Et Poutine créa l’Ukraine

Pendant très longtemps, je n’ai pas eu connaissance de l’Ukraine. Plus tard, j’ai cru comprendre que c’était une région de la Russie.

Les plaines d’Ukraine étaient à peine évoquées par Gilbert Bécaud en 1964 quand il chantait « Nathalie », chanson que j’ai entendue pour la première fois en 1997, lors de la sortie du film « on connait la chanson ». Dans les années 2000, des amis m’ont fait connaître Andreï Kourkov : première fois que j’entendais parler d’un romancier ukrainien. Et puis il y a eu la révolution orange en 2004 avec Ioulia Timochenko et ses tresses qui me faisait un peu penser à la princesse Leia. Ensuite, en 2014, ce fût l’annexion de la Crimée à laquelle l’occident ne semblait prêter qu’une attention distraite.

Un peu faible, tout ça, pour faire un Etat.

Le réel acte créateur de l’Ukraine, pour moi, c’est le refus de Volodymyr Zelensky, quelques jours après l’invasion Russe, de se faire exfiltrer par les américains. C’est là que tout a basculé, que les occidentaux ont enfin compris que l’Ukraine était un Etat et que les américains, en particulier, ont compris tout l’intérêt qu’ils avaient à investir militairement en Ukraine pour faire oublier leur piètre performance afghane tout en matant la Russie et en se faisant une place au soleil en Europe de l’est.

C’est à ce moment-là que moi aussi, j’ai compris que les ukrainiens constituaient une véritable nation. Par la suite, je me suis documenté et j’ai appris que cette zone géographique avait une histoire, distincte de celle de la Russie : tampon entre l’empire russe, l’empire ottoman et le royaume de Pologne et de Lituanie ; carrefour religieux également avec les tatars musulmans, les chrétiens orthodoxes et les uniates catholiques. J’ai aussi appris que c’était d’Ukraine que venaient les fameux cosaques zaporogues, plus précisément originaires de Zaporijia. Remontant encore plus loin, j’ai découvert que c’était là qu’étaient arrivés des vikings au moyen-âge, sur le territoire autrefois occupé par les Khazars, mystérieux royaume de confession juive.

Il y a incontestablement de la matière pour donner une identité à ce pays mais sans l’invasion Russe, cette histoire serait sans doutes encore aujourd’hui perdue dans les archives du temps.

Et maintenant, plus d’un an après le début du conflit, alors que personne ne se risquerait à donner un pronostic, on entrevoit tout de même quelques signes. L’incertitude principale réside en fait dans la définition précise des frontières de l’Ukraine à l’est. Pour le reste, le divorce est maintenant Irrémédiable entre l’Ukraine et la Russie. L’affaiblissement et l’isolement durable de la Russie ne laisse pas beaucoup de doutes avec une dépendance accrue vis-à-vis de la Chine. L’Union Européenne sortira aussi renforcée avec, j’espère, l’élaboration d’une défense européenne s’articulant avec l’OTAN. Affaiblissement relatif de l’Allemagne aussi, au détriment de la Pologne comme nouvelle puissance militaire. Et enfin, accélération de la transition énergétique de l’Europe pour atteindre une autonomie.

Une fois n’est pas coutume, l’avenir semble moins sombre que l’actualité. Rêvons un peu d’horizon en attendant la suite.

Edouard

Le déluge

Il est d’usage que des textes de la genèse soient lus dans l’Église catholique à l’occasion de la vigile pascale à commencer par le récit de la création du monde.

Mouais, à part quelques fous furieux du Middle West, plus personne n’imagine aujourd’hui que le monde a été créé en sept jours et s’agissant de l’idée divine de rendre l’homme maître de la nature, était-ce vraiment une bonne idée ?

De leur côté, les juifs sont en pleine Pessah commémorant le passage de la mer rouge par les Hébreux poursuivis par l’armée de pharaon.

Tout comme le récit de l’exode, le déluge évoque le passage d’un monde à un autre qui ne sera plus jamais comme avant, mais les aventures de Noé sont beaucoup plus proches de nous dans la mesure où il s’agit d’une destruction de l’humanité.

Certes, il y aura beaucoup plus de survivants que dans le récit biblique et les animaux ne sont pas concernés, mais ce qui est frappant, c’est la volonté destructrice de Dieu.

