Je n’ai rien ressenti ce dimanche soir. Les vacances en famille avaient été bonnes. Le titre était tombé brutalement en ouverture du flash de 19h : « Lou Reed est mort ». Bon. Deux interviews autorisées plus tard, j’éteins. Les enfants continuent à se chamailler à l’arrière, aucune faiblesse du régulateur, la voiture glisse à bonne vitesse.
Premier titre sur France Info, pas mal. Demain, je vérifierai en replay sur TF1 et France 2. L’info est traitée dans une sous-rubrique en fin de journal. Claire Chazal écorche le nom du Velvet, le titre des albums. Traitement à la va-vite, superficiel et approximatif. Je suis un peu rassuré. Je me demandais depuis plusieurs années comment sa mort serait couverte par les médias. Existait-il dans l’imaginaire collectif, icône grand public ou marginal insignifiant ? J’ai maintenant une réponse. Fin de l’histoire. De toute façon, je l’avais tué depuis plusieurs années. La prétention avec laquelle il accompagnait des choix artistiques indéfendables depuis The Raven (2003) avait achevé d’enterrer ce monstre en moi que la joie du foyer familial avait déjà paisiblement enseveli au fil des ans.
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Y a-t-il une nécessité à replonger dans une œuvre lors du décès de son auteur ? Sans doute une vague curiosité morbide, pour voir si la perception que vous en aviez est altérée ou magnifiée par les évènements.
J’y ai donc retouché au troisième jour. Une petite dose au début. Sur Transformer, mille fois entendu, le vaccin tenait encore bon. C’est en arrivant à Ride Sally Ride que tout a commencé à se déliter, le cœur contraint reprenant peu à peu sa véritable forme une fois libéré du poing desserré.
C’est obscénité, cynisme, morgue, autant de lieux communs (véridiques) dont est barbouillée toute biographie de Lou Reed, en particulier ces rubriques nécrologiques toutes bricolées sur les mêmes assertions faciles. C’est aussi une voix caressante et intime, une justesse des mots et de l’intention, des abymes de désespoir, une carapace contre la société normalisante, des lames sensuelles dans le Goliath. Et dès les premières années, derrière cet étal de noirceur, un désir résurgent de rédemption : de Beginning to see the light à Trade in, en passant par cet album charnière, the Blue mask, funambule entre le Ciel et l’Enfer. À défaut de rédemption, on lui a offert la réhabilitation. Il s’y est engouffré, enfoncé, complu.
Mais aujourd’hui l’errance a pris fin. Je m’emplis à nouveau de toi. Je sens le flux revenir et irriguer mes veines. Ton œuvre est cette héroïne que tu as chantée. Ce n’est pas une poudre blanche, c’est une âme sœur et liquide en injection sous-cutanée. Extase et effroi. Excitation suprême, fièvre, stupeur, manque absolu. Je ressens physiquement les piqûres, elles me font souffrir. Je porte tes stigmates. Ad vitam. « I’m waiting for my man ». Le dealer est revenu, et elle est meilleure que jamais.
Au revoir Lou. Et bienvenu de retour.
Pierre
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