La faute à Crémieux

Le 24 octobre 1870, le décret Crémieux donnait la nationalité française aux juifs algériens, c’est par ce biais que la famille d’Éric Zemmour put devenir française. Je ne sais pas quelle était la part d’islamophobie dans ce décret, il s’insérait en tout cas dans un processus d’intégration des juifs dans la société française initié en 1789.

Quoi qu’il en soit, il creusa un fossé qui devint vite infranchissable entre les communautés juives et musulmanes d’Algérie qui avaient pourtant pris l’habitude de vivre ensemble pendant des siècles.

Sur le coup, les réactions des juifs algériens furent certainement diversifiées. Certains essayèrent sans doute de continuer à vivre comme avant et j’imagine que  d’autres s’indignèrent de la discrimination faite par le décret. Enfin, une partie déduisirent de la lettre du décret que comme le gouvernement français considérait que seuls les juifs algériens étaient assimilables dans la société française et donc que par essence, les musulmans ne l’étaient pas. Je ne sais pas si la famille Zemmour était divisée, en tout cas, c’est cette dernière voie que l’actuel chouchou des médias semble suivre.

Comme on sait, l’intégration des juifs dans la société française n’était pas du tout pliée en 1870. De Dreyfus à Vichy en passant par Barrès et Céline, il faudra attendre la libération des camps en 1945 et le film d’Alain Resnais « nuit et brouillard » sorti dix ans plus tard pour que l’antisémitisme ordinaire de la société française soit ébranlé en profondeur.

Les musulmans algériens ne bénéficièrent pas pour leur part d’une reconnaissance révolutionnaire ni d’un décret Crémieux. Ils eurent cependant la possibilité d’acquérir la nationalité française entre 1962 (fin de la guerre d’Algérie) et 1967 comme tous les autres Algériens non pieds-noirs et non-juifs. Arrivés dans un pays en voie de déchristianisation et des décennies après la loi de séparation de l’église et de l’état, ils ne furent jamais fixés sur la volonté de la France de les intégrer. Le gouvernement français, désormais laïc, n’avait plus à s’occuper des religions, et était sans doute bien contant de ne plus avoir à le faire.

C’est dans cette zone grise que joue Éric Zemmour, alors qu’Al-Qaïda, Boko Haram et les talibans s’évertuent à démontrer l’incapacité du monde musulman à s’accorder avec les valeurs occidentales.

Fort opportunément, il relance le débat de l’assimilabilité des musulmans à la société française, celui-ci n’ayant jamais été clos faute de n’avoir jamais été officiellement ouvert.

Dans quelques semaines, quelques mois, on n’entendra peut-être plus parler de Zemmour, il aura fini par lasser. Il aura toutefois posé une question qui ne doit pas être un tabou : « les musulmans sont-ils assimilables dans la société française ? » Les médias ne parlent pas de la grande majorité des musulmans parfaitement intégrés à la société française, cela n’intéresse personne, mais cette question ne peut rester sans réponse. La voie d’un « oui » ferme et sans ambiguïté doit être trouvée.

Édouard

Le chat du rabbin

 

Je n’ai envie de parler sur ce blog que des choses qui me semblent positives. Ou alors, c’est pour dénoncer ce qui me révolte. C’est la raison pour laquelle je ne vous parlerai pas des « amants passagers ». En plus, j’aime bien Almodovar et ça me ferait du mal de lui taper dessus.

Dans les années 30, le rabbin Abraham vit à Alger avec sa fille Zlabya et son chat.

Une dizaine d’années que j’entends parler de cette BD, mais je n’avais jamais eu l’occasion de m’y plonger et n’ai pas vu non plus le dessin animé que j’essaierai de trouver en VOD.
J’ai pu rattraper une partie de mon retard en avalant d’une traite les cinq premiers volumes. Le sixième : « tu n’auras pas d’autre Dieu que moi » est attendu…depuis sept ans (on dirait presque une blague juive).

Le graphisme est assez simple, mais se laisse regarder : ça me fait un peu penser aux albums de Fred (mort mardi dernier), mais certaines planches sont plus fouillées et se rapprochent d’Hugo Pratt : deux dessinateurs nés juste après la crise de 29. L’atmosphère un brin surréaliste du « chat du rabbin » fait elle aussi penser à celles de Philémon et de Corto Maltese. Le message de tolérance interreligieuse est aussi très bien et pas trop appuyé, dilué avec parcimonie dans les aventures des héros.

Ce qui m’a le plus intéressé, c’est le fond historique. La France coloniale, mais surtout la vie des communautés séfarades dans les années 30. Aujourd’hui avec des films comme « la vérité si je mens », la culture séfarade est très largement vulgarisée. Dans les années 30, ça n’était pas le cas même si des écrivains comme Albert Cohen avaient écrit sur elles. A ce titre, j’ai beaucoup aimé l’histoire du neveu du rabbin qui vit à Paris et qui doit « faire l’arabe » pour gagner sa vie. Il explique à son oncle que pour les Parisiens, compte tenu de son type physique, ce ne serait pas compris s’il faisait le juif. Pour eux, le juif, c’est l’allemand, le polonais, le russe, bref, l’ashkénaze.

Le retour sur cette diversité culturelle, qui n’était visiblement pas toujours bien connue au sein même de la communauté (Abraham ignorait tout des falashas, juifs noirs d’Éthiopie) est à mon avis plus utile pour lutter contre l’antisémitisme que des discours lénifiants.

Une grande BD donc, à faire lire en priorité à tous ceux qui n’aiment pas lire. Les livres sont faits pour l’homme et non l’homme pour les livres : ce serait peut-être la morale de cette série.

Le chat du rabbin
Joann SFAR
2002-2006
Edouard

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