Adèle Blanc-Sec

En 1911, la journaliste parisienne Adèle Blanc-Sec décide d’aller en Égypte pour voler une momie susceptible de rendre la vie à sa sœur plongée dans un profond coma à la suite d’un stupide accident de tennis.

Inconditionnel d’Adèle, de la série et du dessinateur Jacques Tardi, je ne pouvais pas manquer le dernier Besson. En y allant, j’étais tout de même un peu méfiant, me demandant si le réalisateur de Léon et de Nikita serait à même de retranscrire à l’écran l’univers du très pacifique Tardi.
Et bien, mes craintes étaient sans fondements, « Les aventures d’Adèle Blanc-Sec » est une réussite totale.

Au début, il est vrai, on n’est pas tout à fait dans la veine de la BD et on se demande si Besson n’a pas transformé notre Adèle en une sorte de Lara Croft à la française. Mais lorsque Adèle revient à Paris, tout est là, du savant inconséquent au méchant plus qu’affreux (Mathieu Amalric) en passant par le monstre préhistorique, l’amoureux transi, le policier stupide, le chasseur cinglé (incarné par Jean-Paul Rouve…génial) et les momies. Tout ça avec les tronches à coucher dehors des protagonistes masculins (les mêmes que dans la BD) et dans un scénario foutraque comparable à ceux des albums.

En effet, Besson n’adapte pas un album particulier, mais picore à droite, à gauche : ici, le ptérodactyle, là les momies, là encore la sœur jumelle… Mais il fait bien et à cet effet, on peut dire que le film est à l’héroïne de Tardi ce que « mission Cléopâtre » d’Alain Chabat à Asterix : la fidélité à un univers plus qu’aux albums. Les fans y trouveront donc leur compte, mais aussi ceux qui ne connaissaient pas Adèle et qui entreront peut-être plus facilement dans l’univers synthétisé et actualisé du film que dans la BD qui manque un peu d’homogénéité (9 albums en 31 ans, de 1976 à 2007).

Un petit mot sur Adèle pour finir. Louise Bourgoin est très bien en femme libre à l’aplomb démesuré, en décalage avec son époque, mignonne, mais pas trop sexy, qui fume dans son bain et qui cherche avant tout à ce qu’on lui foute la paix. Louise Bourgoin est peut-être un peu plus dynamique qu’Adèle, mais ce n’est pas plus mal comme ça. L’Adèle du film s’affranchira-t-elle de l’Adèle de la BD ? On verra ce qu’en fera Besson qui semble nous indiquer à la fin du film la possibilité d’une suite.
Edouard

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D’un château l’autre

Si j’ai voulu lire « d’un château l’autre », c’est pour essayer de comprendre comment l’anarchiste antimilitariste du « voyage au bout de la nuit » avait pu finir la Deuxième Guerre mondiale, entouré d’officiers nazis et de la fine fleur de la collaboration française.
J’en serai pour mes frais. Céline ne donne pas vraiment de réponse à la question que lui pose Laval dans le dernier quart du livre : « Mais vous là, docteur, pourquoi êtes vous là ?…Pourquoi à Siegmaringen ?… On me dit que vous vous plaignez beaucoup… »

Ça…pour se plaindre, on peut dire qu’il sait y faire. On peut même dire que « d’un château l’autre » n’est qu’une interminable plainte : plainte insupportable du fond de son cabinet désert de Meudon et de sa prison de Copenhague, suintante de racisme et d’antisémitisme ; plainte inaudible et quasi surnaturelle depuis sa chambre à Sigmaringen ; plainte apaisée enfin, teintée d’humour et d’autodérision lorsque, calmé, il se retrouve chez lui avec sa femme et ses animaux.

Pour ceux qui ne connaissent pas Céline, la lecture de « d’un château l’autre » risque de devenir très rapidement indigeste. Mieux vaut pour eux aborder l’auteur avec « casse-pipe » et « voyage au bout de la nuit » qui sont plus accessibles.
En fait, le plaisir issu de la lecture de ce livre ne vient qu’une fois celui-ci terminé. Ce plaisir, c’est une « impression » extrêmement profonde et durable.
Les phrases avec un verbe, un sujet, un complément se comptent sur les doigts de la main et toutes sont liées entre elles par les trois petits points qui sont la marque de fabrique de l’écrivain.
Céline ne s’intéresse pas au récit en lui-même, mais seulement à l’ « impression » que son lecteur peut en retirer.

C’est sans doute cet impressionnisme littéraire qui fait dire à beaucoup que Céline est, après Proust, l’auteur français le plus original et le plus génial du XXe siècle.
Edouard
D’un château l’autre
Céline
Folio, éd. 2003
1re éd. Gallimard 1957
440p. , 6.27€
Le 01/03/12

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Ce qui était perdu

Au début des années 80, Kate est une petite fille d’une dizaine d’années, gentille, discrète et qui marche plutôt bien en classe. Au lieu de passer son temps libre avec les autres enfants de son âge, elle préfère jouer les détectives avec Mickey, son singe en peluche et Adrian, un ado un peu paumé.

Seule ou avec Adrian, elle passe de longues heures dans les rues de Birmingham et dans Green Oaks, un grand centre commercial qui vient de s’ouvrir dans la cité anglaise.

Un beau jour, Kate disparaît de la circulation alors même qu’elle errait dans Green Oaks. Vingt ans plus tard, un concours de circonstances fait rejaillir des souvenirs enfouis dans la mémoire d’un certain nombre de personnes qui, à l’époque, avaient été témoins du fait divers.