Dans le récit babylonien, c’était le vacarme des hommes qui importunait les dieux. Dans la genèse qui s’en est inspirée, c’est leurs pêchés qui provoquent la colère de YHVH.

Rares sont ceux qui oseraient avancer que le coronavirus est un châtiment divin. Pourtant, on sait que la pandémie balaye un monde fou mû par le souci du profit et ignorant la mort.

Le monde d’hier devra-t-il seulement panser ses blessures pour reprendre de plus belle ou un Nouveau Monde devra-t-il naître ? Il n’a fallu que quelques semaines au coronavirus pour arrêter un libéralisme sans tête alors même que tout le monde croyait que c’était impossible.

Si ce nouveau déluge n’est pas un châtiment divin, sans doute devrait-on le prendre comme un signe.

L’orage semble s’être un peu calmé en Europe même si la décrue est encore faible. Le virus ravage désormais les États-Unis qui, ironiquement, avaient fait le choix de mépriser la nature. Ceux-là mêmes qui avaient fini par nous convaincre, à force d’effets spéciaux, qu’ils assureraient toujours notre protection ne semblent même pas capables de se protéger eux-mêmes. Le colosse aux pieds d’argile dont parlait Renaud en 2001 s’est définitivement effondré.

Dans quelques mois, tout cela sera terminé. Il nous reste encore un peu de temps pour imaginer le monde de demain, pour qu’il ne soit pas qu’une résurrection à peine éraflée du monde d’hier, repartant de plus belle jusqu’à la prochaine catastrophe qui sera peut-être encore plus meurtrière que celle-ci.

Si nous ne faisons rien, les vendeurs de paradis artificiels reviendront inexorablement pour nous faire acheter ce dont nous n’avons pas besoin.

Cessons de nous lamenter du confinement, le temps presse. L’avenir sera ce qu’on en fera, ne le gâchons pas, ce serait trop bête.

Édouard

Corruption

Qui fait la loi à Manhattan North? Les dealers et trafiquants de tout poil, et, au-dessus d’eux, La Force, dirigée par le sergent Malone aidé par ses amis Russo et Monty. La méthode de La Force: se faire respecter par tous les moyens, comme dans les westerns. Si vous aimez les bons policiers, procurez-vous cette bombe.On le savait: New York est une jungle. Quand les flics font mieux (ou pire) que la pègre, on atteint la stratosphère.

L’histoire ne finit pas bien, on n’est pas dans la bibliothèque rose. Sous le macadam, on perçoit une critique à peine voilée des méthodes de Mister President Trump. Et on plonge dans, n’ayons pas peur des mots, la tragédie antique.

Don Winslow, un auteur qui ne fait pas dans la dentelle.

J’avais lu La Griffe du Chien, du même auteur, il y a un an ou deux. Avec la même impression de plonger dans un monde où les pires sont les bons, ou les meilleurs les mauvais, au choix. Là, on se promenait au Mexique parmi les trafiquants de drogue. À ses risques et périls.

Vous voilà avertis, chers amis.

Amitiés tourneboulées,

Guy Don Winslow – 548 p

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C’est quoi le 11 novembre ?

