Les appelés

Enfant, j’étais intrigué par ce mot qui revenait toujours dans les propos d’un religieux expliquant la naissance de sa vocation souvent à l’adolescence: je me suis senti « appelé ». A l’époque, j’aimais bien ce mot un peu magique qui fleurait bon le surnaturel et j’imaginais une voix céleste qui venait annoncer sa vocation au futur religieux.

Plus tard, sans remettre en question l’appelle, j’ai réalisé qu’il devait aussi y avoir d’autres raisons plus terre à terre justifiant l’engagement religieux.

Le projet de vie idéal recommandé par l’Église catholique est le mariage hétérosexuel, la procréation et l’éducation des enfants dans un cadre religieux afin qu’ils puissent reproduire le schéma éducatif parental.

Qu’advenait-il de ceux qui, pour diverses raisons, parfois liées à des orientations sexuelles qu’ils ne considéraient pas comme « normales », ne se sentaient pas d’épouser ce schéma; attendu que la conception de ce qui est « normal » et de ce qui ne l’est pas dépend d’une prise de conscience de la société à un moment donné. Il y a 100 ans, les homosexuels étaient rejetés et la pédophilie n’était pas criminalisée.

La première solution était la fuite. Cela supposait une mise à l’écart de la communauté et demandait un certain courage. Évidemment, cela dépendait aussi du degré de conditionnement familial du jeune lui permettant de conceptualiser cette issue comme possible.

La deuxième possibilité était de rester « célibataire » dans la communauté. Cette position peu reluisante, mais tolérée faisait de l’individu un adulte inabouti qui se devait de garder un profil bas tout en nourrissant l’espoir de pouvoir un jour se marier et avoir des enfants.

La troisième possibilité était l’engagement dans les ordres. Cette issue était la plus évidente et la seule possible pour certains. Cet engagement n’aboutissait pas seulement à une acceptation de la communauté, mais à un statut social particulièrement valorisé au sein de la communauté. Sur le lot, il y avait certainement quelques hypocrites, voyant le moyen de vivre leur « différence » tout en jouissant d’une reconnaissance sociale. D’autres devaient cependant penser que leurs « pulsions déviantes » étaient une réelle manifestation du mal qu’il convenait de combattre. Dans les groupes de « guérison » d’homosexuels, on voit souvent des dirigeants anciennement homosexuels, persuadés d’avoir été guéris et convaincus de la nécessité de guérir les autres.

Bien entendu, je pense qu’une très grande majorité des religieux ne sont pas des criminels et que la plupart ont effectivement œuvré pour le bien de l’humanité. Je pense seulement qu’aucune considération sexuelle ne doit entrer en ligne de compte dans l’engagement religieux et qu’il faut donc laisser libres les religieux d’organiser leurs vies privées. Je ne suis ni pour ni contre le mariage des prêtres, je suis juste favorable à ce qu’ils conduisent leurs vies privées comme ils l’entendent et dans le respect de la loi.

Édouard

Le Lambeau

Le 7 janvier 2015, Philippe Lançon était présent dans les locaux de Charlie Hebdo lors de l’attaque terroriste. Il survivra à ses blessures… mais à quel prix ?

J’ai acheté ce livre peu de temps avant le confinement, à la FNAC des Halles, après un déjeuner du côté de Beaubourg, un acte anodin qui semble presque un rêve après ces semaines d’hibernation forcée.

La lecture n’a pas été facile. L’auteur évoque beaucoup « la montagne magique » de Thomas Mann, j’ai eu autant de mal à lire les deux.

Fin mars, cela m’a semblé très lointain. Abreuvé alors par l’hécatombe des victimes du Coronavirus, les déboires de l’auteur me sont apparus comme un épiphénomène. Si je n’ai pas abandonné la lecture, c’est parce que mon envie de lire s’est peu à peu épuisée. Moi qui ai toujours eu un livre en cours depuis l’âge de six ans, je sombrais dans le désintérêt total pour la lecture. Alors, celui-là plutôt qu’un autre…

Je me contentais parfois de deux pages par jour, sans doute plus parfois puisque j’ai tout de même réussi à le terminer. Les journées de Philippe Lançon semblaient toutes identiques, comme celles de Hans Castorp, le héros de Mann et  comme les miennes qui le sont rapidement devenu sous l’effet du confinement.

