Passage des ombres

1944, le corps d’une jeune femme est retrouvé derrière le théâtre national. 70 ans plus tard, un vieil homme est retrouvé mort dans son appartement.
Troisième et dernier volet de la trilogie des ombres. Indridason a beau être aujourd’hui un écrivain internationalement reconnu, il n’en reste pas moins que le fait de connaître un peu mieux le pays et la ville me permet de voir les choses autrement.
Je comprends mieux maintenant cette obsession d’Indridason pour la seconde guerre mondiale. C’est en 1944 que l’Islande se détache du Danemark pour devenir indépendante. Les occupations anglaises puis américaines aux conséquences parfois houleuses auront permis au peuple islandais de se confronter à l’altérité et de faire son introspection. Le positionnement géographique de l’île n’est effectivement pas propice au brassage culturel 1944 est donc la naissance d’une république qui s’accompagne d’une renaissance identitaire. Au sens de la mythologie scandinave, c’est un Ragnarök, la fin d’une ère et le début d’une nouvelle. Plus rien ne sera jamais comme avant prophétisent les enquêteurs.
Si le conflit mondial est plus présent que dans les deux premiers volumes et si Thorson, le représentant de la police militaire, se prépare à partir en Angleterre suite à l’annonce d’un débarquement prochain en France, la présence militaire est cette fois-ci presque occultée.
Indridason se plonge cette fois au cœur de la société islandaise et à ses démons. Pour la première fois chez l’auteur (en tout cas pour ce qui concerne les ouvrages traduits en Français), il s’intéresse au folklore islandais, aux superstitions et aux manifestations surnaturelles en laissant planer un certain doute. Il est beaucoup question d’elfes. Le surnaturel est toutefois toujours affaire de subjectivité : que doit penser cet homme atteint de la maladie d’Alzheimer en voyant deux hommes venu lui rappeler 70 ans après des faits qu’il aura tenté d’oublier toute sa vie, sinon une avant-garde du jugement à venir dans l’au-delà ? Les derniers soubresauts de l’ancien monde, du monde d’avant le Ragnarök, produisent leurs derniers effets.
J’avais été étonné par le fait que la collection « Points » présente Indridason comme un auteur pour passionnés d’histoire et de romans policiers, tant l’aspect historique de ses romans m’avait jusque-là semblé secondaire. Toutefois, l’immense popularité d’Indridason dans les librairies de Reykjavik (éditions anglaises), me font comprendre qu’il est aujourd’hui devenu un ambassadeur culturel de son pays et il est vrai qu’un certain effort de vulgarisation historique semble être fait dans ce dernier volume.
La noirceur et le côté fin du monde de l’ouvrage m’ont tout de même un peu inquiété et j’ai googlisé Indridason pour essayer d’en savoir un peu plus. Visiblement, tout va bien et il va avoir 57 ans en 2018. Puisse-t-il encore très longtemps nous raconter l’Islande.
Édouard

