Les soleils des indépendances

Les aventures de Fama, dernier représentant de la lignée déchue des Doumbuya et de sa femme Salimata dans l’Afrique de l’Ouest postcoloniale.

Publié pour la première fois en 1968 aux presses de l’Université de Montréal, puis aux éditions du Seuil en 1970, ce roman est une merveille.

Tout d’abord, la puissance de l’écriture est fascinante : une écriture simple, crue, colorée, parfois violente et souvent drôle… je ne trouve pas de meilleur verbe que « capturer » pour qualifier l’effet des mots d’Ahmadou Kourouma. En livre de poche, l’ouvrage fait moins de 200 pages, mais se déguste très lentement, comme une noix de cola. Bien entendu, si vous avez la chance de connaître un peu l’Afrique de l’Ouest, la saveur n’en sera que plus forte.

D’un point de vue historique, le roman présente ensuite un grand intérêt.

Gentil petit toubab, j’ai bien appris mes leçons: la conférence de Bandung et la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Culpabilisé dès mon plus jeune âge pour des horreurs commises par  mes semblables, je me suis longtemps morfondu dans « les sanglots de l’homme blanc » dont parlera Pascal Bruckner en 1983. De fait, il était évident pour moi que les gentils noirs, libérés du joug du méchant blanc, avaient retrouvé avec l’indépendance leur bonheur perdu, l’innocence vaguement rousseauiste des origines. Visiblement, mes enseignants n’avaient pas lu « les soleils des indépendances », c’est bien dommage.

Mon propos n’est bien entendu pas de réhabiliter la période coloniale. Je veux seulement dire que dans mon aveuglement, je ne m’étais jamais demandé comment les Africains avaient eux-mêmes pu vivre la décolonisation.

Fama vit pour le maintien des traditions et grâce aux traditions puisqu’il gagne sa vie en organisant des enterrements qui respectent strictement les coutumes Malinké. Cette tradition animiste très légèrement saupoudrée d’islam, constituerait le vestige d’un prétendu âge d’or ante-colonial qu’il n’a pas connu. Pour Kourouma, les indépendances, loin de permettre aux peuples de retrouver la pureté d’une société originelle, ont surtout généré de profonds troubles sociaux, peut-être pires que ceux dont la colonisation avait été la cause.

Dépositaires d’un syncrétisme communiste auquel Fama ne comprend rien, les libérateurs ne sont pas tous des gardiens des traditions. La nouvelle classe dirigeante le condamne à 20 ans de prison pour un rêve qu’il leur a raconté, puis le libère dans la liesse générale pour des raisons qui lui échappent.

Fama est un personnage terriblement attachant, la figure universelle de l’individu ballotté par ses désirs, ses devoirs et la société qui l’entoure : un archétype d’humanité.

Édouard

Ahmadou Kourouma

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