Cette assignation à résidence a forcément favorisé mon sentiment de proximité avec l’auteur. Il est vrai que le Coronavirus n’a rien à voir avec une attaque terroriste, mais Philippe Lançon et moi étions tous deux des victimes de ces phénomènes. Certes, le coronavirus ne m’avait pas arraché la moitié du visage ni cloué sur un lit d’hôpital, mais m’avait contraint à l’inactivité, comme ces personnages de « la montagne », incapables de savoir s’ils sont malades ou bien portant.

Alors oui, Philippe Lançon restera dans ma mémoire comme un compagnon de confinement. Comme lui, j’ai fini par m’habituer à la situation et comme lui, j’ai été un peu effrayé lorsqu’il s’est agi d’envisager l’ « après ».

Toujours comme dans la « montagne magique », les choses ne se sont accélérées que dans les 100 dernières pages, lorsque la tension du roman renaît avec la perspective du retour à la vie. Philippe a recommencé à manger un yaourt lorsque j’ai enfin eu l’autorisation de repasser au boulot. Ça crée des liens, forcément.

 Ce qui nous attend  dans le monde d’après n’est pas la Première Guerre mondiale même si la confrontation sino-américaine pourrait évoquer une nouvelle guerre froide. Comment sera le monde d’après ? Nous nous posons la question comme s’il revenait aux dieux de l’Olympe d’en construire un nouveau. Ce qui est certain c’est que nous, nous ne serons plus les mêmes.

Édouard le 5 mai 2020

Le Lambeau

Philippe Lançon

2019

Folio

Le 7 janvier 2015, les frères K., armés de Kalachnikov font irruption dans les bureaux du journal satirique Charlie Hebdo, et ils assassinent une dizaine de personnes.
Philippe Lançon fait partie des très rares rescapés.
Il a la mâchoire arrachée. Imaginez une vie sans mâchoire: pas de nourriture, pas de boisson, pas de parole possible, la respiration compromise, le bain de salive permanent.

J’ai hésité pendant plusieurs mois avant de me lancer dans cette lecture.
Bien m’en a pris: pour ma dernière lecture de l’an 2018, j’ai appris ce que signifie la rage de vivre.

Depuis sa prise en charge à l’hôpital de La Salpêtrière, il a subi une trentaine d’interventions chirurgicales, couronnées par une greffe du péroné (en lieu et place de sa mâchoire) et une rééducation de six mois.

Vous me direz que voici une lecture peu réjouissante.
Nous vivons malheureusement dans une société hyperviolente.
Le livre se termine d’ailleurs sur une note encore plus pessimiste: l’annonce du massacre du Bataclan alors que l’auteur se trouve à New York.

Philippe Lançon a du style, il fait montre d’une très (trop?) grande culture.
Il ne cache rien de ses hésitations, de ses découragements, de ses petites joies.
Un tout grand coup de chapeau à sa chirurgienne Chloé qui arrive à le maintenir à flot contre vent et marée.

Un livre majeur à mon sens, qui fera date dans l’histoire de la littérature.

Prix Fémina 2018.

Amitiés gardons confiance,

Guy le 6 janvier 2019

Philippe Lançon – nrf Gallimard – 510 p.

