enchères à Londres.

La deuxième partie du livre nous amène à Amsterdam pendant le siècle d’or, celui de Rembrandt.
Un jeune juif se fait embaucher dans l’atelier du peintre, et devient peu à peu son confident. La peinture va à l’encontre des lois
de la religion juive, et le garçon sera forcé à l’exil, en Pologne. On retrouve le tableau dans les bagages d’un rabbin qui le
lègue à ses descendants.

Les hérétiques, ce sont ceux qui s’opposent à la rigidité des lois, religieuses ou politiques, à Amsterdam ou à Cuba.

Un livre exigeant, qui a demandé plusieurs années de recherches à Leonardo Padura.
Ses intrigues policières sont pour lui une façon détournée de mettre en doute l’autorité aveugle du régime cubain totalitaire.
Régime qui l’a toléré, sans plus.

Amitiés démocrates,

Guy

Leonardo Padura – Points – 720 p.

L’ordre du jour

Le Prix Goncourt 2017 me laisse perplexe.

20 février 1933. 24 capitaines d’industrie sont reçus par le président du Reichstag, Hermann Goering. L’audience se terminera par un sérieux soutien financier au parti nazi pour les élections du mois de mars.

12 février 1938. Le chancelier autrichien Schussnig se rend à Berchtesgaden pour une rencontre avec Adolf Hitler. Celui-ci obtient la soumission sans condition de l’Autriche, qui sera occupée quelques mois plus tard par l’armée allemande lors de l’Anschluss.

Deux tableaux parmi d’autres des événements qui ont conduit à la Deuxième Guerre mondiale.

Les tergiversations des Anglais (lord Halifax, Chamberlain) et des Français (Daladier), les vociférations de Hitler, la frousse des Autrichiens, tout cela est raconté dans un style ironique qui m’a mis mal à l’aise. Ce malaise est probablement voulu par l’auteur. Après tout, il s’agit d’un roman. Mais cela justifie-t-il une telle mise à distance des événements historiques. Cette guerre fut une immense tragédie, les traces en sont toujours palpables. Lâchons le mot: je n’aime pas une telle arrogance. Il est aisé d’écrire 80 ans plus tard: tout le monde s’est fait piéger par le petit caporal. Et en filigrane, on lit un message à peine crypté: attention, les Allemands sont occupés à remettre la main sur l’Europe d’une autre manière.
J’espère divaguer.

Le positif: un style visuel (l’auteur est aussi cinéaste) d’une clarté épurée.
Le négatif (toujours pour le style): on frise le pédantisme.

Amitiés décalées,

Guy

Eric Vuillard

Actes Sud – 160 p.

