L’homme qui tua Don Quichotte

Contre vents et marées, le chevalier à la Triste Figure défend la veuve et l’orphelin dans un monde qui ne voit dans son action qu’une folie douce.
« Je sens de nouveau, sous mes talons, les côtes de Rossinante. Je reprends la route, mon bouclier sous le bras. […] Maintenant, une volonté que j’ai polie avec une délectation d’artiste soutiendra des jambes molles et des poumons fatigués. J’irai jusqu’au bout ».
Pour ceux qui ne connaîtraient pas Don Quichotte, je précise que « Rossinante » est le nom de son fidèle destrier. Ces propos n’ont pas été tenus par le personnage de Cervantes, mais par Che Guevara en 1965. C’est dire si l’âme de l’ingénieux Hidalgo a voyagé depuis 400 ans. Que les adorateurs de Don Quichotte (dont je fais partie) ne s’inquiètent pas, le titre du film de Terry Gilliam est bien entendu un oxymore. Loin de perdre son immortalité, le chevalier ressort une fois de plus vainqueur de l’adaptation d’un roman souvent qualifié d’inadaptable. Au début du film, il est rappelé que sa réalisation aura pris vingt-cinq ans, mais le résultat en valait la chandelle. Jean Rochefort, qui avait été pressenti pour incarner le héros, n’aura malheureusement pas pu voir le film qui lui est dédié ainsi qu’à un autre acteur dont j’ai oublié le nom. C’est bien triste. L’acteur français dont la filmographie est truffée de losers magnifiques que n’aurait pas renié le chevalier, aurait fait un Quichotte remarquable.
L’intrigue se déroule aujourd’hui, ce qui renforce bien entendu le décalage entre le chevalier et son époque, mais le réalisateur réussit tout de même à préserver une certaine finesse en particulier à grands coups de paysages désertiques grandioses et intemporels. Comme chez Cervantes, il y a ceux qui tentent de ramener le chevalier à la raison et ceux, méchants et cruels, qui l’encouragent dans sa folie pour mieux s’en moquer. Et puis, il y a Sancho Panza, son inséparable écuyer qui, à force d’essayer de le ramener à la raison, finit par comprendre que c’est en fait son maître qui a raison. Don Quichotte, c’est l’essence de l’art délivrant des réalités que la réalité brute est incapable de produire. Don Quichotte n’est qu’émotions et il n’est pas possible de le comprendre autrement.
Beaucoup d’interviews de Terry Gilliam dans les médias. Il est symptomatique que ce film irréalisable ait été réalisé par l’exMonthy Pyton ayant coécrit en 1975, le scénario du génial « sacré Graal » qui écorchait les aventures des chevaliers de la Table ronde. Cervantes, dès 1615, écorchait déjà les romans dans la veine de ceux de Chrétien de Troyes dont se gavait Don Quichotte avant de sombrer dans la folie, tout en en dégageant l’essence immortelle.
Dans notre monde résigné et terrorisé par son avenir, on se demande parfois où est Don Quichotte. Le décalage entre la réalité et la fiction, tel qu’il existait au XVIIe, est évidemment incomparable avec ce qu’il est à l’heure d’internet. Pourtant, le message de Cervantes n’a pas pris une ride. Répondant à la question la plus incroyablement moderne de l’évangile posée par Ponce Pilate : « qu’est-ce que la vérité ? », Cervantes nous dit qu’il n’existe en fait qu’une réalité, celle dans laquelle nous nous sentons vivants. Merci à Terry Gilliam d’avoir fait passer le message.

Edouard

Confessions d’un jeune romancier

Umberto Eco, entre autres auteur du « nom de la Rose » qui nous a quittés en 2016, était avant tout sémiologue, essayiste et accessoirement romancier (6 romans écrits entre 1982 et 201). Dans cet ouvrage publié en France peu de temps après sa mort, il revient sur son métier d’écrivain.