Du gilet à l’étoile

La symbolique du « gilet jaune » était incontestablement une trouvaille. Un symbole qui renvoyait à cet outil de travail des employés affectés à des tâches souvent peu reluisantes et peu rémunératrices. Le symbole était fort et a permis d’unir toutes les victimes de la mondialisation et de l’ultralibéralisme rampant. La longévité du mouvement, qui a maintenant trois mois, doit certainement beaucoup à cette symbolique. Le gilet jaune a ainsi permis de mettre en garde Emmanuel Macron contre des dérives possibles de ses élans réformistes, car, c’est bien connu, les Français adorent autant la révolution que la préservation de leurs acquis.
Cependant, au bout de trois mois, le vêtement tend à s’effacer derrière la couleur. À tout bien regarder, la symbolique de la couleur jaune n’est pas bien reluisante en occident. Le jaune, c’est la couleur du soufre et c’était au moyen âge celle du diable. Il est vrai que ce triste personnage est un peu passé de mode dans les sociétés sécularisées du XXIe siècle. Il n’en reste pas moins que la couleur reste peu valorisée et passe loin derrière le rouge, le bleu ou le vert.
Le jaune est aussi la couleur de l’or, celle recherchée par les conquistadors, celle qui rend fou, celle qui justifie toutes les atrocités. La place de l’argent est centrale dans les revendications des gilets jaunes. Quid de l’idéal de pauvreté de saint François au moyen âge ? Quid de la proposition d’une alternative à la société de consommation dont l’essoufflement est évident ? Non, les gilets jaunes veulent pouvoir consommer toujours plus, errent comme des zombies à la recherche d’une poignée d’euros, détruisant au passage quelques distributeurs automatiques.
La soif de l’or aboutit fatalement à la haine de ceux qui en disposent ou sont censés en disposer. Depuis le moyen âge, le juif occupe cette place dans l’imaginaire populaire occidental. Plus personne ne s’intéresse à la notion de peuple déicide aujourd’hui. L’antisémitisme a pris d’autres visages, mais est toujours bien présent. Les gilets jaunes ne semblent pas avoir encore réalisé que la matrice dont ils sont issus, Facebook, est l’œuvre d’un juif, Marc Zuckerberg, successeur de rabbi Loew qui, selon la légende, créa le Golem au XVIe siècle, géant destructeur et incontrôlable.
Au moyen âge, le jaune était aussi la couleur qu’on faisait porter aux juifs. C’est celle que les nazis leur firent porter dans les étoiles qui les suivirent dans les camps de la mort.
L’antisémitisme chrétien s’efface aujourd’hui tandis que l’antisémitisme économique se porte mieux que jamais. Il se double de l’antisémitisme sioniste. Pour ma part, je me refuse à associer la critique de la politique d’Israël a de l’antisémitisme. Israël doit pouvoir être critiqué, comme tout État, sans haine et sans amalgames religieux.
Le silence des « leaders » des gilets jaunes est assourdissant. L’antisémitisme exacerbé est une suite logique du mouvement, mais nous ne sommes plus dans les années 30 et nous savons bien comment les nazis ont conquis le cœur du peuple. Initialement légitime, ce mouvement est devenu intolérable.