Dans L’ombre

Au début de la Seconde Guerre mondiale, à Reykjavik, un cadavre est retrouvé dans un appartement avec une croix gammée sculptée sur le front.
Cet ouvrage est la première partie d’une trilogie. La seconde partie est sortie fin 2017. Bon, je l’avais ratée, mais je pense qu’il doit être possible de lire le n°2 après le n°1. D’ailleurs, en lisant le quatrième de couverture de « la femme de l’ombre », je me suis demandé s’il y avait un réel fil conducteur entre les volets en dehors de la Deuxième Guerre mondiale.
Dans la collection « Points », une publicité est faite pour les autres romans d’Indridason « fan d’histoire et de polar ? Retrouvez aussi en poche ». Heuuu… je ne sais pas si la vocation première de l’auteur est initialement le polar historique. La Deuxième Guerre mondiale s’est en effet imposée très progressivement dans les intrigues de son personnage favori « Erlendur », à côté de la tempête de neige au milieu de laquelle, enfant, l’enquêteur avait perdu son frère. C’est bien de parler du deuxième conflit mondial vu de l’Islande, de comprendre l’hostilité réciproque des Islandais et des « occupants » (Anglais et Américains), de voir ses jeunes islandaises qui voyaient en se donnant aux soldats, une chance d’échapper à leur condition sociale et à l’austérité de leur île. Il y avait une expression pour ça, on disait que celles qui avaient réussi à se trouver un petit ami anglais ou américain étaient « dans la situation ». Le phénomène devait être assez important pour qu’on y consacre une expression particulière. Ne connaissant rien à l’Islande, je salue l’initiative de vulgarisation historique engagée par Arnaldur Indridason, mais j’aimerais bien qu’il nous parle aussi d’autres périodes de l’histoire.
Cela dit, c’est toujours aussi agréable à lire Indridason est doué pour aller en profondeur dans la psychologie des personnages et en particulier dans celle des femmes. « Bettý », lu il y a quelques années, était un très beau portrait de femme fatale. Là, c’est Vera, pas vraiment femme fatale qui est pour moi mi-ange, mi-démon. Véra semble essentiellement démoniaque, plutôt une manipulatrice, une charmeuse, une ensorceleuse, bref, une sorcière. Une femme qui n’utilise les hommes que pour parvenir à ses fins en leur accordant des faveurs sexuelles. Vera m’a fait penser au personnage campé par Bernadette Lafont dans « une belle fille comme moi » de Truffaut. Ça m’a intrigué ce personnage, à l’heure du Me Too où la femme est présentée comme une éternelle victime des prédateurs masculins. Les Parisiens auront certainement remarqué ses affiches de prévention contre le harcèlement sexuel où l’homme est représenté sous la forme d’un ours, d’un requin, d’un loup. Bon, je comprends bien qu’il faut faire de la prévention contre le harcèlement sexuel, mais que c’est tout de même un peu stigmatisant. C’est vrai, le sexe de l’ours, du requin et du loup ne sont pas clairement identifiés et que ça peut être aussi des femmes. Je reconnais aussi qu’avec un poney, un lapin et une biche, cela aurait été plus difficile de faire passer le message.
Quoi qu’il en soit, je me procurerai les autres volets de la trilogie, mais après, Arnaldur, j’aimerais bien que tu nous parles d’autre chose que de la Seconde Guerre mondiale.

Édouard

Arnaldur Indridason
2018
Points

Histoire du juif errant

À Venise, un couple rencontre un étrange personnage qui semble avoir eu une existence hors du commun.
Je n’avais jamais rien lu de Jean d’Ormesson et n’avait entendu que vaguement parler du mythe du juif errant. J’ai donc commencé à lire sans aucune base solide, l’histoire d’un homme qui avait tout vu, connu tous les grands de ce monde à travers l’histoire et couché avec toutes les plus belles femmes de l’ère chrétienne. Ça faisait penser à « le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire » avec une dimension spatio-temporelle extensive. Par moment, ça ressemblait pas mal aussi à Baudolino, Eco et d’Ormesson affectionnaient visiblement des périodes identiques de l’histoire. Je trouve tout de même qu’Eco est supérieur en tant que romancier. D’Ormesson n’est pas mauvais, mais ça reste un écrivain moyen, peut-être un peu paresseux.
Au bout d’un moment, j’ai tout de même joué du Google pour en savoir un peu plus sur ce mythe et faire la part des choses entre l’imagination de l’ex-académicien aux yeux bleus et la réalité mythologique et il m’est apparu que d’Ormesson s’était efforcé de rester fidèle à la tradition. Pour avoir refuser de porter assistance à Jésus sur le chemin du Golgotha, Ahasvérus, cordonnier et/ou portier de Ponce Pilate (selon les versions) est condamné à errer à travers le monde jusqu’au retour du christ. D’Ormesson en profite pour lui faire visiter toutes les périodes de l’histoire qu’il affectionne, en premier lieu l’Empire romain et le XIXe siècle. L’ancien régime est quasi absent ainsi que l’Afrique noire. Pour l’Amérique le juif errant accompagne Christophe Colomb, mais bien avant, il accompagne les vikings au Vinland sous le nom de… Ragnar Lodbrok, ce qui permettra au lecteur du XXIe siècle, fan de la série « Viking », de donner à notre héros les traits de l’acteur australien Travis Fimmel qui serait parfait pour le rôle.
Né au moyen âge, on pourrait dire que le juif errant est l’enfant terrible du judaïsme et du christianisme. Pour les chrétiens, il a bien entendu symbolisé le peuple déicide, concept qui n’a plus trop le vent en poupe aujourd’hui. Pour les juifs, il symbolisait la diaspora, concept indispensable à l’identité juive en supposant son unicité ethnique et géographique originelle.
Il est très peu question de judéité. J’ai pensé d’abord que, politiquement correcte oblige, d’Ormesson s’était bien gardé de s’attarder sur la religiosité du personnage pour ne pas être accusé d’antisémitisme, mais, comme il le suggère à la fin, le mythe dépasse aujourd’hui largement la sphère religieuse et l’on a plus besoin d’être juif pour être un juif errant.
Pour ceux qui n’auraient ni le temps ni le courage de lire les 621 pages de l’ouvrage pour savoir ce qu’est devenu aujourd’hui le juif errant, il suffit de réécouter la chanson d’un beau spécimen de « juif errant » mort en 2013 et réellement juif pour le coup. En 1969, avec sa gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec et ses cheveux aux quatre vents, Moustaki avait parfaitement cerné le mythe de l’homme sans attache, assoiffé d’aventure et de liberté.