Il y a cent ans, la fin de la Première Guerre mondiale ouvrit la porte à deux nouveaux acteurs qui s’imposeront progressivement au XXe siècle sur la scène internationale : les États-Unis en tant que puissance militaire et la Russie soviétique.
La Russie a été un allié précieux des Yankees lors de la guerre de Sécession en protégeant les ports de New York et de San Francisco. Au début du XXe siècle, les ennemis militaires de la Russie étaient le Royaume-Uni et la France qui avaient battu le tsar en Crimée. Les États-Unis, pour leur part, continuaient à se méfier de l’ex-puissance coloniale qui s’était abstenue, tout comme la France, d’intervenir dans la guerre de Sécession.
Les liens tissés entre la Russie tsariste et les États-Unis expliquent peut-être pourquoi ces derniers ne reconnaîtront l’URSS qu’en 1933 alors qu’Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. Quoi qu’il en soit, les deux puissances se retrouvent en 1945 et imposent leur leadership mondial.
La Guerre-Froide est généralement perçue comme une succession de tensions entre les deux superpuissances, mais elle peut être aussi vue comme un partage du leadership mondial.
Avec la chute de l’URSS au début des années 90, ce double leadership prend fin. Les États-Unis espèrent alors asseoir durablement leur posture de superpuissance unique, mais se voient progressivement concurrencés par de nouveaux acteurs parmi lesquels se trouve l’Union Européenne qui regroupe les vieux ennemis de la Russie et de l’Amérique et qui a de plus assimilé une partie des ex-satellites soviétiques d’Europe de l’est.
L’Amérique et la Russie d’aujourd’hui ne rêveraient-elles pas du retour du leadership bipolaire de la guerre froide ? Quand on voit d’un côté le président américain manifester sa défiance pour Thérésa May et son soutien appuyé à Boris Johnson alors même que le rôle joué par la Russie lors référendum pour le Brexit apparaît de plus en plus clairement, on est tenté de le penser. On est tenté de le penser également en observant la réaction épidermique de Donald Trump face à l’évocation d’une armée européenne par Emmanuel Macron. On est tenté de le penser en observant, son hostilité pour Angela Merkel. On a été enfin tenté de le penser lors de son affichage avec Vladimir Poutine dans une scénographie à la James Bond à l’occasion des derniers Jeux olympiques. Les deux hommes sont des enfants de la guerre froide (1946 pour Trump, 1952 pour Poutine) et sont sans doute nostalgiques du monde dans lequel ils ont grandi.
Le premier conflit mondial a marqué durablement l’occident : guerre industrielle, apparition de l’aviation sur le champ de bataille, Russie soviétique, arrivée des États-Unis sur la scène internationale, traité de Versailles qui contribuera à favoriser la montée du nazisme…tout le XXe siècle était là. Cent ans se sont écoulés et les protagonistes ne sont plus. L’Europe est pacifiée, l’URSS s’est effondrée, le nazisme a été écrasé, les Etats-Unis sont devenus la première puissance mondiale (jusqu’à quand ?). Il est temps de redonner du sens à la commémoration de ce conflit insensé qui causera la mort de 18,6 millions d’humains. Saluons la première édition du « forum pour la paix » qui sera ouvert par Angela Merkel cet après-midi pour que personne n’oublie le « plus jamais ça », seule mémoire désormais valable.

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Il y a quelques mois, l’auteur new-yorkais est venu faire en France une tournée de promotion, accompagné de sa revêche épouse. Il est apparu dans différentes émissions, parmi lesquelles la Grande Librairie.
Il y a raconté la genèse de ce livre qu’il a mis 10 ans à écrire.
En refermant ce gros pavé (1190 grammes, presque autant que de pages), je me demande si le jeu en valait la chandelle. Je n’ai pas pris le risque de le prendre dans mon bain (je parle du livre) afin d’éviter des lésions cutanées sérieuses.

Comme le titre le suggère, il s’agit de 4 histoires.

Un jeune Juif russe débarque à Long Island au tournant exact entre le 19e et le 20e siècle.
Un de ses compatriotes lui conseille de déclarer porter le nom de Rockefeller, plutôt que son patronyme imprononçable. Interrogé par l’officier de l’immigration, il n’arrive plus à retrouver son nom d’emprunt et il laisse échapper en yiddish, Ikh hob fargessen! (J’ai oublié). L’officier l’inscrit dans son registre sous le nom de Ichabod Ferguson.

À partir de cette anecdote plaisante, Paul Auster imagine la destinée de Archie Ferguson, le petit-fils
de l’immigrant juif. Ici commencent 4 vies en 7 chapitres de chaque fois 4 épisodes. Vous suivez toujours?
On savait Paul Auster adepte de la lévitation (voir l’épatant Mr Vertigo).
Il prouve ici qu’il n’a pas peur de la haute voltige.

Les 4 vies du même personnage, avec d’autres comparses, d’autres choix, d’autres partenaires,
d’autres amitiés, d’autres orientations sexuelles, ont de quoi donner le vertige.

Je n’ai pas pu me défaire de l’impression qu’il a voulu écrire le chef-d’oeuvre que chaque écrivain
rêve d’offrir au monde. Il est conteur brillant, et fait partie des auteurs majeurs aux USA.
Les diversions sportives (base-ball envahissant) et politiques (Vietnam, Nixon, racisme)
pourraient être sérieusement élaguées, surtout pour un lecteur européen.

Me voici donc un peu perplexe.

Amitiés God bless you,

Guy

Paul Auster
Actes Sud
1020 p.

