L’île nue

Un homme et une femme vivent avec leurs deux fils sur une île japonaise désertique privée d’eau douce qu’ils doivent aller puiser dans l’île voisine. Ils passent donc leur vie à faire des trajets en barque et à porter des seaux d’eau.
Ce mythe de Sisyphe nippon réalisé en 1960 par Kaneto Shindo est avant tout une prouesse cinématographique.
Il y a d’abord le bruit : le vent, la pluie, une chèvre, un canard, le bruit de la gaffe de la barque quand elle s’enfonce dans l’eau, le bruit de la grande louche avec laquelle ils prennent l’eau dans les seaux…des bruits humains aussi : des bruits de pas, des cris d’enfants qui s’ébattent, la clameur de vieilles femmes, des rires, des sanglots, des gémissements, mais pas un mot articulé.
Après, il y a l’image : l’image de cette terre assoiffée. Le couple qui y cultive un petit lopin de terre qu’ils abreuvent inlassablement en été.
L’homme ne semble pas trop souffrir du mouvement perpétuel dans lequel il est engagé. Ce n’est pas un homme résigné, mais un homme qui ne se pose pas de questions, qui fait ce qu’il a à faire. C’est un homme qui peut éprouver des sentiments, mais qu’il ne témoigne qu’à ses enfants. Pas une seule fois il n’aura un geste affectueux pour sa femme. Une fois il la frappe parce qu’elle fait tomber un seau. On sent que ce n’est pas pour autant un bourreau, il fait ça mécaniquement. Quand, piquant une crise de nerfs, elle arrachera les jeunes plants qu’elle devait arroser, il la regardera en attendant que ça passe.
Elle, elle en bave, on le sent tout de suite. Tout d’abord parce que même si elle est moins forte que lui, tous les travaux agricoles sont partagés d’égal à égal. On sent aussi que l’épreuve physique a son parallèle psychologique. Ce qui frappe, ce n’est pas tant son visage que ses chevilles qui hésitent en portant l’eau. Cette hésitation dans la démarche va s’intensifier imperceptiblement tout au long du film. Rien qu’en regardant ses pieds, on se dit…c’est certain, un jour, elle va craquer. Quand ? On ne sait pas. Un jour, certainement. Peut être qu’elle partira, pour retrouver les plaisirs de la ville toute proche où ils vendent leur récolte, pour revivre ses instants de bonheur qu’elle a pu avoir dans un restaurant ou devant la vitrine d’un magasin.
Enfin, il y a la musique lancinante du compositeur Hikaru Hayashi qui s’intensifie progressivement tout au long du film pour aboutir au paroxysme final. Cette musique en harmonie parfaite avec les bruits et l’image est le seul vrai langage articulé du film. Dans les dernières secondes qui précèdent le générique final, elle pose une question bouleversante : et si tout ça ne s’arrêtait jamais ?
Edouard

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