Bestiaire fantastique des voyageurs

Le lecteur sera étonné d’y trouver beaucoup d’hommes et la place de ces derniers dans un bestiaire pourra lui paraître pour le moins choquante. Toutefois, avant que la science ne se penche sérieusement, à partir du XVIIIe siècle, sur la classification des espèces animales, la distinction n’allait pas de soi. Que penser d’un Cafre, d’un Hottentot ou d’un Lapon ? Devait-on vraiment les considérer comme des humains à part entière ? La controverse de Valladolid en 1551 s’attachait au cas particulier des Indiens d’Amérique, mais soulevait une question beaucoup plus générale et qui n’a cessé de rendre dubitatifs les explorateurs à partir de la renaissance : qu’est-ce qui distingue l’humain du non humain ? Comment penser que ces créatures à l’apparence humaines, mais aux mœurs si étrangères aux habitudes européennes et qui, de surcroît, n’ont jamais entendu parler de Jésus, des apôtres, ni du martyr de sainte Agathe, puissent vraiment être des humains ? Inversement, cela ne semblait pas non plus invraisemblable de s’interroger sur la nature humaine du gorille, de l’orang-outan, de l’ours polaire ou de l’éléphant.
Saint Augustin s’est longuement penché sur la question des Cynocéphales pour conclure finalement qu’ils n’appartenaient pas à l’espèce humaine. Il ne doutait absolument pas de l’existence de ces individus au corps d’homme et à la tête de chien. Difficile à comprendre dans notre monde ultra rationalisé. Dans la pensée antique et médiévale, le rapport au vraisemblable était certainement très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Le référentiel était alors celui des dieux, puis du christianisme, celui des savants, des anciens, à l’aune duquel on évaluait les expériences des rares explorateurs. Quand tout ça concordait globalement, pourquoi remettre en question la véracité des récits ? Quand bien même un homme du moyen âge aurait voulu le faire, avait-il la culture nécessaire ?
Ce qui dominait, c’était l’extraordinaire, le merveilleux, ce qui marquait les esprits, ce qui permettait de trouver des réponses à des questions essentielles, ce qui permettait de construire une identité. La réalité de tout ça n’intéressait finalement pas grand monde.
Aussi, je ne me prononcerai pas sur la réalité de l’existence du Catoplébas, du Fourmi lion, des Blemmyes, des Panottis et autres Sciapodes. J’invite seulement ceux qui voudraient voir s’ébrouer tous ces personnages à lire « Baudolino » d’Umberto Ecco.
Ceux qui mettaient en musique les récits des explorateurs n’étaient bien souvent pas les voyageurs eux-mêmes, ce qui, par l’effet bien connu du téléphone arabe, a pu introduire du merveilleux là ou il n’y en avait pas. Le voyageur cherchait certainement aussi à enjoliver son voyage et son auditoire, désireux de voyager à son tour à travers le récit, n’hésitait pas à y ajouter un peu de fantastique pour mieux goûter son plaisir. C’est sans doute comme ça que sont nés beaucoup d’animaux fabuleux. Aujourd’hui, tous ces êtres ont été démystifiés et le vrai séparé du faux. Ce qui reste à l’homme du XXIe siècle, c’est la soif de mystère, la soif de fabuleux, l’envie de croire en une autre réalité. L’ouvrage se referme sur le Yeti et souligne le fait que ce mythe ne date que du XXe siècle…les crypto zoologues n’ont pas dit leur dernier mot.
Collectif sous la direction de Dominique Lanni
Arthaud
2014
Edouard

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