Illuminati

Comment une société secrète autrichienne ayant eu à peine une dizaine d’années d’existence peu avant la Révolution française a-t-elle pu devenir une usine à fantasmes complotistes au XXIe siècle ?
Philippe Liénard est franc-maçon et écrit des livres sur la franc-maçonnerie. Je n’avais jamais vu un livre typographiquement aussi dégueulasse : les coquilles et fautes d’orthographe sont légion. Le livre comporte aussi de grosses erreurs historiques et culturelles : confusion entre 1er empire et 1re république, référence à « Georges Orwell, auteur du roman 1987 » (il faut le faire) …
Sur le fond, c’est moins pire. Même s’il n’écrit pas très bien, l’auteur semble relativement sérieux. Les sociétés secrètes n’existent que par leurs structures hiérarchisées, leurs rituels et leurs adeptes. Les longues descriptions des grades sont pour le moins rasantes. À l’inverse, sa condamnation à la fin de l’ouvrage des petites escroqueries complotistes qui pullulent sur le WEB est salutaire.
Ce qui m’a le plus intéressé dans cet ouvrage est la distinction qu’il fait entre lucifériens et satanistes.
Satan, c’est clairement le mal : meurtre, viol, inceste, torture… et tout ce qu’une société considère comme tel à une époque donnée.
Lucifer est plus complexe. Étymologiquement, son nom signifie « porteur de lumière », une signification très noble pour moi, loin d’être associée au mal tel que je l’imagine. Lucifer est un ange déchu. Comme Prométhée dans la mythologie grecque, Lucifer est celui qui donne aux hommes les moyens lui permettant de s’élever au-dessus de la divinité. Dans l’histoire de la chrétienté, les hérésies et tous les systèmes de pensée jugés comme étranger au dogme de l’Église devaient craindre les flammes de l’enfer.
Le XVIIIe siècle aura été celui de l’affrontement à mort de l’Église et de Lucifer, par le biais des lumières, l’âge d’or des sociétés secrètes, des francs-maçons et autres Illuminati et se matérialisera dans la Révolution française et l’indépendance des États-Unis. Toute pensée un peu originale continue aujourd’hui à susciter la méfiance dans certaines communautés chrétiennes. Au sein de l’Eglise, les jésuites ont longtemps senti le soufre… jusqu’à ce qu’un jésuite arrive au Vatican.
Au XXIe siècle, le débat n’est plus le même. Le nouvel ordre mondial ourdi par le complot judéomaçonnique et dirigé par les Illuminati est un fantasme typique d’un village planétaire en quête de sens et terrorisé par son avenir. Les Illuminati sont en nous. Soyons tous responsables, car nous sommes les seuls maîtres à bord.

Édouard

Philippe Liénard
Jourdan
2018

Sur la route

Road movie de Sal et Dean dans les États-Unis d’après guerre.

Les juifs ont la Thora, les musulmans le Coran, la beat generation a eu « sur la route ».

À en croire les médias, on se demande si cette géneration n’était pas un ramassis de machos violents homophobes et pédophiles. Pourtant, il semblait bien joli dans mon enfance au début des années 80, le ciel de la révolution sexuelle avec toutes ses couleurs et toutes ses paillettes, avant que les nuages du SIDA ne viennent l’obscurcir.

C’est donc tout d’abord pour revenir aux sources de cette génération que je me suis plongé dans la lecture de « sur la route ». Sexe, drogue et Jazz sont effectivement les trois piliers des activités de Sal et Dean lorsqu’ils ne sont pas sur les routes. Les filles sont toutes faciles (au début en tout cas) et les protagonistes ne semblent pas particulièrement apprécier les homosexuels. MLF devait être un courant parallèle. À aucun moment, la contraception n’est évoquée et les deux gars sont totalement irresponsables, comme il se doit.

Je me suis bien ennuyé pendant la première moitié, peut-être parce que je cherchais à tout prix à dégager la thématique sexuelle de cette lecture. Et puis, à force de m’ennuyer, j’ai fini par abandonner cette recherche et c’est là que la vraie profondeur a commencé à apparaître. Bien plus que le sexe, le thème principal de « sur la route » semble être l’amitié démesurée entre Sal et Dean qui ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. C’est cette relation fusionnelle dont par Georges Bernanos dans « journal d’un curé de campagne » quand il dit « je comprends maintenant que l’amitié peut éclater entre deux êtres avec ce caractère de brusquerie, de violence que les gens du monde ne reconnaissent volontiers  qu’à la révélation de l’amour ». Croit-on encore à l’amitié aujourd’hui ?