Édouard

Le Mépris d’un parisien

Les mots « mépris » et « humiliation » reviennent souvent dans le discours des gilets jaunes.
J’ai eu il y a un ou deux mois une discussion avec un collègue au sujet de Michel Onfray qui, paraît-il, je ne suis pas un grand fan, se fait le chantre de la protection de la province contre l’oppression parisienne. J’avais été surpris que cette opposition puisse encore exister aujourd’hui. Pour moi l’opposition Paris/province, c’était surtout Balzac, Flaubert, Maupassant et Proust, le charme d’une France révolue.
En ce qui me concerne, je donne à l’ouverture au monde et aux autres une importance essentielle pour porter un jugement sur un individu et je ne me fonde en aucune manière sur son lieu d’habitation ni d’ailleurs sur son sexe, ses origines, ses convictions politiques ou religieuses. A l’heure d’internet la culture est il me semble ouverte à tous et si des différences subsistent aujourd’hui entre les zones urbaines et rurales, le cloisonnement n’a plus rien à voir avec celui qui pouvait exister au XIXème siècle
À titre personnel, j’aime beaucoup la campagne et je m’y rends aussi souvent que possible. Je sais très bien donc comment vivent les gens qui habitent dans des zones isolées et ce que signifie la dépendance à la voiture. Aussi, dès le début du conflit des gilets jaunes, j’ai bien compris ce qu’il y avait de profondément inégalitaire dans la hausse de la taxation des carburants et qu’il revenait au gouvernement de rectifier le tir.
Au cours de ces dernières semaines, j’ai pu échanger sur FB avec un certain nombre de gilets jaunes en province qui réfléchissaient au sens à donner au mouvement et à la nouvelle forme de société qu’il pourrait porter. J’ai un profond respect pour ces personnes, convaincu que la société de consommation qui semble ne plus pouvoir s’arrêter devra un jour laisser la place à autre chose.
Le monde d’aujourd’hui n’est pas le même qu’en 1958 et si je ne suis pas particulièrement favorable à une VIe république, il est clair que nos institutions doivent s’adapter à un XXIe siècle mondialisé dans lequel le citoyen devra composer avec ses multiples identités. Je réalise aussi que le rapport du citoyen à l’État change et qu’il faut laisser leurs chances à d’autres formes de démocraties en particulier participatives. Ces penseurs répartis partout sur le territoire sont indispensables à notre pays et préparent la France de demain.
Et puis, samedi dernier, pour des raisons qui ne m’ont pas semblé très claires, des gilets jaunes sont venu saccager ma ville, piller les commerces et taguer un monument dédié aux victimes de guerre. À ces gens, j’accorde mon plus profond mépris.
Edouard

Le sexe des prêtres

J’avais lu avec attention la lettre ouverte de Nancy Huston au pape François publiée en août 2018 dans le monde. J’ai une grande admiration pour l’écrivain et je ne saurais trop conseiller à ceux qui ne la connaissent pas, la lecture d’« instrument des ténèbres ». Il n’en reste pas moins que sa plaidoirie et l’association qu’elle faisait entre « mariage des prêtres » et « pédophilie » m’avaient laissé dubitatif.
En tant que catholique, je ne serai pas du tout opposé au mariage des prêtres et je prendrai plutôt ça comme une avancée réelle. Un certain nombre de prêtres, sans être pédophiles ont une vie sexuelle, sont en couple ou même mariés (civilement, bien entendu). Officialiser les choses pourrait pallier une certaine hypocrisie. Il n’en reste pas moins que de nombreux prêtres, conformément à leurs engagements, restent célibataires. Je pense que le choix de ne pas avoir de vie sexuelle est très mal accepté par notre société de consommation et que le combat contre le célibat s’inscrit plutôt dans une thématique « libération sexuelle ».
Quoi qu’il en soit, je ne pense pas qu’une telle réforme au sein de l’Église catholique permettrait de résoudre le problème de la pédophilie. Je pense par contre qu’elle suscitera peut-être plus de vocations chez des jeunes qui voient le célibat comme les premiers chrétiens non juifs voyaient la circoncision.
À mon sens, il faut voir le problème autrement et tenter de comprendre le phénomène de la pédophilie qui concerne tous les cercles dans lesquels des adultes sont amenés à côtoyer des jeunes sur lesquels ils exercent une autorité. On ne parle jamais dans les médias de tous ces profs envoyés discrètement dans les rectorats par l’éducation nationale, ni des familles dans lesquelles ces comportements ont parfois cours, ce qui prouve en passant que la vie conjugale n’est en rien un vaccin contre la pédophilie.
Donc, le mariage des prêtres, pourquoi pas, mais il permettrait certainement plus de flatter les ego des hérauts de la révolution sexuelle que de prévenir la pédophilie.
À mon sens, l’action salutaire que j’espère engagera François serait d’accentuer le système répressif, de mettre en place une tolérance zéro qui concernerait non seulement les auteurs d’actes criminels, mais aussi la hiérarchie qui les couvre, car c’est bien là qu’est le problème : bien souvent, tout le monde est au courant des agissements au sein de la hiérarchie ecclésiastique, mais l’omerta justifiée par la crainte que les agissements puissent rejaillir sur l’institution permet de faire taire les victimes et parfois même les auteurs (cf tu ne parleras point). Bien souvent, ces faits sont aussi couverts par les familles des victimes qui culpabiliseraient à l’idée de salir la religion.
Je pense que ces agissements existaient depuis longtemps dans l’Église, mais on n’avait pas la même approche de la pédophilie et l’institution était plus puissante. La criminalisation de la pédophilie est assez récente. Dans les années 70, on pouvait se prévaloir dans un livre de pratiques sexuelles avec des petits garçons de 5 ans sans que personne n’y voit une monstruosité. Je ne suis pas certain qu’il y ait aujourd’hui un accroissement des actes pédophiles au sein de l’Église, mais bien plutôt que la chappe de plomb qui a tenu pendant des siècles explose partout. La dénonciation publique de ces crimes est sans doute le premier et le plus puissant outil de lutte contre la pédophilie au sein de l’Église catholique.
Édouard