Édouard
Jean d’Ormesson
1990
Folio

La disparition de Josef Mengele

34 ans de cavale pour l’ange noir de la mort d’Auschwitz, responsable des crimes les plus abominables du IIIe Reich.

Cet ouvrage a reçu le prix Renaudot 2017. Incontestablement, Olivier Guez est un écrivain d’envergure et nous tient en halène tout au long d’un livre qui se dévore en quelques heures.

Après la défaite, nombreux sont les nazis qui viennent chercher fortune et peut être même un nouvel espoir dans l’Argentine de Perὁn. Mengele fait partie du lot. Malheureusement pour eux, le rêve péroniste s’achève en 52. Alors même que les rescapés nazis se retrouvent sans protecteur, la chasse s’organise, en particulier au sein du MOSSAD créé en 49, service de renseignement du jeune État d’Israël. Les attitudes divergent chez les anciens SS. Il y a ceux comme Mengele qui se réfugient dans l’anonymat et la clandestinité et ceux qui ne peuvent se résoudre à la défaite comme Eichmann. Les deux hommes se détestent. En 1956, « nuit et brouillard » d’Alain Resnais dévoile au monde entier l’horreur des camps. Quatre ans plus tard, le MOSSAD capture Eichmann qui sera exécuté en 1962 à Jérusalem.

Mengele se terre, rongé par la peur, sans d’ailleurs se demander si on le cherche toujours. Il est devenu un mythe du mal absolu, comme les méchants de James Bond. Le MOSSAD a d’autres chats à fouetter et en 1967, la guerre des Six Jours contre l’Égypte éclate.

Terré au fond de son trou, entretenu au Brésil par un couple de Hongrois qui demande à sa famille le prix fort pour assurer sa protection, Josef Mengele voit avec stupeur le monde se transformer pour peu à peu l’oublier. C’est un fossile vivant. Plus personne ne veut plus entendre parler de lui, qu’il soit vivant ou mort.

Le procès de Mengele aurait pourtant fait du bruit. Eichmann était une figure politique, Mengele était un exécutant, un élément clef du processus d’extermination. Auschwitz n’était pas qu’un camp de la mort, il s’insérait dans un tissu économique avec ses rouages de production et ses partenaires commerciaux. Nombreux étaient certainement ceux qui pensaient que Mengele était finalement très bien dans son trou. Dévoré par la maladie et de peur d’être démasqué, il refuse tous soins.

Finalement, en 1985, alors que sort « Shoah » de Lanzmann à l’occasion des 40 ans de la libération d’Auschwitz, on se met, en vain, à sa recherche. Et pour cause, il est déjà mort depuis 6 ans, secret précieusement gardé par tous ceux qui avaient assuré sa protection, en premier lieu sa famille qui dirige la florissante entreprise « Mengele » d’outillage agricole. Elle commencera alors à s’étioler, mais ne s’éteindra définitivement qu’en 2011. Son fils décide de prendre le nom de sa femme. Un nom est mort, vive l’Histoire !