« Sur la route », c’est aussi une ode aux États-Unis que les deux amis traversent d’est en ouest et du nord au sud un nombre incalculable de fois et à toutes ces petites villes du Middle West dont on ne parle jamais. C’est bien entendu aussi un hommage à la voiture devenue l’égal du cheval au XIXe siècle, dans la conquête de l’ouest du XXe.

Et puis, il y a la route, cette fuite permanente face à la société, aux responsabilités, au monde du travail, au vieillissement…bref, à l’âge adulte qui finira fatalement par les rattraper. La route, c’est aussi la quête du « it », terme emprunté au jazz, mais qui renvoie plus généralement à la recherche de l’extase, de l’expérience sensuelle. Sal se mariera, Dean se mariera trois fois, divorcera deux fois et finira par vivre avec sa deuxième femme. Leurs épouses verront d’un mauvais œil cette amitié exclusive. Elle finira par se rompre. La beat generation était jeune et voulait reconstruire un monde ruiné par la Seconde Guerre mondiale, Kerouac leur a apporté une mythologie.

Jacques Kerouac

Folio 1972 (1re édition en 1960)

Edouard

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur

Dans les années 30, l’avocat Atticus Finch élève seul sa fille Scout et son fils Jem dans une petite ville d’Alabama. Commis d’office, il est chargé d’assurer la défense de Tim Robinson, un noir accusé du viol d’une jeune femme blanche.

Classique incontournable de la culture américaine (adaptation en 1962 au grand écran avec Gregory Peck dans le rôle d’Atticus), le livre fera beaucoup de bruit à sa sortie, en plein dans une Amérique secouée par la défense des droits civiques (Rosa Parks et son bus en 1955, c’était aussi en Alabama).

Le livre est tout d’abord une prouesse narrative, l’histoire étant racontée à travers les yeux d’une fillette. Plongée dans des affaires de « grandes personnes » qu’elle ne comprend pas vraiment, Scout relate des faits avec ses mots, charge au lecteur d’en reconstituer le sens. Le procédé donne un caractère profondément tendre à l’ouvrage. On frémit pour Scout, on est triste avec elle et ses maladresses d’enfant nous font mourir de rire (l’épisode de Scout déguisée en jambon à la fête de l’école vaut son pesant de bacon).

Le choix narratif donne à l’intrigue un caractère étrange. L’absence de toutes références à la mère de Scout m’a en particulier frappé. Certes, elle explique que celle-ci est morte quand elle avait deux ans, mais une disparition aussi nette de la pensée de tous semble étrange. Ceci dit, Scout n’est pas encore assez âgée pour comprendre ce qu’est un tabou. Elle parle des choses dont on parle et cela ne lui viendrait pas à l’esprit d’évoquer les sujets dont on ne parle pas. Ces trous dans l’intrigue se marient d’ailleurs très bien avec l’atmosphère du « Deep South », marquée autant par le racisme que par la superstition. La mémoire de la guerre de Sécession est encore vive même si la plupart des protagonistes ont disparu. Les légendes de confédérés se mêlent ainsi à celles de fantômes, de maisons hantées et d’esclaves évadés.

Dans cet univers, le souci des habitants est plus de préserver cet esprit du Sud que de rechercher une réalité. Atticus sait très bien tout ça, il sait que les jurés peuvent envoyer Tim à la mort tout en étant persuadés de son innocence, parce que pour eux, ce serait criminel de reconnaître qu’un noir puisse avoir raison contre un blanc. Les habitants de la ville haïssent d’ailleurs autant Atticus, « l’ami des noirs », que le véritable criminel dont personne n’ignore l’identité : tous deux menaçant l’ordre établi. La grande victoire d’Atticus, c’est les cinq heures du délibéré qui indiquent que les esprits commencent à bouger.

Il n’y aura pas de suite à « ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ». Le second roman d’Harper Lee, publié en 2015 (va et poste une sentinelle) avait en fait été écrit avant. Le silence de plus de 50 ans de l’auteure disparue en 2016, son caractère insaisissable et la polémique concernant la participation de Truman Capote à l’écriture de « l’oiseau moqueur » font de l’ouvrage lui-même une légende du Sud.