La première partie du livre fait un peu penser à « La vie devant soi » d’Émile Ajar. On est émerveillé et un peu inquiet par la maturité et l’imagination de Kate qui ne semble pas tout à fait réelle.

La seconde partie est une réflexion un peu désespérée sur la solitude des grandes villes. Catherine O’Flynn décortique le cœur de personnages qui s’évitent, se croisent ou tentent de se rapprocher sans vraiment se toucher.

De l’ensemble, il ressort une légende urbaine belle et mélancolique et une critique désabusée du monde d’aujourd’hui.

Dans la tradition de Dickens auquel elle fait d’ailleurs allusion, la romancière nous dépeint aussi l’Angleterre d’en bas avec ses espoirs, ses craintes, ses peurs et toute son irrationalité.

Bref, un très beau livre.

Charles

Ce qui était perdu
Catherine O’Flynn
Jacqueline Chambon, 2009

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Brunehaut

Pour ceux et celles qui, comme moi, ont été traumatisés dans leur enfance par l’image de cette reine mérovingienne traînée sur le sol attachée à la queue d’un cheval lancé au galop, ce livre est l’antidote indispensable pour une bonne résilience.

Pour les autres, il permettra une révision des connaissances sur une période charnière de notre histoire où l’on voit l’Empire byzantin abandonner ses prétentions sur l’Occident pour laisser la place au moyen âge.

À la fin du VIe siècle, les descendants de Clovis se partagent un royaume correspondant en gros à l’hexagone moins la Bretagne, l’ex Allemagne de l’Ouest, le Benelux et la Suisse : le « regnum francorum ».
L’un d’eux, Sigebert, épouse Brunehaut, une princesse wisigothe qui réussira à régner sur l’ensemble du royaume pour être finalement destituée et exécutée par son neveu Clotaire en 613.

Il faut bien l’avouer, il y a des longueurs et la période de la vie de Brunehaut sur laquelle l’auteur est le mieux documenté, en particulier grâce à Grégoire de Tours, n’est pas forcément la plus intéressante.
Les querelles incessantes entre Sigebert et ses frères ainsi que les tentatives désespérées de Frédégonde (la célèbre belle sœur de Brunehaut) pour tirer son épingle du jeu finissent par lasser.

Le meilleur du livre, c’est pour moi le dernier chapitre consacré à la légende de Brunehaut dans lequel Dumézil s’intéresse à l’évolution de la perception de la reine des Francs, au cours des siècles qui ont suivi sont supplice. Cette perception s’est rapidement divisée en deux courants, l’un historique et l’autre mythique.
Ils finiront par ne plus rien avoir l’un avec l’autre puisqu’au XIXe siècle, on retrouve Brunehaut germanisée en Brunehilde et devenue reine d’Islande dans la Tétralogie de Wagner.

La reine Brunehaut
Bruno Dumézil
Fayard, 2008
425p. ,29€

Edouard

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On a tous en nous quelque chose de Neandertal

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En ce début de XXIe siècle, l’homme blanc s’était enfin trouvé une place dans l’histoire de l’humanité. En réaction aux théories racistes qui voulaient faire de lui le représentant d’une race supérieure et qui en avaient fait la honte de l’humanité, il avait fini par accepter qu’il n’était pas différent des Africains et des Asiatiques. Du suédois au pygmée en passant par le canaque et l’Amazonien, nous étions tous les mêmes. Il y avait quelques différences physiques, c’est vrai, mais si peu…

S’il était un meurtrier, il en était de même pour ses cousins des autres continents. La génétique était là pour le prouver, l’homo sapiens était le seul survivant de la race homo.
Comment expliquer cette situation ? Pour la plupart des disparitions, il n’y était pour rien puisqu’elles avaient eu lieu bien longtemps avant qu’il hante les continents. Mais pour les autres, les contemporains de sapiens, comment expliquer ? Sans répondre, on pensait à une extermination perpétrée par nos ancêtres. En Europe, le débat tournait autour de Neandertal découvert en 1856. Ce cousin plus grand, plus fort et doté d’une volumineuse boîte crânienne avait disparu mystérieusement. Nous avions peut être échangé avec ce voisin, peut être même plus, mais en tout cas, selon toute vraisemblance, il n’y avait pas eu d’union fertile et les deux espèces ne s’étaient pas métissées.
Sapiens aurait-il exterminé Neandertal ?

Plusieurs relents bibliques dans cette hypothèse. Caïn et Abel, tout d’abord. Les Sapiens, enfants de Caïn, ne pouvaient être que des graines de meurtriers. David et Goliath ensuite. Si Sapiens avait survécu, ce n’était peut être pas seulement parce qu’il était un tueur, mais aussi parce qu’il était plus malin et qu’il avait su mieux s’adapter que son lourdaud de cousin.

Et puis, patatras, l’info est tombée dans Le Monde du 8 mai 2010, on a enfin la preuve que Neandertal et Sapiens se sont mélangés. Que penser ? Étant donné que les néandertaliens sont une espèce made in Europe, peut-on parler d’une race européenne ? Ca fait froid dans le dos, d’autant plus que cela fait 70 ans que l’homme blanc tente de penser le contraire. Et s’il y avait des races génétiquement différentes ? Et si les Européens appartenaient réellement à un même ensemble métissé qui les différenciait des autres humains ?

Dans les années 50, une telle théorie n’aurait pu émaner que de nostalgiques des chemises brunes, des claquements de bottes et des croix gammées. Mais aujourd’hui, que penser ? Le « tous pareils » difficilement tenable devra-t-il laisser la place au « tous différents » même si « les gens qui ne sont pas comme nous, ça nous dérange ».

Edouard

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