Le cimetière de Prague

Simon Simonini, notaire viscéralement antisémite souffrant d’un profond dédoublement de personnalité et faussaire de haut vol, déambule dans la France et l’Italie du XIXe siècle. Il sera notamment l’auteur du « bordereau » de l’affaire Dreyfus et de la première version des « protocoles des sages de Sion ». Traduits en Russe et diffusés à partir de 1905, ils entretiendront la flamme du complot Judéo-Maçonnique au cours des décennies suivantes.

Le cimetière de Prague est l’avant-dernier roman d’Umberto Eco qui nous à quitté en 2016. C’est un « négatif » du « nom de la Rose ». Simon Simonini, apôtre de l’obscurantisme dans une Europe postrévolutionnaire en cours de reconstruction idéologique est un anti-Guillaume de Baskerville porteur de lumière dans l’occident médiéval. En opposition au « faux vrai » que constituait le livre d’Aristote sur le rire jalousement gardé par les frères, il est ici question de « vrai-faux » puisque le bordereau et les protocoles ont bel et bien existé.

Eco est un érudit et avant tout un essayiste. La question du vrai et du faux jalonnera son œuvre, dans ses essais (la guerre du faux en 1985) mais aussi dans Baudolino, personnage qui dit être un menteur professionnel. Sur bien des aspects, le travail du romancier s’apparente à celui du faussaire. Il ne s’en distingue qu’en affirmant que le récit auquel il s’est efforcé de donner une apparence de réalité n’est pas vrai.

Le succès des faux au XIXe siècle dépend largement de l’état d’esprit d’une société qui tend à se détacher de la religion pour se raccrocher à une science encore balbutiante, en particulier dans les domaines de la psyché, frisant souvent avec le paranormal. Dans cette nébuleuse fleurissent des sociétés secrètes parfois rattachées à la franc-maçonnerie voire au satanisme et dont l’existence est souvent moins défendue par leurs adeptes que par leurs détracteurs. L’érudition de l’auteur en la matière est foisonnante et même parfois écœurante.

Dans ce maelstrom, le judaïsme ne trouve plus une place évidente. Ce sera le rôle de faussaires comme Simonini et d’antisémites farouches comme Édouard Drumont  de le positionner. Dans l’Europe en cours de déchristianisation de la révolution industrielle et du communisme naissant, les juifs se voient accusés du déclin de la religion, d’être les suppôts du grand capital et de diffuser le communisme (la haine ne soucie pas des incohérences). Un tel pouvoir de nuisance ne peut être exercé que par une organisation internationale. De là à faire le lien avec la Franc-maçonnerie, il n’y a qu’un pas que beaucoup n’hésiteront pas à franchir. Au début du siècle, l’antisémitisme est un baril de poudre et les « protocoles des sages de Sion » allumeront la mèche.

Dénoncés comme faux dès 1921, ces protocoles n’en seront pas moins authentifiés dans Mein Kampf en 1925 dans une Allemagne humiliée par le traité de Versailles et à la recherche d’un bouc émissaire.

Édouard

Umberto Eco

Le livre de poche

HHhH

Prix Goncourt du premier roman (2010)
L’attentat contre Reinhardt Heydrich le 27 mai 1942 à Prague.
Les deux auteurs: des parachutistes, un Tchèque et un Slovaque, entraînés en Angleterre.
Heynrich: la bête blonde, le boucher de Prague, un des concepteurs de la ‘Solution finale’ avec Eichmann.
Le titre du livre: Himmlers Hirn heisst Heydrich (le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich).
Du très beau monde, comme on peut le constater.
L’histoire est vraie (tous les protagonistes y ont laissé leur peau, des centaines d’otages tchèques également), mais le livre est présenté comme un roman. À de nombreuses reprises, l’auteur se laisse emporter par son sujet.
J’ai eu par moments de la peine à rester dans l’histoire. L’auteur emploie la technique du ‘slow motion’ de façon trop appuyée. Le livre doit être pris comme un hommage à des hommes jeunes opposés à une machine inhumaine.
Personne à l’époque ne connaissait l’issue de cette guerre démoniaque.
Merci à ceux qui ont contribué à la mener à bon terme.
Allez voir sur Google des photos de Reinhardt Heydrich: édifiant.
Amitiés opprimées,
Guy
Laurent Binet – Grasset – 441 p.

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Prague

L’instant que je retiendrai est quand, dans Obecní dům (la maison municipale), j’ai commencé à comprendre comment j’allais écrire cette chronique.
J’étais venu voir le Golem, le fameux protoFrankenstein israélite, créé au XVIe siècle par rabbi Loew, sous le règne de l’empereur Rodolphe II. Dans la fraîcheur matinale de janvier, on sent bien sa présence dans le vieux cimetière juif. On se dit qu’il doit être caché quelque part, entre toutes ces pierres tombales hirsutes et rongées par le temps, mais je ne l’ai pas vu. Heureusement, pour la somme modique de 160 korunas (environ 7€), j’ai pu acheter un Golem miniature. Il n’a pas l’air très facile à manier et en plus, je crois qu’il ne comprend que l’hébreu.
Mais heureusement, j’ai trouvé autre chose. En premier lieu, la suite de l’histoire du Saint-Empire romain germanique que j’avais commencé à découvrir l’été dernier. J’ai été soufflé par la puissance de la Bohème médiévale. Contrairement à la Hongrie, elle n’avait pas à se soucier des assauts ottomans, ces derniers n’étant jamais remontés aussi haut. Rome aussi était loin et ce n’est peut-être pas un hasard si les hussites y virent le jour. Ces derniers seront à l’origine du protestantisme qui s’étendra comme une traînée de poudre sur l’Europe au XVIe siècle. Était-ce uniquement par souci de protéger la foi catholique ou était-ce un prétexte pour soumettre ce voisin aussi prospère qu’indomptable que Vienne y procéda à la contre-réforme ? Toujours est-il que les églises baroques construites un peu partout dans la ville, fleurons du catholicisme triomphant, sont souvent impressionnantes. A l’époque, pas facile de séparer art, religion et politique.
Et puis, le temps à fait son œuvre…et l’art a survécu pour donner à la ville son charme si particulier. Chaque nouvelle strate architecturale trouvant sa place dans le paysage urbain sans pour autant chasser la précédente.
A la fin du XIXe, l’art nouveau marque à son tour la ville de son empreinte. Mucha, que nous connaissons surtout en France pour ses affiches, peint les vitraux de la cathédrale saint Guy, située juste derrière le château cher à Kafka. L’art nouveau envahit la ville, mais aussi l’intérieur des maisons : meubles, tapisseries, bibelots et finit aussi par laisser sa trace dans les vêtements et même les sous-vêtements : magnifique exposition à la maison municipale jusqu’en 2015. L’art prend alors une autre dimension et s’affranchit du religieux et du politique, il devient insaisissable, imprévisible et ne cessera de grandir. Ce sera les maisons cubistes, ce sera Tančící dům, la maison qui danse, ce monstre de verre et de béton qui semble se déhancher sur un air endiablé..
L’art : ce géant qui envahit tout, qui ne s’inquiète ni des fleuves, ni des montagnes, ni des frontières, ni des forteresses, ni des langues, ni des religions, ni du pouvoir. Lui qui est seul capable de transporter et d’unir tout un continent dans un même élan d’émotion. Lui, ce Golem, dont personne n’arrêtera jamais la course. Prague a un indiscutable talent pour mettre en valeur ses différents visages.

Edouard

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