Édouard

Olivier Guez

Grasset

2017

Tous les matins du monde

Relecture de ce petit bijou que les amoureux de musique baroque ne peuvent ignorer.
Monsieur de Sainte Colombe pratique la viole de gambe avec une maîtrise telle que sa réputation parviendra à la cour de Louis XIV. Cela se passe en 1650. Un jeune musicien, Marin Marais, demande à Sainte-Colombe de lui apprendre son art. Mais celui-ci refuse tout contact depuis la mort de sa jeune épouse. Seules ses deux filles restent à ses côtés. Elles apprendront la musique, faute de recevoir l’affection à laquelle elles aspirent.
La langue d’une simplicité monastique de Pascal Quignard fait merveille dans ce livre qui sent bon la campagne, où l’inconscient affleure à chaque page, où le lecteur est entraîné dans un monde surnaturel.

Le film raconte la même histoire, avec le son et l’image en plus (j’assume le truisme).
Et pourtant. Marin Marais le jeune (Guillaume Depardieu), et le mûr (Gérard Depardieu) semblent débarquer d’un autre siècle. Fatalement, c’est le nôtre.
Poudrés et en perruque, ils frisent le ridicule. Jean-Pierre Marielle, en Sainte Colombe, est parfait: retenu, digne, pleurant son épouse.
La musique omniprésente ajoute un supplément au livre qui frise pourtant la perfection.

Amitiés planantes,

Guy
Pascal Quignard – 119 p.

La marche de Radetsky

Le déclin d’un empire à travers le déclin d’une famille.

Le lieutenant Joseph Trotta sauve son empereur lors de la bataille de Solférino.
En récompense, il reçoit le titre de baron et le grade de capitaine. Il transmet son titre à son fils, baron von Trotta, préfet habitant la ville de W. Fidèle parmi les fidèles, il sert l’empereur François-Joseph, celui qui fut sauvé par son père. Le petit-fils du héros de Solférino choisit la carrière des armes. Au grand désespoir de son père, il quitte l’armée à la suite de problèmes d’argent
eEt sa vie se terminera de façon absurde lors du grand conflit qui devint la Grande Guerre.

À travers trois générations, le lecteur assiste à la déliquescence de l’empire austro-hongrois.
Avec la fin des Habsbourg, l’Europe se transformera en une mosaïque qui la précipitera dans une
nouvelle guerre mondiale.

D’autres que Joseph Roth ont rêvé d’une Europe unie, à commencer par Stefan Zweig.
L’actualité récente nous apprend que certains voudraient annuler les efforts des Européens
pour se réunir. Espérons que ces oiseaux de mauvais augure n’arriveront pas à leurs fins.

Amitiés géopolitiques,

Guy

Joseph Roth

Points

398 p.

Check-Point

Déception (ou coup d’épée dans l’eau).
Cinq ‘humanitaires’ partent avec deux camions pour la Bosnie. Cela se passe au moment du morcellement de l’ex-Yougoslavie.
Un mélange inextricable de langues, de religions et d’histoire contemporaine.
J’ai trouvé les personnages caricaturaux. Le suspense vient plus de l’état mécanique des quinze tonnes que des personnages englués dans leurs contradictions.
L’ami Jean-Christophe nous a habitués à mieux.
Ses habits d’Académicien doivent le gêner aux entournures.
Ou bien il a perdu sa fraîcheur sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Allons, courage, il va sûrement encore nous sortir un beau lapin de son bicorne,

Guy

Jean-Christophe Rufin

NRF Gallimard- 387 p.

Le cimetière de Prague

Simon Simonini, notaire viscéralement antisémite souffrant d’un profond dédoublement de personnalité et faussaire de haut vol, déambule dans la France et l’Italie du XIXe siècle. Il sera notamment l’auteur du « bordereau » de l’affaire Dreyfus et de la première version des « protocoles des sages de Sion ». Traduits en Russe et diffusés à partir de 1905, ils entretiendront la flamme du complot Judéo-Maçonnique au cours des décennies suivantes.