Ce bouquin, acheté à Strasbourg il y a plus d’un an, traînait patiemment sur le coin de ma table basse, attendant que je daigne m’intéresser à lui et, comme par hasard (serait-ce crédible dans un roman ?), je me suis décidé à l’ouvrir alors même que je me posais des questions concernant la distinction entre l’écriture fictionnelle (romans, nouvelles,…) et non fictionnelle (essais, chroniques, critiques…).

Eco disserte longuement sur la question de l’émotion qu’un personnage de fiction peut faire naître chez nous alors même que nous savons bien qu’il n’a pas d’existence réelle. L’auteur s’arrête à la distorsion entre le personnage fictif et son environnement. Si j’ai bien compris, cette distorsion, par la magie du romancier, nous ferait partager une situation dramatique et réveillerait chez nous une réaction émotive. Analysant ensuite l’écriture non fictionnelle, l’auteur relève que la réalité étant de toute façon impossible à reproduire, ces écrits ne se distinguent pas profondément de la fiction.

L’ouvrage est un pêle-mêle, rassemblant textes et idées que j’avais pour certains lus par ailleurs. J’ai bien aimé ce qu’il dit sur la « contrainte » qui, à partir d’un certain stade d’avancement du roman, va guider l’auteur : la logique et la recherche de cohérence finissant par prendre alors le pas sur la spontanéité imaginative.

Il  évoque à peine ce que j’appelle l’ « incohérence constructive » qui est pourtant pour moi une source majeure de progression dans la construction de l’intrigue :

J’ai écrit au chapitre I que Robert était brun et au chapitre II qu’il était blond parce que je ne me souvenais pas de la couleur de ses cheveux. À la relecture, je peux bien entendu harmoniser la couleur, mais aussi me demander s’il ne serait pas possible d’exploiter dans l’intrigue le changement de couleur de cheveux de Robert.

Ce qu’il dit sur la religion me déçoit. Franchement, j’attendais mieux de celui qui a été ma référence intellectuelle suprême depuis mon adolescence, lui qui était mon maître Yoda en littérature. J’ai enfin compris pourquoi certains athées, qui ont érigé en dogme l’inexistence de Dieu, sont incapables d’imaginer que les croyants peuvent faire un usage pragmatique de leur religion et accepter l’existence de celle des autres sans pour autant se renier.

La disparition physique du maître m’a bouleversé, l’effritement de sa pensée me révolte.

Édouard

2016

Le livre de poche

Teilhard de Chardin

Le jésuite Pierre Teilhard de Chardin fut l’un des plus grands paléontologues de la première moitié du XXe siècle. Né en 1881, fervent catholique  dans une Europe que venaient de heurter les théories darwiniennes, il s’efforcera toute sa vie de démontrer que la théorie de l’évolution n’était pas incompatible avec la pensée chrétienne.

Cela faisait déjà bien longtemps qu’on ne brûlait plus les hérétiques et l’Église, après s’être opposée frontalement aux théories évolutionnistes, adopta peu à peu un discours plus nuancé tout en croisant les doigts pour que les fidèles ne se posent pas trop de questions. Rome le sentait bien cependant, la lecture au pied de la lettre de la genèse avait du plomb dans l’aile. Cela tenait encore…pour combien de temps ? En tout cas, il semblait évident qu’il était dangereux que l’édifice s’écroule et  il fallait faire taire ceux dont les propos pouvaient précipiter sa chute.

Teilhard parlait trop. On eut beau l’empêcher de publier, l’exiler, le réprimander, ses paroles se diffusèrent largement en particulier du fait de ses nombreux appuis dans la communauté scientifique déjà très laïcisée de l’époque. Tenté à plusieurs reprises de quitter son ordre, il ne s’y résoudra cependant jamais, persuadé que ses théories ne s’opposaient pas à la religion. Évidemment, pour faire le lien entre le brontosaure et la multiplication des pains, il fallait un peu aménager les dogmes. Ca théorie était en fait un embryon de ce qu’on nomme aujourd’hui « intelligent design » : certes, Dieu n’a pas créé l’homme et la femme d’un claquement de doigts, ceux-ci sont bien le fruit d’une lente évolution, mais c’est bien Dieu qui est le moteur de cette évolution. Imparable…en tout cas pour le moment.

