Inside Llewyn Davis

La vie pathétique d’un chanteur de folk raté dans l’Amérique du début des années 60.

Il y avait un truc qui me plaisait dans le titre et comme je suis assez fan des Coen, je ne me suis pas méfié. Ce film est complètement déprimant. Je reconnais cependant qu’il y a une grande part de subjectivité dans ce jugement : l’établissement appelé pompeusement lounge où j’ai bu un tord-boyaux immonde juste après la séance et oublié mon écharpe n’y est certainement pas indifférent. OK, je rectifie mon jugement : je n’ai pas aimé ce film.

Pourquoi ? Tout d’abord, comme l’a judicieusement souligné mon compagnon de beuverie, parce que Llewyn est présenté sous un jour plus que noir, sans aucun espoir de salut, tant et si bien qu’à trop taper dessus, les réalisateurs révèlent une quasi-cruauté et s’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est la cruauté des réalisateurs pour leur personnage.

Bon, à leur décharge, je reconnais que l’univers des chanteurs folk au début années 60 ne devait pas toujours être particulièrement riant, comme en témoigne d’ailleurs le contenu des chansons. Ceci dit, une petite note d’espoir aurait été la bienvenue. Je ne parle pas d’humour, car l’humour des réalisateurs est heureusement là, mais très noir, comme toujours.

Une autre explication de cette déception vient à mon avis du titre et de l’attente qu’il avait fait naître en moi. Je veux bien entendu parler du mot « inside » qui m’avait laissé imaginer quelque chose de beaucoup plus introspectif ; à un truc du genre « dans la peau de John Malkovich ». Or, ici, Llewyn n’a aucune épaisseur. Il agit de manière totalement impulsive et irraisonnée comme le font presque toujours les personnages des deux frères.

On comprend vaguement vers le milieu du film que l’ « inside » renvoie à l’envers du décor, en opposition à l’ « outside » qui renverrait à la scène. Cependant, on voit très peu cet « outside » et le peu qu’on voit ne semble pas tellement plus reluisant que l’ « inside ».

Y a-t-il un message derrière tout ça ? Peut-être n’ont-ils pas souhaité en délivrer. Il n’en reste pas moins que celui que j’ai retenu est « beaucoup d’appelés, peu d’élus ». C’est vrai que les films parlent généralement plus des artistes qui réussissent que de ceux qui ne réussissent pas et c’est bien de parler aussi de ceux-là, beaucoup plus nombreux que les quelques stars qui sortent du lot. Ce que je veux seulement dire, c’est que le personnage de Llewyn aurait dû être moins loser absolu, cela l’aurait rendu plus crédible et nous aurait donné envie de nous identifier un peu à lui et non de le protéger contre le sadisme de ses démiurges.

Edouard

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2 réflexions sur “Inside Llewyn Davis

  1. Pierre 7 décembre 2013 / 1 h 12 min

    Je souhaite en premier lieu rectifier deux choses : tout d’abord, je réfute l’appellation « compagnon de beuverie » car beuverie il n’y a point eu (tout juste un mauvais cocktail dont l’acidité, j’en conviens, a pu être cause d’une nuit agitée pour les intéressés). Ensuite, c’est en évoquant Fargo et non Inside Llewyn Davis que j’ai souligné la méchanceté avec laquelle les frères Coen peignaient leurs personnages. En ce qui concerne Llewin Davis, je pense a contrario que les frères Coen ont une véritable affection pour ce personnage, ou tout au moins pour la scène folk new-yorkaise qu’il incarne. Un parcours rapide de leur carrière permet de voir à quel point ils sont imprégnés de cette contre-culture, et les nombreuses scènes musicales du film émeuvent plus par le soin amoureux que les frères Coen y apportent que par leurs qualités intrinsèques.

    Non, ce que je reproche au film est plus incertain : ou bien les frères Coen sont passés à côté de leur sujet, ou bien ils ont fait un étonnant contresens. Démonstration par l’absurde : le film se finit par un passage de relais entre Davis le malchanceux et Dylan, qui va bientôt accéder à une notoriété fulgurante. A ce titre, inscrire le jeune Zimmermann dans un terreau identique à celui de Llewin Davis s’avère juste , bien que la différenciation à venir ne puisse être mise sur le compte de la bonne fortune seule. Or Dylan, s’il possède la singularité, l’opiniâtreté et le talent qui lui ont permis d’émerger, partage avec ses contemporains une vision existentielle de son art que l’on retrouve si peu chez Llewin. Hormis dans les paroles des chansons qu’il interprète sur scène, et à l’extrême limite dans la scène de l’esclandre chez son ami professeur d’université, nulle trace de l’intériorité qui devrait guider d’une même main son œuvre et sa vie. Llewin s’obstine à suivre sa voie, mais on y voit plus de nonchalance et de laisser-faire que de réelle motivation. Aucun lien à faire entre une vie de bohème fade et cet élan qui devrait percer à tout instant, qu’il soit rébellion, crachat narcissique ou romantisme individualiste et pourtant si universel (Dylan saura jouer avec ambiguïté et brio de toutes ces facettes que l’on retrouve plus éparses chez ses confrères) . De mémoire, pas une scène où Llewin ne répète ce qui doit constituer son grand-œuvre, pas une once de fièvre devant la page blanche sur laquelle il devrait vouloir jeter sa vie . Où est le travail acharné du songwriter, la désespérante obstination à peaufiner sur 4 cordes une mélodie dérisoire en y mettant corps et âme ? Soit les frères Coen n’ont pas saisi ce qui faisait l’essence de la scène folk de Greenwich Village, qui s’est cristallisée en Bob Dylan, soit ils ont décidé de n’en faire qu’un simple décor pour dresser un énième portrait de loser qui aurait aussi bien pu être celui d’un livreur de pizza en Arizona. Auquel cas, même si la vacuité du cheminement est plutôt brillamment saisie, il ne leur sera pas pardonné d’avoir abordé ce thème plutôt banal et déjà ressassé dans leur filmographie au détriment du merveilleux sujet que constituait le Gaslight.

    Pour finir, je tiens à m’excuser pour le caractère déprimant de la soirée, qui tenait sans doute, plus qu’au film ou à l’ambiance si excessivement banlieusarde du bar « lounge » (que n’auraient pas reniée les frères Coen), à l’humeur d’alors de l’auteur de ce commentaire.

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  2. Doud 7 décembre 2013 / 11 h 07 min

    Merci Pierre, je n’en attendais pas moins de toi.

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