Les djihadistes sont-ils musulmans ?

Moi aussi j’y ai cru à la diaspora des soldats de l’État islamique. Alors que celui-ci est moribond et condamné à la disparition à plus ou moins brève échéance, les « soldats » continuent à agir avec des moyens rudimentaires il est vrai, mais d’une efficacité médiatique incontestable.
Ces meurtriers s’intéressent-ils réellement à l’islam ? Ont-ils lu le coran ? Savent-ils lire et interpréter les sourates ? Je doute que cela les intéresse vraiment et que pour beaucoup d’entre eux, être musulman se limite à hurler « Allahu akbar » avec un couteau dans la main.
En ce début d’année, lassé de ne pouvoir m’immiscer dans les discussions de mes collègues, n’ayant jamais vu un seul épisode de « Game of thrones », j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et je me suis enfilé les sept saisons. Comme beaucoup, je me suis laissé séduire. Ce que j’aime, c’est le dosage très fin que la série fait du surnaturel qui monte peu à peu en puissance, cet usage de la magie qui ne marche pas toujours. Par contre, j’ai été frappé par la représentation ultraviolente et grotesque du pouvoir : on destitue, on égorge, on décapite, on émascule de manière impulsive pour un oui ou pour un non. Je pense que cet absolutisme dans l’ultra violence a largement fait le succès de la série qui nous permet de libérer nos instincts sadiques.
Heureusement, la plupart des gens, une fois la série terminée, redeviennent des citoyens normaux. Il existe cependant aujourd’hui un réseau international permettant à ceux qui le veulent de donner libre cours à leur haine de la société, à leur goût pour l’ultra violence. Une organisation qui permet à chacun d’accéder à une reconnaissance, quels que soient l’origine sociale et le niveau d’étude, permettant à tout un chacun de devenir un Lannister ou un Targaryen : Daesh. J’avais beaucoup ironisé quand l’EI avait revendiqué la fusillade de Las Vegas, mais ce que je n’avais pas alors compris, c’est que l’acte violent, sans doute bien plus que le message islamiste, justifie la revendication.
Je ne suis pas en train de démontrer que le djihadisme n’a rien à voir avec l’islam. Je sais bien qu’il y a en France des imams qui endoctrinent les jeunes. Je sais aussi que le succès de Daesh en France est largement dû au fait que les populations fragilisées qui pourront fournir des djihadistes en herbe sont bien souvent d’origines musulmanes. Je comprends aussi l’Histoire et la rancœur vis-à-vis de l’occident qu’elle a pu faire naître dans le monde musulman.
Les zonards évoqués par Starmania et les punks de Mad Max des années 80 ont fini par disparaître. Toute époque connaît ses groupuscules violents. Daesh est plus la créature de la mondialisation et d’internet que du Coran et, de ce fait, il est bien plus impressionnant que des groupuscules isolés. Que pouvons-nous faire ? Je pense qu’il y a un travail sur eux-mêmes que doivent poursuivre les musulmans, un travail de lutte contre l’exclusion que doit poursuivre la société, mais qu’il restera toujours une part d’impuissance que seul le temps saura résoudre. Dans quelques années, le djihadisme sera devenu « has been ». Peut-être l’est-il déjà. La société créera peut-être autre chose de plus violent, de plus fédérateur. On verra bien…ou pas si on à la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Le chien aboie, la caravane passe.
Édouard