Ses démêlées avec sa hiérarchie le feront prendre un tournant et trouver sa vocation. En 1932, il dira «  L’unique but de ma vie, à partir d’aujourd’hui, sera, plus uniquement encore, de travailler à briser le cercle où, par une ironie amère, les « enfants de lumière » ont enfermé l’esprit ». Ce combat, il le poursuivra jusqu’à la fin de sa vie, en 1955. Sept ans plus tard, s’ouvrira le concile Vatican 2 où l’Église catholique fera un effort sans précédent d’ouverture au monde et à la modernité.

Cependant, Vatican 2 ne réglera pas la question de l’évolutionnisme et les papes successifs resteront prudents. L’ « intelligent design » fera son chemin, mais il faudra attendre 2014 pour que François, un autre jésuite arrivé à  la tête du Vatican, s’exprime explicitement : « l’évolution dans la nature n’est pas incompatible avec la notion de création, parce que l’évolution requiert la création de choses qui évoluent. »

Édouard

Teilhard de Chardin

Edith de la Héronnière

2003

La fuite de Monsieur Monde

La grande force de Simenon: un monde en clair-obscur, avec les détails qui font mouche.
Norbert Monde dirige une société de transports.
Il quitte son bureau un soir, passe à la banque, et disparaît.
On le retrouve à Marseille, puis à Nice, où il se trouve un travail dans une brasserie interlope fréquentée par des amateurs de jeu et chair fraîche.
Il se met en ménage (boiteux) avec une jeune femme encore plus paumée que lui.
Au bout de quelques mois, il retourne chez lui, et se remet au travail comme si rien ne s’était passé.

Écrit en 1944, le récit n’a pas vraiment vieilli.
On ne peut pas reprocher à Simenon d’avoir le premier raconté une histoire de disparition.
La littérature et l’actualité se sont emparées de ce thème pendant les 70 ans qui ont suivi.
Mais je préfère quand même bon-papa Maigret et ses déductions rocambolesques.

Amitiés au commissaire,

Guy.

 

Georges Simenon – Poche – 188 p.

Le cimetière de Prague

Simon Simonini, notaire viscéralement antisémite souffrant d’un profond dédoublement de personnalité et faussaire de haut vol, déambule dans la France et l’Italie du XIXe siècle. Il sera notamment l’auteur du « bordereau » de l’affaire Dreyfus et de la première version des « protocoles des sages de Sion ». Traduits en Russe et diffusés à partir de 1905, ils entretiendront la flamme du complot Judéo-Maçonnique au cours des décennies suivantes.

Le cimetière de Prague est l’avant-dernier roman d’Umberto Eco qui nous à quitté en 2016. C’est un « négatif » du « nom de la Rose ». Simon Simonini, apôtre de l’obscurantisme dans une Europe postrévolutionnaire en cours de reconstruction idéologique est un anti-Guillaume de Baskerville porteur de lumière dans l’occident médiéval. En opposition au « faux vrai » que constituait le livre d’Aristote sur le rire jalousement gardé par les frères, il est ici question de « vrai-faux » puisque le bordereau et les protocoles ont bel et bien existé.

Eco est un érudit et avant tout un essayiste. La question du vrai et du faux jalonnera son œuvre, dans ses essais (la guerre du faux en 1985) mais aussi dans Baudolino, personnage qui dit être un menteur professionnel. Sur bien des aspects, le travail du romancier s’apparente à celui du faussaire. Il ne s’en distingue qu’en affirmant que le récit auquel il s’est efforcé de donner une apparence de réalité n’est pas vrai.

Le succès des faux au XIXe siècle dépend largement de l’état d’esprit d’une société qui tend à se détacher de la religion pour se raccrocher à une science encore balbutiante, en particulier dans les domaines de la psyché, frisant souvent avec le paranormal. Dans cette nébuleuse fleurissent des sociétés secrètes parfois rattachées à la franc-maçonnerie voire au satanisme et dont l’existence est souvent moins défendue par leurs adeptes que par leurs détracteurs. L’érudition de l’auteur en la matière est foisonnante et même parfois écœurante.