Le cimetière de Prague est l’avant-dernier roman d’Umberto Eco qui nous à quitté en 2016. C’est un « négatif » du « nom de la Rose ». Simon Simonini, apôtre de l’obscurantisme dans une Europe postrévolutionnaire en cours de reconstruction idéologique est un anti-Guillaume de Baskerville porteur de lumière dans l’occident médiéval. En opposition au « faux vrai » que constituait le livre d’Aristote sur le rire jalousement gardé par les frères, il est ici question de « vrai-faux » puisque le bordereau et les protocoles ont bel et bien existé.

Eco est un érudit et avant tout un essayiste. La question du vrai et du faux jalonnera son œuvre, dans ses essais (la guerre du faux en 1985) mais aussi dans Baudolino, personnage qui dit être un menteur professionnel. Sur bien des aspects, le travail du romancier s’apparente à celui du faussaire. Il ne s’en distingue qu’en affirmant que le récit auquel il s’est efforcé de donner une apparence de réalité n’est pas vrai.

Le succès des faux au XIXe siècle dépend largement de l’état d’esprit d’une société qui tend à se détacher de la religion pour se raccrocher à une science encore balbutiante, en particulier dans les domaines de la psyché, frisant souvent avec le paranormal. Dans cette nébuleuse fleurissent des sociétés secrètes parfois rattachées à la franc-maçonnerie voire au satanisme et dont l’existence est souvent moins défendue par leurs adeptes que par leurs détracteurs. L’érudition de l’auteur en la matière est foisonnante et même parfois écœurante.

Dans ce maelstrom, le judaïsme ne trouve plus une place évidente. Ce sera le rôle de faussaires comme Simonini et d’antisémites farouches comme Édouard Drumont  de le positionner. Dans l’Europe en cours de déchristianisation de la révolution industrielle et du communisme naissant, les juifs se voient accusés du déclin de la religion, d’être les suppôts du grand capital et de diffuser le communisme (la haine ne soucie pas des incohérences). Un tel pouvoir de nuisance ne peut être exercé que par une organisation internationale. De là à faire le lien avec la Franc-maçonnerie, il n’y a qu’un pas que beaucoup n’hésiteront pas à franchir. Au début du siècle, l’antisémitisme est un baril de poudre et les « protocoles des sages de Sion » allumeront la mèche.

Dénoncés comme faux dès 1921, ces protocoles n’en seront pas moins authentifiés dans Mein Kampf en 1925 dans une Allemagne humiliée par le traité de Versailles et à la recherche d’un bouc émissaire.

Édouard

Umberto Eco

Le livre de poche

L’homme qui savait la langue des Serpents

La christianisation de l’Estonie au XIIIe siècle par des hommes de fer venus de l’ouest que l’Histoire retiendra sous la dénomination de « chevaliers porte-glaive ».

Jet d’encre dispose d’un système intégré d’auto-alimentation. C’est en effet en relisant l’ensemble des posts du blog en février que je suis tombé sur la critique de Guy écrite il y a presque deux ans et demi qui m’a incité à faire l’acquisition de l’ouvrage.

Tout comme nos ancêtres les Gaulois qui vivaient dans des huttes, les ancêtres des Estoniens vivaient en paix dans la forêt jusqu’à l’arrivée des hommes de fer qui leur imposèrent le christianisme et la fastidieuse vie de labeur du villageois moyen de l’occident médiéval. Beaucoup de références échapperont au lecteur français qui n’est pas forcément au fait des turpitudes de la culture de la société estonienne, mais cela n’empêche en rien de goûter à la verve épique de l’auteur. S’il n’y avait qu’un élément culturel local à retenir, évoqué dans la postface de l’ouvrage des éditions du tripode, ce serait que la « langue des serpents » fait référence à la langue estonienne qui a su traverser les millénaires, contre vents et marées.