Géopolitique et provocation

Comme presque tout le monde, j’ai été choqué par la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, tout comme j’avais été choqué d’ailleurs en découvrant sur le terrain en 2004 la différence de niveau de vie entre Palestiniens et Israéliens, tout comme je suis enfin choqué par les propos des personnes qui amalgament critique de la politique d’Israël et antisémitisme.

Cependant, Trump semble tellement fou qu’on finit par se demander s’il ne se cache pas parfois des considérations plus fines derrière ses comportements extrémistes.

Bien entendu, c’est mettre de l’huile sur le feu et risquer une nouvelle guerre. Ceci dit, il paraît que l’Arabie Saoudite n’y est pas totalement défavorable pour contrer l’Iran et sans le soutien de l’Arabie Saoudite, on se demande bien ce que peuvent faire les pays arabes.

Il fallait bien qu’une solution soit trouvée à ce conflit qui n’en finissait pas (j’espère qu’il va tout de même y avoir un statut particulier pour le Dôme du Rocher sinon, c’est reparti pour 50 ans). Si c’est le seul moyen pour qu’Israël reconnaisse la Palestine, si cela peut mettre fin à la colonisation sauvage des territoires occupés, c’est peut-être la solution.

J’attends aussi de voir la réaction de DAESH & cie pour lesquels la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël doit constituer une sorte de 11 septembre. Ils n’ont pas d’autres choix que de riposter, c’est ce que tout le monde arabe attend d’eux et s’ils ne le font pas, s’il n’y a pas de riposte majeure, le monde entier et le monde arabe en particulier sauront que l’islamisme est une coquille vide.

Cela nous fera peut-être aussi un peu des vacances. Emmanuel Macron s’est bien indigné comme ses copains, officiellement en tout cas (on ne sait pas ce qu’il a pu dire à Trump au téléphone). Là, Trump dit aux islamistes : coucou, c’est bien moi le méchant, tel Frodon attirant l’œil de Sauron en jetant son anneau dans la montagne du destin.

Donc, on verra bien et si ça pète, ça pétera.

Je ne sais pas ce qu’en aurait dit Jean d’Ormesson, je ne connais pas assez sa pensée. Je n’ai rien lu de lui, mais il en aurait certainement pensé quelque chose. En tout cas, il était toujours très souriant, ça c’est bien.

La seule chose qui m’a vraiment surpris, c’est que Trump décide de faire ça au moment de la mort de Johnny. Il devait vraiment le détester pour lui voler comme ça la vedette et pour allumer le feu, c’est quand même très fort. Bon, il y aurait eu la guerre nucléaire avec la Corée du Nord qui aurait été pas mal aussi…après, si tout le monde est mort, c’est un autre concept.

Ce qui me rassure pour Trump, c’est qu’il n’a tout de même pas osé se déclarer le jour de la sortie de Star Wars. Il ne faut pas déconner avec ça, il y a tout de même des règles à respecter.

Édouard

Balance ta chienne

Je veux tout d’abord saluer l’excellent article de Libération critiquant « balancetonporc ». Le harcèlement est une pratique qu’il faut punir et condamner, mais aucun sexe ne doit être stigmatisé. Des hommes sont aussi victimes de harcèlement, d’agression ou de viol. Cette pratique existe certainement aussi dans des rapports homosexuels.

Quand j’étais jeune, on parlait de « promotion canapé », on en parlait en souriant, c’était une chose admise qui existait. On ne pensait pas à l’époque à la violence qui pouvait parfois se cacher derrière ces pratiques et qui doit à juste titre être condamnée.