Dans ce maelstrom, le judaïsme ne trouve plus une place évidente. Ce sera le rôle de faussaires comme Simonini et d’antisémites farouches comme Édouard Drumont  de le positionner. Dans l’Europe en cours de déchristianisation de la révolution industrielle et du communisme naissant, les juifs se voient accusés du déclin de la religion, d’être les suppôts du grand capital et de diffuser le communisme (la haine ne soucie pas des incohérences). Un tel pouvoir de nuisance ne peut être exercé que par une organisation internationale. De là à faire le lien avec la Franc-maçonnerie, il n’y a qu’un pas que beaucoup n’hésiteront pas à franchir. Au début du siècle, l’antisémitisme est un baril de poudre et les « protocoles des sages de Sion » allumeront la mèche.

Dénoncés comme faux dès 1921, ces protocoles n’en seront pas moins authentifiés dans Mein Kampf en 1925 dans une Allemagne humiliée par le traité de Versailles et à la recherche d’un bouc émissaire.

Édouard

Umberto Eco

Le livre de poche

Le livre de sable

Ici, je ne me ferai pas que des amis.
Cet écrivain argentin, pour un premier contact, m’a paru obscur et prétentieux.

En page de couverture, on peut lire, de la main de J.L.B. himself:

« Je n’écris pas pour une petite élite dont je n’ai cure ni pour cette entité platonique adulée qu’on surnomme
la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J’écris pour moi, pour mes amis
et pour adoucir le cours du temps ».
Voilà le lecteur dûment averti.

Des treize nouvelles de ce recueil, deux m’ont convaincu à moitié, les autres me sont restées incompréhensibles.
Le surnaturel et l’abscons font bon ménage.
La pédanterie du professeur Borges est sans bornes.
En toute simplicité, il se compare à Wells, Swift et Edgar Allan Poe
Je ne ferai pas partie de son cénacle.

Amitiés rétives,

Guy.

Jorge Luis Borges – Folio – 147 p.

La classe Eco

Mon cher Umberto,
Je n’avais pas lu beaucoup de livres de toi : le nom de la Rose au collège, le pendule de Foucault au lycée que j’avais un peu lu pour faire style et puis, plus récemment, Baudolino.
La nouvelle de ta disparition il y a 2 heures a inondé mon corps d’un froid qui ne me quitte plus. Je ne pensais pas tous les jours à toi et c’est aujourd’hui que je réalise combien tu étais important pour moi.
La découverte à 15 ans de Guillaume de Baskerville combattant l’obscurantisme médiéval a été une révélation et bien plus encore, la naissance d’une vocation : c’est lui que je voulais être et c’est toujours lui que je veux être.
Tu étais pour moi une sorte de frère Guillaume, un élément essentiel autour duquel l’univers tournait, comme le pendule de Foucault. Tu étais un phare pour moi, pourquoi t’es-tu éteint ? Où aller maintenant, quel chemin suivre ?
Il y a d’autres gardiens du temple heureusement, mais beaucoup de marchands aussi et les défenseurs acharnés de la liberté de penser ne sont pas innombrables. Il faudra faire sans toi, trouver un nouveau phare et aider les jeunes générations à tracer leur route. Tu me fais vieillir Umberto, ou peut-être me fais tu seulement prendre conscience que je ne suis plus l’adolescent fasciné par l’intelligence de Guillaume de Baskerville.
Tu me manqueras mais je sais aussi que tout ce que tu as créé est immortel, tu nous a laissé tous les outils qui nous aideront à trouver notre voie.
Merci
Edouard

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La nébuleuse du crabe

Connaissez-vous Crab ?

Cet ouvrage m’a été offert par un admirateur de Georges. Il y a des points communs entre les univers de Georges et de Crab. Je n’irai toutefois pas jusqu’à parler de filiation. S’il devait y en avoir une, ce serait plutôt avec le personnage de Plume, d’Henri Michaux, dont j’avais étudié les aventures en terminale et qui m’avait beaucoup marqué.