Arnaldur Indridason
2018
Métailié

Reykjavik

À force de lire des polars islandais, j’ai eu envie d’aller y faire un tour. Mes chroniques s’attachant à cerner une unité culturelle européenne ont six ans. J’avais initialement pour ambition de limiter mes recherches à l’Union européenne, mais le Brexit brouille les cartes. Quelle que soit son issue, la marque anglaise dans la culture européenne restera indélébile. Alors, autant s’intéresser à un pays européen qui ne fait pas partie de l’Union européenne.
L’Ile est située sur la dorsale océanique séparant la plaque eurasiatique et la plaque américaine, mais culturellement, le pays affirme clairement son identité européenne. L’indépendance ne date que de 1944, c’est donc un pays institutionnellement jeune qui l’est aussi par son histoire.
En effet, l’Islande n’a été peuplée qu’à partir du IXe siècle par les Vikings. Il n’y a pas de présence humaine antérieure et donc pas de « préhistoire » au sens où l’entend l’Europe continentale. Les Islandais parlent de « colonisation » pour désigner l’arrivée sur l’île des premières populations. On imagine ce qu’a pu être l’arrivée dans ce pays glacial, où fleurissent les volcans, les geysers et les aurores boréales. Il fallait avoir un sacré goût pour l’aventure pour quitter son foyer ou de très fortes raisons pour partir, ceci aidant cela.
C’est dans cet univers extraordinaire que va être écrite l’Edda au XIIIe siècle par Snorri Sturluson, ouvrage inégalé décrivant le panthéon de la mythologie scandinave. A l’époque, les croyances des Vikings tendaient à s’effacer au profit du christianisme. Je n’ai cependant vu nulle part de références à Snorri Sturluson. Rien dans le lonely planet, pas de rue, pas de statue…
Il n’en est pas de même pour un autre Islandais, Leifur Eiriksson qui a lui droit à une statue devant Hallgrimskirkja, église luthérienne à l’allure fantomatique qui est l’emblème de la ville. Le nom de ce personnage est sans doute plus connu outre-Atlantique où sa statue est visible à Seattle et à Boston. Il est en effet le premier Européen à avoir mis le pied en Amérique du Nord autour de l’an mille. La découverte de Leifur n’aura cependant pas le retentissement qu’aura cinq cents ans plus tard, celle faite par Christophe Colomb. Les comptoirs semblent avoir été éphémères et les relations avec les autochtones pour le moins houleuses. Certes, l’Européen du Moyen-âge ne pouvait pas voir sur son smartphone en instantané que quelqu’un faisait des recherches sur Paul Claudel à Sidney (ce qui représente d’ailleurs un intérêt très relatif), mais, il est possible que ce récit se soit perpétué dans les ports. Christophe Colomb a affirmé qu’il avait visité l’Islande en 1477 et il est donc possible qu’il ait eu connaissance du voyage de Leifur.
Reykjavik mérite en tout cas mieux comme statut que celui de ville pour touristes assoiffés de paysages grandioses. Ce qui m’a le plus impressionné dans leur art contemporain est l’utilisation qu’il font du son et des matériaux naturels. Au pays des volcans, la nature reste l’hôtesse de l’humain qui ne sera jamais rien d’autre qu’un invité. Elle ne cesse de lui parler dans le vent, dans les cris des oiseaux, dans l’écume échouée sur le rivage, dans le silence des champs de lave sur lesquels l’imagination fera déambuler elfes et trolls… Puisse l’Islande servir de modèle à l’homme du vingt et unième siècle qui a plus que jamais besoin d’apprendre à écouter la nature.
Édouard