La violence sexuelle ne faisait pas partie des priorités de l’esprit de 68. Il s’agissait surtout de « libération » et de « jouissance ». Oui, mais pour lequel des partenaires ? Peut-être y avait-il dans les années 70 des comportements sociétaux que les femmes acceptaient parce que c’était l’air du temps et qu’elles considèrent aujourd’hui comme du harcèlement et de l’agressivité.

Élève à l’école de la république laïque et mixte des années 80, je n’ai jamais eu aucun questionnement concernant l’égalité d’accès des hommes et des femmes aux études et au monde du travail. Je n’ai eu que tardivement conscience d’être arrivé juste après la bataille de l’égalité des sexes gagnée à la force du poignet par les femmes.

La pratique de la « promotion canapé » est vieille comme le Monde. Je pense en particulier à toutes ces mères sous l’ancien régime qui s’empressaient de mettre leurs filles dans le lit du roi pour obtenir tet ou tel privilège. Dans une société dans laquelle les femmes n’avaient aucun droit, je peux comprendre que le monnayage des faveurs sexuelles pouvait être le seul moyen leur permettant de se hisser socialement et je ne blâme personne.

Je ne sais pas ce qu’il faut penser aujourd’hui de la « promotion canapé » dans un monde où les femmes peuvent, il me semble, aussi bien réussir par leurs talents que les hommes sans avoir à coucher.

Combien d’hommes et de femmes ont-ils utilisé leurs charmes pour obtenir ce qu’ils voulaient ? Combien d’hommes et de femmes naïfs sont tombés dans le panneau, ont cru au grand amour, se sont fait larguer une fois le privilège convoité obtenu et ont sombré dans la dépression ?

S’il revient aux hommes de balancer les porcs qui sommeillent en eux, c’est aussi aux femmes de se débarrasser de la part de chienne qui sommeille en elles. Ce n’est qu’à ce prix qu’on se débarrassera de pratiques qui n’avaient lieu d’être que dans des sociétés sexuellement inégalitaires. C’est à ce moment que l’on pourra se focaliser sur les vrais harceleurs(ses) qui doivent être condamnés et punis.

Édouard

Poker Daesh

Quel lien le comptable retraité asocial et shooté aux jeux d’argent Stephen Craig Paddock aurait-il pu avoir avec Daesh ? Tout le monde sait bien que les fusillades aux États-Unis ont été très fréquentes ces dernières décennies et n’ont eu qu’un effet très limité sur un peuple qui s’accroche à sa liberté de port d’arme comme une bernique sur son rocher.

Les revendications de l’État islamique dont la crédibilité avait commencé à s’émousser après l’attentat de Nice semblent aujourd’hui sombrer dans le ridicule, d’autant plus qu’une fois de plus, l’EI n’apporte aucune preuve pour étayer ses dires.

Faut-il en conclure que Daesh a perdu la tête et que sa comm n’est plus qu’un grand n’importe quoi ?

Je n’ai bien entendu pas la réponse, mais je pense que Daesh, très affaibli sur le terrain, a abandonné son rêve de conquête idéologique de l’occident. Si la revendication de la fusillade de Las Vegas fait sourire chez nous, elle a sans doute un sens ailleurs.

Les habitants d’autres contrées qui n’ont pas le même fond culturel que l’occident seront ainsi moins sensibles à l’improbabilité de la revendication, mais c’est plutôt a une autre catégorie qui n’est jamais évoquée par les médias que je pense : la population Daesh. Quels individus constituent l’État islamique ? N’est-ce qu’une armée, que des kamikazes, que des réseaux financiers occultes ? Je pense que c’est aussi une population diffuse, pauvre, n’ayant aucun accès à la culture, qui adhère plus ou moins à ses thématiques et à ses valeurs. Une population qui se nourrit certainement aussi d’une certaine hostilité vis-à-vis de la culture occidentale.