Au bout de 124 pages, on ne sait toujours pas bien qui est Crab ou, plus exactement, ce qu’est Crab. La seule chose qui est au final incontestable, c’est l’existence de Crab, tout du moins dans la tête de son créateur, Eric Chevillard, et dans la tête des lecteurs.

La chose à laquelle Crab ressemble le plus est encore l’être humain même s’il semble défier tous les principes élémentaires de la physiologie et de la psychologie. Quand je pense à Crab, je vois une méduse nager dans l’océan, une chose informe et à dimensions variables. Ce qui est certain, c’est que Crab est un personnage organique. Dans la mesure où ses organes sont plus ou moins comparables à ceux des organes humains, la piste humaine semble se préciser.

Une date nous est donnée : 1821, mais difficile de savoir s’il est possible d’en faire un usage particulier. La date n’est là que pour préciser que Crab était un grand photographe un an avant l’invention de la photographie. Crab n’a pas vraiment l’air d’être doué pour le relationnel et il ne semble pas avoir un réseau émotionnel très développé. Crab n’a peut-être qu’une intelligence analytique, mais il est difficile de comprendre l’usage qu’il en fait. Son comportement semble toutefois répondre à une certaine logique. Ma scène préférée est celle au cours de laquelle Crab, venant de terminer l’écriture de ses mémoires, refuse de bouger d’un poil de peur d’avoir à changer une ligne de son ouvrage.

Les rapports entre Eric Chevillard et Crab semblent un peu compliqués. J’ai trouvé que l’auteur était très dur avec Crab, voire cruel, tant est si bien que je me suis demandé si Crab n’était tout simplement pas un cancer, mais cela reste une piste parmi tant d’autres. Il faut dire qu’avec un nom comme ça, on est tenté de se poser la question. Il y a de plus quelque chose d’un peu cancéreux dans la lecture de l’ouvrage. Crab ne se lit pas d’une traite, mais par petites gorgées et le grand nombre de portraits et de mises en situation imprègnent le lecteur comme autant de métastases.

Pour terminer, un petit focus sur la proximité avec Georges. Georges a incontestablement une maturité moins affirmée, mais je ne lui présenterai pas Crab comme un modèle. Georges restera toujours un peu lunaire, mais je souhaite qu’il soit en interaction avec son environnement et ses semblables. Non, je ne pense pas que Crab soit un bon exemple pour Georges. Enfin, maintenant que les présentations ont été faites, il y aura forcément une influence…pourvu que Crab ne le colonise pas.

Eric Chevillard
Editions de minuit
2010

Edouard

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Temps retrouvé à la Baronnie

La baronne de Marçay n’est pas un personnage de la recherche, pourtant de nombreux éléments de sa vie en font un personnage très proustien : aristocratie, belle époque, Normandie, homosexualité, père homme politique farouchement antidreyfusard…pourtant, il n’en est rien, mais peut être que quelque amoureux de l’écrivain réussira-t-il un jour à établir un lien entre Yvonne Paulmier et tel ou tel personnage de l’œuvre.

Après son mariage avec le baron de Marçay qui se termina je ne sais comment, elle vécut une passion avec Agnès Aignan. Après la mort de la baronne en 1950, Agnès deviendra la propriétaire du domaine situé à Douvres la Délivrande, à côté de Caen, jusqu’à sa mort en 1986. Le domaine reviendra alors à la commune.

La baronnie, qui abrite de beaux restes architecturaux des XIIIe et XIVe siècles, commencera alors sa descente aux enfers et les bâtiments, sans doute déjà endommagés avant 86, continuèrent à se dégrader…jusqu’à l’arrivée d’une équipe municipale motivée qui aura d’une part le courage d’entreprendre d’importants travaux de restauration et de fouilles archéologiques et d’autre part de trouver les financements qui permettront de redonner toute Sa Majesté au lieu.