NÁTT

Dans le nord de l’Islande, un homme est retrouvé battu à mort. Ari Thór de la police de Siglufjördur enquête.
Il n’existe pas, le commerçant qui a réussi à me vendre une brosse à dents ou un paquet de lessive contre ma volonté. Par contre, je suis plus vulnérable pour ce qui concerne les livres. C’est comme ça que j’ai fait l’acquisition il y a quelque temps de trois bouquins de Ragnar Jónasson, auteur islandais de romans policiers, en attendant la sortie du dernier Indridason.
« C’est un genre d’Agatha Christie » avait précisé l’e vendeur juste après mon passage à la caisse. Ces propos ne m’avaient pas beaucoup enthousiasmé. Il y a environ 30 ans que je n’ai plus lu de roman d’Agatha Christie. J’avais à l’époque fait une overdose qui m’a laissé le souvenir d’intrigues par trop policées et toujours construites selon le même procédé. L’éditeur précise en effet dans chaque ouvrage que l’auteur a traduit plusieurs romans d’Agatha Christie en islandais.
Snjór, le premier opus fut clairement une déception : Style lourd et répétitions auxquels il faut ajouter de probables erreurs de traduction. On y voit Ari Thór, fraîchement diplômé de l’école de police de Reykjavik, être nommé à Siglufjördur où il s’installe en dépit de la désapprobation de Kristin, sa petite amie. Les activités étant visiblement réduites à Siglufjördur, Ari Thór trompe Kristin avec Ugla, une prof de piano. On retrouve effectivement le côté huis clos cachant une réalité plus obscure dont le lecteur n’aura connaissance qu’à la dernière minute propre à Agatha Christie
Mörk, le second volume est nettement mieux et l’écriture beaucoup plus maîtrisée. La recette de tante Agatha commence à se roder. Ari Thór et Kristin se sont visiblement réconciliés, vivent à Siglufjördur et viennent d’avoir un petit garçon.
Le vendeur m’avait averti avec une lueur un peu étrange dans l’œil que Nátt n’existait pas en livre de poche, précision qui ne m’avait pas particulièrement intéressée sur le moment. Toutefois, cette particularité éditoriale est peut-être liée au fait qu’il est très différent sur la forme des deux premiers opus. « Nátt » veut dire « nuit » en islandais. Si j’avais pris la peine de lire le quatrième de couverture, cela m’aurait permis de comprendre. On retrouve Ari Thór et Kristin, mais il n’est pas question une seconde de leur fils. Le troisième opus semble donc plus la suite du premier que du second.
Le quatrième de couverture précise aussi que ce volume a été écrit à l’occasion de l’irruption du volcan Eyjafjallajökull (non, ce n’est pas le code de ma Freebox) dont on a beaucoup parlé en 2010. Le principal personnage du roman serait donc le volcan lui-même et ses effets révélant les faces les plus sombres des différents personnages. C’est ce qu’ils disent dans le quatrième de couverture, mais la présence volcanique ne m’a pas sauté aux yeux. En tout cas, pour la noirceur et la galerie de portraits, c’est réussi. Ragnar Jónasson a peut-être une autre vocation que de devenir l’Agatha Christie Islandais. C’est tout ce que je lui souhaite.
Édouard
Éditions de la Martinière
2018

Dans L’ombre

Au début de la Seconde Guerre mondiale, à Reykjavik, un cadavre est retrouvé dans un appartement avec une croix gammée sculptée sur le front.
Cet ouvrage est la première partie d’une trilogie. La seconde partie est sortie fin 2017. Bon, je l’avais ratée, mais je pense qu’il doit être possible de lire le n°2 après le n°1. D’ailleurs, en lisant le quatrième de couverture de « la femme de l’ombre », je me suis demandé s’il y avait un réel fil conducteur entre les volets en dehors de la Deuxième Guerre mondiale.
Dans la collection « Points », une publicité est faite pour les autres romans d’Indridason « fan d’histoire et de polar ? Retrouvez aussi en poche ». Heuuu… je ne sais pas si la vocation première de l’auteur est initialement le polar historique. La Deuxième Guerre mondiale s’est en effet imposée très progressivement dans les intrigues de son personnage favori « Erlendur », à côté de la tempête de neige au milieu de laquelle, enfant, l’enquêteur avait perdu son frère. C’est bien de parler du deuxième conflit mondial vu de l’Islande, de comprendre l’hostilité réciproque des Islandais et des « occupants » (Anglais et Américains), de voir ses jeunes islandaises qui voyaient en se donnant aux soldats, une chance d’échapper à leur condition sociale et à l’austérité de leur île. Il y avait une expression pour ça, on disait que celles qui avaient réussi à se trouver un petit ami anglais ou américain étaient « dans la situation ». Le phénomène devait être assez important pour qu’on y consacre une expression particulière. Ne connaissant rien à l’Islande, je salue l’initiative de vulgarisation historique engagée par Arnaldur Indridason, mais j’aimerais bien qu’il nous parle aussi d’autres périodes de l’histoire.
Cela dit, c’est toujours aussi agréable à lire Indridason est doué pour aller en profondeur dans la psychologie des personnages et en particulier dans celle des femmes. « Bettý », lu il y a quelques années, était un très beau portrait de femme fatale. Là, c’est Vera, pas vraiment femme fatale qui est pour moi mi-ange, mi-démon. Véra semble essentiellement démoniaque, plutôt une manipulatrice, une charmeuse, une ensorceleuse, bref, une sorcière. Une femme qui n’utilise les hommes que pour parvenir à ses fins en leur accordant des faveurs sexuelles. Vera m’a fait penser au personnage campé par Bernadette Lafont dans « une belle fille comme moi » de Truffaut. Ça m’a intrigué ce personnage, à l’heure du Me Too où la femme est présentée comme une éternelle victime des prédateurs masculins. Les Parisiens auront certainement remarqué ses affiches de prévention contre le harcèlement sexuel où l’homme est représenté sous la forme d’un ours, d’un requin, d’un loup. Bon, je comprends bien qu’il faut faire de la prévention contre le harcèlement sexuel, mais que c’est tout de même un peu stigmatisant. C’est vrai, le sexe de l’ours, du requin et du loup ne sont pas clairement identifiés et que ça peut être aussi des femmes. Je reconnais aussi qu’avec un poney, un lapin et une biche, cela aurait été plus difficile de faire passer le message.
Quoi qu’il en soit, je me procurerai les autres volets de la trilogie, mais après, Arnaldur, j’aimerais bien que tu nous parles d’autre chose que de la Seconde Guerre mondiale.

