Que d’eau, que d’eau !
On ne présente plus ce mythe qui n’est certes pas antédiluvien, mais qui a tout de même du kilométrage : une histoire piquée par les Hébreux aux Mésopotamiens qui, eux-mêmes la tenaient de…on parle de l’ouverture du Bosphore, de la fin de l’âge de glace, pas facile à dater avec précision, mais très vieux en tout cas.
Bien sûr, l’adaptation biblique est libre, mais c’est le propre des mythes d’être triturés et digérés par les sociétés qui font le choix de les adopter. Ceci dit, il y a une certaine fidélité au récit originel, on ne massacre pas comme ça un récit véhiculé depuis 5000 ans. Le réalisateur met ici l’accent sur quelques détails bibliques un peu oubliés. Ainsi, Noé n’était effectivement pas un descendant de Caïn, mais de Seth, un rejeton d’Adam et Ève dont on ne parle pas souvent, moins impulsif que son aîné. Ca semble nous sauter aux yeux que les descendants de Seth sont plus zen que ceux de Caïn et Russel Crowe, qui incarne le patriarche, a bien un faux air de Charles Ingalls dans la première partie. Heureusement, à tout bien regarder, et c’est ce qui donne un peu d’épaisseur au film, il apparaît plus nuancé, indécis, souvent les yeux levés vers le ciel pour y recueillir un signe du tout puissant ou ce qu’il interprète comme tel. Violent, impitoyable, frisant la folie, obsédé par « son devoir », il finit par boire pour noyer les doutes qui l’assaillent et on le retrouve nu, ivre mort sur le rivage : une anecdote biblique authentique que le réalisateur reporte fidèlement, mais qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe dans son scénario.
Autre détail biblique: les Nephilim. Nulle part, il n’est écrit qu’ils aient construit l’arche, mais pourquoi pas. La genèse est plus que laconique sur ces « géants » qui auraient existé avant le déluge. Ces Anges déchus pétrifiés empruntent ici beaucoup à l’univers Tolkieno-Jacksonien. Physiquement, ils sont un mélange entre les Ents, les arbres géants des « deux tours » et les montagnes vivantes du premier volet du hobbit : « un voyage inattendu ». Psychologiquement, les Nephilim font penser à l’armée des spectres du « retour du roi ».
Donc, une relative fidélité au récit biblique des effets spéciaux qui rendent en particulier possible l’arrivée en masse des espèces animales dans l’arche, des combats au milieu de paysages désolés et grandioses qui font penser à Mad Max : la magie opère et la présence d’Emma Watson, l’Hermione d’Harry Potter, y est peut être pour quelque chose.
Bon d’accord, c’est une belle histoire, mais est-ce suffisant pour expliquer sa longévité? Ce qui assure la pérennité d’un mythe, c’est aussi sa capacité à s’adapter aux attentes des contemporains, à les toucher à travers le temps et l’espace. Pour parler du monde d’après le déluge, Noé utilise à plusieurs reprises l’expression « Nouveau Monde ». On pense bien entendu à l’Amérique d’après-guerre, s’érigeant au-dessus des cendres de l’Europe. Mais les hommes du « Nouveau Monde » restent cependant des hommes, capables du meilleur comme du pire. Noé, c’est aussi l’histoire d’un petit groupe d’élus qui, après un long cheminement, finit par accepter sa condition humaine. Une approche intéressante du récit biblique.
Edouard
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Je n’ai pas vu le film, aussi mon mon commentaire ne portera que sur l’illustration de chagall, très belle et très judicieusement choisie ( voilà c est fait pour ce point là), et sur un autre aspect du mythe qui ne semble pas abordé dans le film. Ce point, c est la place de l’homme au sein de la création. Rappelez vous votre enfance, les livres ou les playmobil: Noé n était pas votre préoccupation première, l’ arche, c était les animaux, en rang deux par deux pour la perpétuation des espèces. Salutaire recentrage d une bible très anthropocentriste : l homme est ici traité sur un pied d égalité avec ses homologues animaux, pas plus, pas moins. Avec toutefois un lien d ascendance affirmé sans ambiguïté: le destin animal n a pas de marge de manœuvre propre, il découle directement de l action humaine, subit le cataclysme causé par les errements de l humanité puis se laisse guider par l homme à la recherche d’un nouveau monde a construire. Ascendance de l homme dans le monde matériel mais égalité de la création devant Dieu.
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D’une manière générale, le livre de la genèse est très anthropocentriste. L’homme créé en dernier par Dieu est l’aboutissement ultime de son oeuvre et il est là pour dominer la nature. Une vision très néolithique de la condition humaine. Je pense que Lucy qui ne pouvait pas aller pisser sans risquer de se faire bouffer par un fauve avait peu le sentiment de dominer la nature. Cet anthropcentrisme est encore très présent aujourd’hui, en particulier dans tous les discours autour du développement durable. Les cultures afro/asiatiques voient ce rapport autrement.
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