Tout comme Goscinny et Uderzo, Andrus Kivirähk écorne ce mythe national qui, comme celui du Gaulois, a été forgé au XIXe siècle. Mais le message est beaucoup moins manichéen que celui d’Asterix avec son village idéal d’un côté et les affreux Romains de l’autre. Dans la forêt, les humains parlent la langue des serpents et vivent en harmonie avec les animaux (même plus qu’en harmonie parfois puisque des femmes vivent avec des ours). Au village, les paysans vénèrent le Christ, mangent du pain et cultivent la terre sous la houlette des moines et des hommes de fer. Toutefois, les affreux se rencontrent autant dans la forêt que dans le village. Ce sont les fanatiques qui justifient leurs abominations tant par le supposé message chrétien pour les uns que par les génies de la forêt pour les autres.

L’histoire commence comme un roman d’Heroïc Fantasy avant de flirter avec le surréalisme pour finir en conte philosophique avec une action qui perd beaucoup en vraisemblance en s’intensifiant. Mais c’est pas grave, c’est finalement très ennuyeux la vraisemblance.

La morale de l’histoire est résumée dans la postface : « même si nous nous croyons fort traditionnels ; nous sommes toujours les modernes de quelqu’un, car toute tradition a un jour été une innovation ». C’est donc une réflexion sur la marche inexorable du temps avec ceux qui essaient de le remonter, ceux qui tentent de vivre avec, ceux qui veulent le changer et ceux qui s’érigent en gardiens de dogmes immémoriaux attachés à un temps qui n’a jamais existé ailleurs que dans leur imagination. Nous sommes amenés tout au long de notre vie à détruire des mythes et à en ériger d’autres dont nous deviendrons les gardiens : telle est l’Histoire, telle est la condition humaine.

Si l’on y réfléchit bien, l’univers du livre n’est pas très éloigné de celui des contes de Grimm et Perrault. Et si toutes ces sorcières et tous ces magiciens qui vivent au fond des bois n’étaient en fait que les derniers vestiges de sociétés disparues ? Le bien, le mal, la magie, la sorcellerie, tout ça n’est-il pas finalement qu’une affaire de point de vue ?

Edouard

Un vrai phénomène en Estonie: 40.000 exemplaires vendus pour 1,4 million d’habitants.
Et à juste titre.
Cette foisonnante allégorie entraîne le lecteur dans un monde de conte de fées.
Cela se passe dans une époque médiévale imaginaire.
Le jeune Leemet apprend de son oncle la langue – plutôt les sifflements – des serpents.
Il vit dans la forêt. À côté de la forêt se trouve le village.
Deux mondes que tout oppose
Dans la forêt, on chasse grâce à la langue des serpents qui force le gibier à se laisser égorger.
Au village, on mange du pain, on cultive les champs, et on s’habille de tissus.
Dans la forêt, le Sage raconte des balivernes.
Au village, c’est le dénommé Johannes, sorte de cureton manqué.
Leemet est un réfractaire dans l’âme.
Il deviendra le seul représentant d’un monde en voie de disparition.
Le livre regorge de personnages fabuleux.
La sœur du personnage central est mariée avec un ours.
Sa mère passe son temps à nourrir sa famille avec des élans entiers.
Au village, on est terrorisé par les hommes de fer (les chevaliers teutons), et les moines châtrés.
La Salamandre, animal volant mythique, obnubile, comme une sorte de Graal, les habitants de la forêt.
Le grand-père, à qui les hommes de fer ont coupé les jambes, n’a qu’une obsession: les éliminer tous.La violence de la fin du livre devrait le réserver à des adultes avertis.
Toutes les fées ne sont pas angéliques.
J’ai repensé au livre de Bruno Bettelheim Psychanalyse des contes de fées.
L’Estonie, la plus nordique des républiques baltes, n’a pas fini de nous étonner.
Sofi Oksanen, à moitié finlandaise, est une autre porte-parole de ce pays que l’Europe découvre.
L’élite y a parlé l’allemand pendant des siècles, avant la chape du communisme.
Sous une forme mythologique, les langues commencent à se délier.
Pour ma part, j’en redemande.
Amitiés légendaires,
Guy (le 23/11/2013)
Andrus Kivirähk – Attila – 428 p.

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