Édouard

Arnaldur Indridason
2018
Points

Le lagon noir

1979, le corps d’un homme est retrouvé dans un champ de lave. Le policier Marion Briem s’oriente rapidement vers une base militaire américaine située à proximité, aidé dans ses démarches par Caroline, une jeune militaire noire américaine. Parallèlement, Erlendur enquête sur la disparition non élucidée d’une jeune femme dans les années 50.

Cela fait un certain nombre d’années que je m’intéresse à Erlendur, mais je n’avais jamais eu vraiment envie de faire de critique. C’était du « Easy reading », du « fast book ». Il n’y a aucune réserve concernant Indridason dans ce constat, c’est incontestablement un bon écrivain qui a su le montrer en particulier avec « Betty ». Ce que je veux dire, c’est qu’un roman policier, ça reste un plaisir simple, comme un feuilleton, on s’enfonce dans notre fauteuil, on se retrouve avec un univers familier, des personnages avec leurs petites histoires et leurs petites manies. On est bien, le meurtrier est là pour ébranler cet univers bien codifié, mais heureusement, l’enquêteur va remettre de l’ordre dans tout ça. On pourra s’endormir tranquille.

Il y a eu un budget publicitaire impressionnant pour « le lagon noir » : des affiches dans le métro et de la pub au cinéma, c’était la première fois que je voyais ça. Je me suis demandé si l’investissement était bien justifié avant d’acheter le roman. C’était justifié.

Erlendur est obsédé par un douloureux souvenir d’enfance : la perte dans une tempête de neige, de son frère dont on ne retrouvera pas le corps. Ce fil qui liait toutes les enquêtes du policier semblait avoir trouvé une issue avec « étranges rivages ». Depuis,  Indridason revient aux débuts d’Erlendur, dans les années 70.

L’autre intérêt des enquêtes d’Erlendur, c’est l’Islande, ce pays dont on ne parle que lorsque ses volcans viennent perturber le trafic aérien. En dehors de quelques passionnés de mythologie scandinave qui évoqueront avec emphase les sagas de Snorri Sturluson, personne en France ne pourra rien vous dire sur l’Islande (heureusement qu’il y a Bjork tout de même).

Or, vous le saviez peut être, en tout cas pas moi, l’Islande, base avancée des Américains pendant la guerre froide, y a joué un rôle stratégique capital. Indridason nous plonge dans cette cohabitation entre le peuple islandais et une Amérique impérialiste à peine sortie de la ségrégation et souvent plus que dédaigneuse pour ce petit peuple pauvre, rustique, dont le développement était encore en devenir et peut être un peu complexé aussi. Malheureusement, le racisme est bien plus qu’une affaire de couleur de peau. Ce sentiment insidieux et indéfinissable scelle ici l’amitié entre Caroline et Marion.

Quant à Erlendur, on commence a se demander si son obsession n’est pas aussi liée à un événement qui viendrait s’ajouter à la disparition de son frère (Arnaldur, si tu tombes sur cette critique, cette phrase est pour toi).

Edouard

Le lagon noir

Arnaldur Indridason

Metaillié noir

2016

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