Edouard

Harper Lee

1961/2015

Grasset

Un demi siècle à Hollywood

Les pages cornées et jaunies dégagent une légère odeur de cave. Sur la couverture, un vieillard placide, arborant stetson, cigarette, veste à carreaux et bandeau sur l’œil, se détache d’un graphisme très 70’s. Le nom à mâcher du chewing-gum de l’auteur, Raoul Walsh, est inscrit au-dessus de la tête du cow-boy. Le genre de bouquin improbable qu’aurait pu lire un hippie en attendant son avion à Katmandou. Le genre de livre déniché dans une brocante pendant les vacances et qui vous assurera un franc succès cet hiver, lors de l’arbre de Noël organisé entre amis. Bref, un genre qui a vécu.
Le réalisateur américain Raoul Walsh (1873-1980) a lui aussi bien vécu. Je me suis toujours méfié des autobiographies. Là, au moins, on sait tout de suite que ce n’est pas la rigueur qui l’étouffe. Certaines anecdotes relatées au début de l’ouvrage sont tellement invraisemblables qu’on arrête vite de chercher la vérité. Le récit de sa jeunesse de cow-boy se déguste comme un bon album de Lucky-Luke. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est le côté spectaculaire des choses, ce qui va plaire au public. Ayant grandi à l’époque du Wild West Show de Buffalo Bill, alors que l’ouest commençait à fabriquer sa propre légende, Walsh restera toute sa vie attaché à ce qu’était le cinéma à ses débuts : un divertissement.
On n’en saura pas beaucoup sur le réalisateur qui reste très factuel et ne fait qu’égrainer un nombre incalculable d’anecdotes. Walsh a connu beaucoup de gens connus dirait Raphaël Mezrahi.
Ce qui est par contre passionnant, c’est tout ce qui concerne l’histoire du cinéma américain au cours de la première moitié du XXe siècle : l’installation des premiers studios à Los Angeles en 1911, la sortie de « naissance d’une nation » de Griffith, premier long métrage de l’histoire du cinéma dans lequel Walsh incarnera l’assassin de Lincoln, l’arrivée du son au milieu des années 20 qui fera entrer le cinéma dans une nouvelle ère.
Il ne dit rien de l’arrivée de la couleur ni de la télévision. Après la Seconde Guerre mondiale, le monde extérieur ne semble plus vraiment l’intéresser, la seule chose qui compte est les déconnages avec ses copains Wayne, Bogart, Gable et Flynn. Très peu de femmes, il parle un peu des actrices dans le cadre des tournages et de celles qui furent les partenaires d’une nuit. Il ne dit presque rien de Mary, sa femme qu’il épousera sur le tard. Walsh reste un cow-boy à l’ancienne, adorateur des amitiés viriles.
En 1973, il décide d’écrire ses mémoires, sans doute pour faire revivre une dernière fois une époque révolue…touchant. Un bon western.
Calman Levy
1976 (réédité en 1994)

Edouard

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Nageur de rivière

Le grand Jim semble se focaliser sur la forme de livres contenant deux ou trois longues nouvelles.
Celui-ci en contient deux.
1. Au pays du sans pareil.
Clive, 60 ans, retourne au Michigan pour s’occuper de sa vieille mère pendant un mois. Ce contact avec le passé dans la ferme familiale lui redonnera un nouvel élan et une nouvelle joie de vivre.
2. Nageur de rivière.
Thad, adolescent de sang indien, cherche son identité au bord du lac Michigan, dans une ferme solitaire.

Les personnages de Jim Harrison ont toujours quelque chose à nous raconter.

Clive le sexagénaire, peintre raté (quoique…) et critique d’art redouté, rumine son divorce, et tempête encore contre une amazone qui a taché son beau costume avec de la peinture jaune lors d’une conférence. Il retrouvera sa joie de peindre dans la ferme de son enfance.
Thad le gamin se met en tête de rejoindre Chicago à la nage. Et il y arrivera.
Deux apprentissages, l’un à l’automne, l’autre au printemps de la vie.
Deux histoires humaines, sensibles, sensuelles, un vrai bonheur.
Amitiés vivifiantes,
Guy.
Jim Harrison – 257 p.

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