Hier, 19 septembre 2015, « journées du patrimoine », une grande journée médiévale est organisée sur le site. Les associations médiévales ont afflué de toute la région : chevaliers, archers, forgerons, armuriers, atelier d’enluminure, spectacles de danse, saynètes médiévalales, et potée paysanne, l’ambiance et bon enfant et les enfants ont les yeux qui brillent.

La journée se terminera comme il se doit par un feu d’artifice, lui-même précédé d’un concert en images du groupe Memorandum.

Sous une musique électro gothique, les images projetées sur le mur d’un des plus beaux bâtiments du site confèrent à l’édifice une vigueur à laquelle il n’était sans doute plus habitué.
Pendant 45 minutes, nature sauvage et ouvrages médiévaux s’entremêlent sur un rythme enivrant.
Instant d’émotion particulier à la fin du concert : le visage de la vieille dame que Philippe, le compositeur, a croisé dans son enfance apparaît sur le mur. Son dernier opus, « mademoiselle Agnès », est effectivement dédié à la dernière propriétaire des lieux. Enterrée à quelques dizaines de mètres du lieu du spectacle avec la baronne de Marçay, mademoiselle Aignan a certainement beaucoup apprécié.

Yvonne, a dû être un peu jalouse, je l’imagine espérer secrètement que Philippe accepte de la faire sortir à son tour de l’oubli. Pour ma part, j’espère que ce sera un jour chose faite, elle le vaut bien.

Edouard

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Le temps retrouvé

Madame Verdurin et madame Bontemps sont devenues les reines du Paris de la Première Guerre mondiale et les côtés de Swann et de Guermantes finissent par se confondre. Pendant ce temps, le narrateur, rongé par la maladie, prend conscience de sa vocation d’écrivain.

Bouquet final grandiose pour « la recherche du temps perdu ». Robert de Saint-Loup meurt à la guerre tandis que le plus que douteux Morel en sort glorifié. Charlus fréquente un lieu de perdition construit par Jupien, grossier simulacre d’un enfer qui ne parvient pas vraiment à satisfaire les fantasmes du baron. Toujours soucieuse de lui maintenir la tête sous l’eau, madame Verdurin fait courir le bruit que Charlus est un espion à la solde de l’ennemi. La reine du Paris de la Grande Guerre finit ensuite par épouser le prince de Guermantes, devenant la belle sœur de l’ex flamboyante Oriane qu’elle fait elle aussi descendre du piédestal sur lequel elle s’était hissée.

L’irrésistible soif d’ascension sociale de madame Verdurin la conduit cependant au sommet d’une société qui n’existe plus. La jeune génération étant toute disposée à accepter un passé trafiqué pour peu que le récit soit attrayant, se désintéressera d’une vérité portée par un vieillard confus et radoteur. Deux personnages pour illustrer la disparition de ce Monde : mademoiselle de Saint-Loup, petite fille de Swann par sa mère et Guermantes par son père ; l’image du prince de Guermantes âgé de 83 ans, vacillant sur ses jambes à la dernière page du volume.

On me l’avait dit, mais j’en suis maintenant convaincu, « La recherche » n’a pas à être nécessairement lue dans l’ordre ; « le temps retrouvé », où le narrateur prend conscience qu’il va écrire « la recherche » pourrait tout aussi bien en constituer le commencement.

Après avoir pris conscience de ses capacités psychologiques hors norme…

[…] ce que racontaient les gens m’échappait, car ce qui m’intéressait, c’était non ce qu’ils voulaient dire, mais la manière dont ils le disaient […] parce qu’il me donnait un plaisir spécifique, le point qui était commun à un être et à un autre.

…le narrateur comprend que seule la création artistique permet de reconstruire le passé,

Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre […]

…et retrouve le temps alors que la mort le guette.

Je savais très bien que mon cerveau était un riche bassin minier, où il y avait une étendue immense et fort diverse de gisement précieux. Mais aurais-je le temps de les exploiter ?

Edouard

Le temps retrouvé
Marcel Proust
Bouquins

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