En 2005, un jeune guide, à Tombouctou, m’avait expliqué que ses parents allaient probablement l’envoyer à l’école coranique parce qu’ils n’avaient pas les moyens de l’envoyer au lycée à Bamako. Dans la capitale malienne, j’avais été frappé de voir des jeunes dans la rue arborer des tee-shirts à l’effigie de Ben Laden qui avait su faire des États-Unis l’archétype du mal.

Un attentat à Las Vegas pourrait ainsi apparaître comme un mini 11 septembre et avoir un impact non négligeable sur ces populations d’autant plus que la ville du jeu constitue une symbolique forte pour qui voudrait dénoncer un archétype du vice absolu. Cela ne m’étonnerait pas que l’on retrouve des références à Las Vegas dans la propagande de Daesh, bien antérieures à la fusillade d’aujourd’hui.

Pour résumer, il semblerait que l’EI cherche plus aujourd’hui à galvaniser ses troupes qu’a poursuivre son rêve de conquête. Cette politique de communication reste un pari bien fragile pour Daesh, dans un Monde dans lequel l’accès minimum à la culture rencontre de moins en moins d’obstacles, même chez les plus pauvres.

Un État islamique replié sur lui-même et s’abandonnant aux paris…c’est vrai que vu sous cet angle, il y a une certaine ressemblance avec Stephen Craig Paddock.

Édouard

Pimp

Nom : Iceberg Slim. Profession : maquereau (pimp en anglais)

Publiée en 1969, cette autobiographie romancée violente et crue, qui parle du malaise des noirs américains et de la haine des blancs, marquera toute une génération de rappeurs. Abusé sexuellement par sa nourrice à l’âge de trois ans, Robert Lee Maupin y trouvera le fondement de sa vocation de proxénète. C’est en suivant cette route qu’il deviendra le redoutable « Iceberg Slim »

Comme dans toute autobiographie, l’intégralité des propos ne semble pas forcément authentique. La volonté de marquer les esprits, de les amuser aussi (un des chapitres ressemble clairement à une vieille blague recyclée) l’emporte certainement par moments sur la réalité. Et puis, il y a aussi tout ce dont ne parle pas l’auteur et qu’on devine dans ses silences.

La vie de maquereau n’est pas de tout repos. Il s’agit tout d’abord de trouver des prostituées pour se constituer une « écurie » par le sexe, par  l’ ultra-violence, par la persuasion, par le charisme, par le fric, par la drogue…Iceberg Slim n’en parle pas, mais on sait très bien que de nombreuses prostituées sont aussi maintenues dans cet état par l’absence de papiers leur donnant le droit de séjourner sur le territoire.

Une fois l’ « écurie » constituée, il convient d’une part d’essayer de l’agrandir et d’autre part de dissuader les filles (Iceberg Slim ne fait pas dans la prostitution masculine) de s’en aller de leur propre initiative ou de se faire piquer par un concurrent.

Cela va sans dire, tout cela est bien entendu réalisé en toute illégalité en évitant les forces de l’ordre incorruptibles et en graissant la patte des autres.

Enfin, pour supporter cet univers impitoyable et pour garder en toute circonstance une expression impassible à la Vito Corleone, le recours régulier à la cocaïne est fortement conseillé.

Vous l’avez compris, si la profession de proxénète est rémunératrice, son exercice implique de nombreux frais, sans parler des régulières tentatives de meurtre et des séjours pénitentiaires qui finiront fatalement par tomber un jour ou l’autre sur le malfrat.

L’esclavagisme, la violence, l’argent sale et la haine ne mènent à rien, ne créent rien d’autre que du vide et des regrets. Iceberg Slim en prendra conscience au cours des 10 mois passés seul dans une cellule de confinement. À sa sortie de Cook County, il décidera de se ranger et de devenir écrivain. L’auteur mourra en 1992 à l’âge de 74 ans.

 

Iceberg Slim

Éditions de l’Olivier

2001(1ére édition 1969)

Edouard